En arabe et en français, elle chante la liberté. Au rythme de son Algérie natale tout comme au son des cuillères néo-trad de ses nouveaux amis québécois. Les rêves de Lynda Thalie ont trouvé un pays.

Des décorations de saison accueillent le visiteur sur les marches menant au perron. La chevelure abondante, le sourire généreux, la voix chaude, la silhouette rehaussée par des talons vertigineux, Lynda Thalie ouvre la porte. Elle sert du café et du gâteau au chocolat, adopte un tutoiement immédiat, s’excuse de son goût pour les sucreries et finit par s’asseoir. Au mur, des masques africains, un berimbau, instrument de musique acheté au Rwanda, des photos de vieilles femmes mutines prises au Maroc. Devant la baie vitrée, la route qui conduit de la Rive-Sud vers Montréal longe un petit étang qu’égaient des jets d’eau en été. C’est un décor à l’image de cette jeune chanteuse pionnière, dont les rythmes et les sonorités arabisants, hérités de son enfance algérienne, rencontrent un succès croissant au Québec.

«De par ses origines différentes, Lynda est assez unique dans le paysage musical québécois», dit Laurent Saulnier, vice-président à la programmation des FrancoFolies. Bien sûr, des musiciens d’origine maghrébine font déjà partie de groupes québécois tels que Loco Locass ou Syncope. Mais si on en croit Monique Giroux, l’experte en chanson francophone de Radio-Canada, Lynda Thalie est, «parmi les artistes néo-québécois, celle qui a pris le plus de place et est la plus susceptible de conquérir un large public».

Au dernier Gala de l’ADISQ, en octobre, l’auteure, compositrice et interprète de 28 ans était en nomination dans cinq catégories. Elle travaille actuellement à son troisième album, qui doit sortir au cours de l’année 2007. Son deuxième, paru il y a un an, s’appelle, tout simplement, Lynda Thalie. Ce n’est pas un hasard. Le choix des chansons est révélateur de son identité métissée: des reprises d’Enrico Macias («Adieu mon pays») et de Dalida («Histoire d’un amour»), une belle adaptation en arabe de Sade («Pearls», rebaptisée «Djouhar»), une chanson écrite pour elle par Michel Rivard («De neige ou de sable»)...

Par rapport à son premier disque — Sablier, au son très électronique —, il fait la part belle aux mélodies et aux rythmes arabes. Nick Carbone, producteur et directeur artistique, a soigneusement veillé à l’équilibre de l’ensemble. «On a ajouté “Histoire d’un amour” pour centrer le disque et séduire les auditeurs avec un son moins arabe, moins étrange, dit-il. On est au Québec, ici, pas en France. Il ne faut pas donner l’impression d’un tapis volant d’Arabie saoudite. Lynda n’est pas Rachid Taha [star du métissage musical arabo-occidental].»

Son entourage n’hésite pas à la comparer à deux monstres sacrés, Nana Mouskouri et Dalida. Elle-même se définit comme «une Québécoise d’origine algérienne». Ses deux disques sont issus, dit-elle, «d’un métissage avec un dosage différent».

C’est précisément ce qui séduit Michèle, spectatrice rencontrée au centre culturel de Sainte-Thérèse, où venait de se produire Lynda Thalie. «La vraie musique arabe m’agresse. Lynda la vulgarise beaucoup et la rend agréable à écouter.» Un autre spectateur, qui croit savoir que Lynda Thalie est tunisienne, souligne qu’elle a bien gagné son titre de «semi-Québécoise».

En concert, la chanteuse enseigne au public le youyou chanté par les femmes arabes durant les festivités. Puis, elle interprète la chanson traditionnelle «Grain de mil», accompagnée par son percussionniste à la cuillère. «J’emmène partout cette chanson avec moi pour prouver mon acquis québécois.» La salle, chauffée à blanc, fait entendre de longues séries de youyous pure laine...

Le cercle professionnel, le mode de vie, le chum de Lynda Thalie (Patrick Cameron, son agent) sont étiquetés «Belle Province». Ses loisirs aussi. «J’adore pelleter la neige sur le lac en face de la maison. Après, je regarde les autres patiner en buvant un chocolat chaud.» La jeune femme a résolument opté pour l’intégration. «Tu as choisi ce pays, tu t’y adaptes. Si tu veux pratiquer ta religion, fais-le chez toi», dit-elle. La laïcité du pays dans lequel elle a choisi d’habiter est importante, assure-t-elle... avant d’ajouter du même souffle qu’elle ne voit aucune objection au port du foulard!

Le foulard, elle l’a porté en Algérie lorsqu’elle sortait de la maison. «C’était cela ou risquer d’être vitriolée», raconte Amina Remati, sa tante chérie et meilleure amie. En 1994, à l’âge de 16 ans, Lynda fuit clandestinement l’Algérie avec sa mère et son frère. «Le Canada, c’est blanc comme une nouvelle page, comme la neige, comme toutes les chances qu’on va avoir, comme un rêve qui se réalise», dit-elle.

Elle n’aurait sans doute pas pu devenir chanteuse dans l’Algérie des années 1990. «Quand nous sommes partis, les terroristes avaient assassiné beaucoup d’intellectuels et commençaient à tuer les chanteurs», explique sa tante, aujourd’hui professeure au Créca, une école de formation des adultes, à Montréal.

Source: http://www.lactualite.com/culture/article.jsp?content=20061208_102337_5148