Le co-président de la Chambre syndicale des services funéraires affinitaires, Méziane Benarab, explique à Diasporadz les modalités pratiques de la prise en charge du rapatriement des dépouilles des ressortissants algériens décédés à l’étranger.

Depuis la Loi de finances pour 2015, le gouvernement a décidé de financer le rapatriement des dépouilles de ses ressortissants à faible revenu, nous explique Méziane Benarab. Cette décision a été étendue, depuis la loi de la Loi finances complémentaire de 2021, à tous les ressortissants sans condition de ressources.

Méziane Benarab regrette le fait que le mécanisme de prise en charge du rapatriement des dépouilles des ressortissants algériens décédés à l’étranger « n’a pas été accompagné d’une action d’information à même de permettre aux familles et aux professionnels du funéraire de saisir et de comprendre les modalités ».

Entretien réalisé par Kamel Lakhdar Chaouche

Diasporadz : En 2022, vous avez créé la chambre syndicale des services funéraires affinitaires, regroupant des entreprises de pompes funèbres musulmanes. En quoi consiste au juste votre activité et pourquoi cette chambre syndicale ?

Méziane Benarab : La Chambre syndicale a été créée afin de structurer et organiser les pompes funèbres musulmanes en réseau d’entreprises dont l’objectif est d’améliorer la prestation de services apportée aux familles frappées par un deuil.

Par ailleurs, elle ambitionne d’apporter aux entreprises adhérentes des services d’accompagnement permettant de répondre aux attentes de leurs usagers: les familles.

Pouvez-vous nous présenter le contexte qui a conduit à cette initiative et ses objectifs ?

La création de la chambre syndicale est le résultat d’une longue réflexion quant à la nécessité de structurer le segment de marché… Le contexte est lié au fait que nous dénombrons plus de 200 entreprises de pompes funèbres musulmanes qui ne sont pas organisées et structurées.

L’idée est de les rassembler afin qu’elles puisent échanger autour de la leur pratique quotidienne et trouver les moyens de la rendre plus professionnelle dans la prestation rendue aux familles endeuillées

Pouvez-vous nous présenter le contexte qui a conduit au regroupement des entreprises de pompes funèbres musulmanes en chambre syndicale et quels sont ses objectifs ?

La création de la chambre syndicale est le résultat d’une longue réflexion quant à la nécessité de structurer le segment de marché affinitaire que composent les services funéraires à destination de la communauté musulmane de France et contribuer à améliorer la qualité du service aux familles endeuillées.

Nous estimons que le service, tel qu’il est prodigué aux familles, est très largement perfectible et surtout à sécuriser, notamment sur le plan des assurances décès où règne une situation catastrophique dont pâtissent les usagers, à savoir les familles.

Nos entreprises exercent leurs activités dans le cadre de la mission de service public des pompes funèbres qui est avant tout caractérisée par le principe de neutralité. Ce qui fait que dans notre chambre syndicale nous agissons dans ce cadre et non pas par particularité relative à tel ou tel pays.

Par ailleurs, il convient de rappeler avec vigueur que nos entreprises sont des entreprises françaises dirigées par des gérants de nationalité française. C’est ce qui compte pour nous ! Nos entreprises incarnent la diversité de la communauté et s’adaptent à l’aspect universel, global de leur mission.

Dans le cadre de cette universalité de votre action, pouvons-nous revenir à la situation particulière de certains pays comme l’Algérie qui prennent en charge le rapatriement de leurs ressortissants. Pouvez-vous nous éclairer sur les modalités de prise en charge ?

Depuis la loi de finances pour 2015, le gouvernement a décidé de financer entièrement le rapatriement des dépouilles de ses ressortissants par le biais de la création d’un fonds spécial appelé « caisse de solidarité de la communauté algérienne établie à l’étranger ». Un mécanisme de prise en charge spécialement et exclusivement aménagé au profit des familles à faibles revenus ne pouvant pas financer le rapatriement.

En 2020, la loi de finances complémentaire pour 2021 a étendu à tous les ressortissants sans condition de ressources. Ainsi, il a été ouvert dans les écritures du Trésor, un compte d’affectation spéciale n° 302-144 intitulé Fonds de solidarité pour les ressortissants algériens décédés à l’étranger ».

Le décret exécutif n° 23-225 du 10 juin 2023 fixant les modalités de fonctionnement du compte d’affectation spéciale n° 302-144 intitulé « Fonds de solidarité pour les ressortissants algériens décédés à l’étranger », ne donne aucune précision quant à la nature des prestations funéraires éligibles à la prise en charge.

Rappelons que dans son article 6 « les conditions et les modalités pratiques de prise en charge du rapatriement des dépouilles des ressortissants algériens décédés à l’étranger sont fixées par arrêté du ministre chargé des affaires étrangères ».

A ce jour, l’arrêté interministériel n’a toujours pas été publié, ce qui suscite de nombreuses incompréhensions entre les familles, les professionnels et les agents consulaires.

Je peux vous préciser que la Loi de finances pour 2024 a donné des détails intéressants sur le compte est ouvert par la Loi de finances pour 2016, qui enregistre en dépenses la prise en charge des frais de rapatriement des corps des ressortissants algériens nécessiteux décédés à l’étranger.

Il est effectivement indiqué que le compte a dépensé 835 391 543 de dinars, soit l’équivalent de 60 millions d’euros, uniquement consacrés aux personnes nécessiteuses. Il conviendra d’attendre la loi de finances pour 2025 pour avoir le détail de l’extension de la prise en charge des rapatriements sans condition de ressources. Il faudra s’attendre à une enveloppe financière conséquente.

Ce dispositif est-il efficient ? Pouvez-vous évaluer sa mise en œuvre par les autorités consulaires ?

Le mécanisme de prise en charge des rapatriements des ressortissants algériens décédés à l’étranger n’a pas été accompagné d’une action d’information à même de permettre aux familles et aux professionnels du funéraire de saisir et de comprendre les modalités de sa mise en œuvre.

Ainsi, les dysfonctionnements qui suivent ont été relevés par nos entreprises adhérentes :

  • Dès le début de l’année, flottement dans l’application du dispositif, notamment quant à son périmètre d’application : familles nécessiteuses comme précédemment ou un périmètre élargi à toutes les familles sans restriction de ressources.
  • S’ensuit une application divergente d’un consulat à un autre. Certains ont décidé de recourir à un appel d’offres, d’autres pour des traitements individualisés des dossiers de prise en charge sur la base de trois devis obtenus par les familles, enfin certains ont appliqué une procédure inédite en recourant aux services d’un ou deux professionnels du funéraire.
  • A la réception des factures de règlement des prestations assurées, les consulats se sont lancés dans des opérations techniques de validation du leur contenu : prise en compte de certaines prestations et rejets de certaines autres comme le séjour en chambre funéraire par exemple.
  • Les agents des consulats transformés en professionnels du funéraire et jamais, préalablement, formés au funéraire, se sont convertis en conseillers funéraires intervenant dans l’analyse des devis et demandant aux familles si les opérateurs funéraires ne leur ont pas facturé des prestations complémentaires. Alourdissant ainsi, exceptionnellement, la charge de travail consulaire.
  • De leur côté les entreprises de pompes funèbres ont ressenti une dégradation de la relation avec les agents consulaires du fait du flou régnant autour des prestations prises en charge. À titre d’exemple, lorsque la famille a transféré le corps de son défunt dans une chambre funéraire et que la prestation n’est pas prise en compte par le consulat, les professionnels facturent cette prestation à la famille. C’est ce que l’on appelle un tiers à charge prévu par la réglementation. Ces suppléments justifiés par un devis et bon de commande ne correspondent pas à des malversations de nos entreprises qui exercent une mission de service public dans le cadre du code de déontologie de la Chambre syndicale.
  • S’agissant des entreprises de pompes funèbres, il a été relevé des délais des règlements de factures autour de 4 mois après l’exécution des prestations de rapatriements. Une telle situation fragilise leur trésorerie et compromet leur pérennité.

Nous avons alerté les différentes instances en charge du dispositif afin de le perfectionner, mais sans succès. Pas même une réponse de courtoisie.

Je peux juste compléter, mais c’est une appréciation personnelle, l’application extensive de la prise en charge aux familles nanties est juste inexpliquée et peut-être même la principale faiblesse d’une mesure qui avait du sens au départ.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi le dispositif de prise en charge des rapatriements est critiquable sur ce dernier point ?

Sans pour autant remettre en cause la pertinence du mécanisme de prise en charge des rapatriements, il est de notre responsabilité de s’interroger sur sa pérennité dans le temps en raison de sa portée très large.

Le mécanisme résistera-t-il à la critique qui consiste à poser la question de savoir comment un instrument de solidarité nationale peut-il prendre en charge le rapatriement, sur un même plan, famille riche et famille nécessiteuse ? N’était-il pas judicieux de maintenir le dispositif précédent, d’autant plus qu’une forte proportion de la communauté algérienne de France est sous couverture assurantielle ?

En clair, nous aurions souhaité que la prise en charge des personnes nécessiteuses soit amplifiée afin d’assurer une totale couverture des prestations et un accompagnement aux formalités administratives post-décès.

Comment expliquez-vous qu’il y ait encore des associations et des comités de villages qui payent pour le rapatriement de leurs proches vers l’Algérie alors que ce devrait être l’État normalement qui devrait prendre en charge ces frais puisque cela concerne le domaine public ?

On peut le comprendre aisément par les incertitudes qui ont marqué le lancement du dispositif de prise en charge des rapatriements. Du coup un sentiment de méfiance est né concernant sa pérennité dans le temps et préfère maintenir leur couverture assurantielle.

Mais permettez-moi de vous donner cette information fondamentale quant à ces instruments officieux de prise en charge des obsèques de leurs compatriotes, qu’il s’agisse de caisses, tontines ou amicales. Leur illégalité est acquise.

Sur un autre plan, les acteurs de ces formules exercent de fait la profession d’assureur et sont sanctionnables tant sur le plan civil que pénal. C’est un des objectifs de la chambre syndicale en mettant fin à ces situations et en apportant aux familles une garantie d’assurance fiable, pérenne, et de nature à leur apporter la sécurité juridique attendue.

Nous travaillons actuellement avec un assureur de renom afin de proposer aux familles une véritable garantie obsèques avec dépôt de volontés, un capital garanti et une durée de cotisation limitée dans le temps. Et non pas des assurances décès avec des primes payables tout au long de sa vie et en cas de non-paiement d’une prime à tout perdre. Les familles prises dans l’étau de ces formules nous préoccupent beaucoup.

Pour revenir aux ressortissants ayant souscrit une assurance décès, le dilemme est bien réel. Se faire prendre en charge son rapatriement par l’Etat ou continuer à payer sa couverture assurantielle ?Et le risque issu d’un éventuel renoncement à sa garantie est énorme.

En effet, on estime à plus de 500 000 les membres de la communauté ayant souscrit une assurance rapatriement. Le mécanisme de prise en charge des rapatriements mis en place fragilise très sérieusement cette couverture assurantielle. Bon nombre d’assurés ayant décidé de ne pas renouveler leurs cotisations d’assurance pensant à une prise en charge dans le cadre du nouveau dispositif.

Le risque économique et social est considérable pour les familles. En effet, à raison d’une cotisation annuelle de 70 euros cela représente une enveloppe financière de l’ordre de 35 millions d’euros.

Les cotisations étant viagères, c’est-à-dire la vie durant, sur une période de 10 ans, c’est plus de 350 millions d’euros de perdus. Si les assurés ne cotisent plus, les capitaux versés sont perdus à jamais et la couverture assurantielle résiliée.D’où la nécessité de réserver le dispositif aux familles nécessiteuses.

De nombreuses voix dénoncent le fait qu’il existe en France, par exemple, des Services de pompes funèbres qui récupèrent l’argent de l’Etat et celui des familles des personnes décédées. Qu’en pensez-vous ?

Ces personnes ne connaissent pas la réalité de notre métier. En France, quand une personne dépourvue de ressources suffisantes décède, c’est l’Etat à travers la commune qui prend en charge les obsèques.

Il en est de même lorsque la personne décédée n’a plus de famille. S’agissant de ceux qui tiennent ce discours, ce sont les premiers à solliciter les autorités consulaires pour une prise en charge.

En France nos entreprises exercent une mission de service public et leurs prestations sont rémunérées en tant que telle soit par la famille ou un tiers-payant. Et nous faisons partie du service public industriel et commercial pour le lequel nous recevons une contrepartie financière nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise.

Pourquoi le secteur des assurances pour le rapatriement des défunts est plus développé sur certains pays que d’autres, notamment l’Algérie ?

Votre question est pertinente à plus d’un titre ! La réponse réside dans la relation du pays à sa diaspora et de la crédibilité de l’action menée. Sur le sujet particulier des obsèques, nous avons une expertise au plus haut niveau dans ce domaine.

Pourquoi n’avons-nous pas été sollicités, ne serait que pour donner un avis sur le dispositif de rapatriements mis en place afin de le rendre plus efficient ? Et pourtant, nous avons fait part de notre volonté d’accompagner le dispositif par notre expertise.

Nous avons saisi l’ambassade, les consuls et même le ministre des Affaires étrangères. Tout est resté sans réponse et avec un silence qui interroge. Alors, de grâce posez la question à qui de droit.

Notre chambre syndicale agit dans le neutralité la plus stricte, ce qui nous importe est la qualité du service rendu aux familles endeuillées. C’est pour cela que nous mettons en place, dès le début du mois de mai, une véritable garantie obsèques pour l’ensemble de la communauté musulmane de France.

Comment expliquer que certains opérateurs funéraires puissent se substituer aux imams ? Comment ce type de comportement totalement désorganisé peut-il exister ?

Je ne comprends pas trop cette question, mais je vais donner mon appréciation. La chambre syndicale insiste énormément sur la nécessité de la séparation de l’activité professionnelle du religieux au nom du principe de la neutralité de la mission de service public.

Très honnêtement, le fait que le professionnel anime une cérémonie funéraire sur le plan religieux ne me dérange pas. Dans ma vie professionnelle, j’ai vu des professionnels se transformer en diacres lors de la cérémonie à l’église ou à la chambre funéraire.

Ce qui m’inquiète le plus c’est quand cette fonction de circonstance se transforme en autre chose. Il y a là un vrai sujet qui nous pousse à renforcer le code de déontologie professionnelle sur le plan de la laïcité. Nous ne laisserons pas cette dérive s’installer.

https://www.diasporadz.com/meziane-benarab-le-rapatriement-des-depouilles-des-ressortissants-algeriens-est-totalement-pris-en-charge-par-letat/

 

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