L’amazighité algérienne à l’honneur (II)

Comme guidée par un dieu, elle travaille avec une fébrile sublimité sur des papiers de grande dimension, trempés dans l’eau pour faire se réabsorber les couleurs, et elle peint en déchirant les ténèbres rouge carmin et noir, qu’elle aime pourtant, avec des tourbillons de densité matérielle et d’amples espaces fluorescents d’orange, de jaune et de vert, de la gouache, de la colle, de la tempera. Hadjira Preure a confiance en les possibilités énergiques de l’essence humaine la plus secrète ; elle opte donc sans incertitude pour une peinture intuitive, aperceptive, immédiate. Les résultats en sont évidents : sa peinture semble être un don du ciel.

Une place pour le lyrisme berbère
Sur un mur parallèle, trois artistes se sont partagé l’espace : Nacer Izza, Yacine Brahami et Miloud Chenoudi. Nacer Izza, dans un style abstrait timbré de collage de photos et de coupures de journaux, nous renvoie au combat amazigh d’Afrique du Nord avec Tizibwassa, inspiré de la chanson de Ferhat Mehenni, le maquisard de la chanson algérienne d’expression berbère, au message du chanteur kabyle Aït Menguellet qui dénonce le fascisme et qui prône la tolérance entre les enfants de l’Algérie, au combat de Matoub Lounès, chantre de la chanson et du combat amazighs d’Algérie, la magie de la chanson chaâbie d’Alger qui fait partie aussi du patrimoine algérien, qu’elle soit en berbère ou en arabe algérien.
Nouredine Djoudja, quant à lui, expose une panoplie de céramiques qu’il a accrochées jalousement sur le modeste mur qui lui revient. Il parle de ses œuvres comme si c’étaient des bijoux qu’on ne porte que rarement lors d’événements exceptionnels. A la question des visiteurs s’ils pouvaient acheter ses œuvres, Djoudja répond ironiquement : «Bien sûr que vous pouvez les acheter, mais attention, elles sont fragiles !» Miloud Chenoufi, de son côté, tout en se disant autodidacte, présente des œuvres qui ont magistralement accroché les visiteurs. Des portraits des femmes d’Alger des années 1960 à nos jours deviennent vivants et imposants. Ils renvoient l’assistance à la douceur féminine, voire maternelle, de la femme, la douleur d’une femme ordinaire qui se retrouve à la rue, livrée à elle-même. Chenoufi décrit la beauté de la femme algérienne tout en dénonçant les injustices qu’elle subit.
A quelques mètres de toutes ces œuvres magnifiques apparaissent les toiles de Mohamed Saci. Dans un style figuratif criard et inondé de couleurs vives, Saci décrit les paysages d’Alger, du sud de l’Algérie mais également du Québec et du Canada. La nostalgie et la beauté des lieux qui habitent l’artiste transpirent de son travail. L’Ecole des Beaux-Arts d’Alger a formé de grands artistes. Le Québec les découvre, doucement mais sûrement.
Parallèlement au lancement de l’exposition, un grand gala a eu lieu à l’auditorium de Parc-Extension. Il a drainé une foule nombreuse (350 personnes) et ce, malgré le froid et la grève du transport qui a paralysé Montréal pendant quelques jours. La fête interculturelle a commencé par les danses et les chants berbères assurés par les fillettes de la troupe Azzetta (chants et danses berbères d’Algérie). Le groupe Anzar (Dieu de la pluie chez les Berbères) a enchaîné avec les rythmes endiablés de Kabylie.
Composé de Yacine Kedadouche au chant, Achour à la guitare, Zahir au synthétiseur, Hakim Chérif à la percussion, le groupe Anzar, qui vient juste d’être créé à Montréal, commence déjà à faire parler de lui et à être réclamé par le public. Le duo Yacine-Sghira de la troupe Azzetta a également offert une magnifique prestation avant de céder la place à Kamal Kouroughli pour nous transporter, grâce à sa voix chaude, dans le monde des chants chaâbis d’Alger. Vient enfin le groupe Alger-Montréal de Brahim Sedik qui chante kabyle, raï et français pour clore en beauté la soirée.
Les projections,
l’autre activité de taille
C’est au centre Afrika de Montréal qu’a eu lieu la projection-débat de deux documentaires. Le premier a porté sur un grand écrivain algérien d’expression française : Kateb Yacine. Cet écrivain, faut-il le rappeler, a été classé parmi les meilleures plumes francophones du XXe siècle. A travers ce documentaire, le réalisateur algérien Kamel Dehane a mis en évidence le talent, l’humanisme, mais également la détermination de Yacine à combattre l’obscurantisme dans un pays (Algérie) qui a tous les moyens pour faire partie des meilleures nations de la Méditerranée. L’assistance a pris part à un débat passionnant sur le rôle de l’écrivain et de l’intellectuel dans l’édification d’une société plurielle et juste. Le Camerounais Emmanuel, qui anime une émission «Rythmes d’Afrique» sur les ondes de CIBL, est fasciné par le génie de Kateb Yacine. Il décide alors de lui consacrer une émission spéciale (diffusée le 17 janvier 2004) pour inciter son auditoire montréalais à aller découvrir l’œuvre phare de Yacine : Nedjma.
Le second documentaire, réalisé par la BBC, rend hommage au premier journaliste-écrivain algérien assassiné par la horde de la haine et de l’intolérance en 1993, Tahar Djaout. Djaout est l’auteur entre autres des Vigiles et de Le Dernier été de la raison qui ont été traduits récemment du français à l’anglais américain par Marjolijn de Jager.
Ce documentaire, qui nous montre une famille meurtrie suite à la perte d’un être cher, une corporation de journalistes terrorisée par le terrorisme intégriste, les partisans de l’intolérance et de la xénophobie aveugles qui persistent à défendre leur débilité, nous montre également la résistance des démocrates algériens au prix de leur vie. Vers la fin du documentaire, la fille de Djaout annonce qu’elle poursuivra le chemin tracé par son père et qu’elle relancera le journal Rupture qui était cher à Tahar. Dans la tête de ce grand journaliste et poète, le combat doit continuer pour sauver la République. Tahar Djaout disait : «Tu parles, tu meurs ; tu te tais, tu meurs ; alors parles et meurs.» Le débat qui s’en est suivi a tourné autour de l’intégrisme et des combats démocratiques en Afrique.
Les intervenants n’ont pas cessé de faire le parallèle entre les acquis démocratiques du Québec pluriel et l’intolérance qui sévit dans les pays totalitaires qui répriment la diversité et les minorités. Tirrugza a clos ses activités de la semaine interculturelle par une table ronde sur «Le sens de l’intégration» qui a eu lieu également au centre Afrika. Quatre conférenciers ont abordé les préoccupations des immigrants au Québec, depuis leur arrivée jusqu’à leur installation, voire leur intégration effective dans leur nouvelle société. Julie Mareschal, anthropologue, a dressé un tableau exhaustif sur les Kabyles qui vivent au Québec. Raymonde Dallaire, qui vient de la rive sud, a étalé son expérience dans l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants. L’artiste-acteur Rabah Aït Ouyahia a, quant à lui, tout en croyant à la possibilité de s’adapter à la vie de la société d’accueil, insisté sur la clef de l’intégration : le travail. Le professeur Lhocine Yahia enfin nous a communiqué son intervention sur le rôle des médias à faire connaître les immigrants dans le but de les rapprocher des Québécois et des Canadiens. Il a pris comme exemple l’émission berbère «Amazigh Montréal» et le bulletin Averroès que l’association berbère Averroès publiait dans les années 1980/90. L’assistance a abondé dans le même sens que les conférenciers, le travail et la sensibilisation de la société québécoise, les employeurs notamment. Ces derniers ne connaissent pas tellement les nouveaux arrivants ni leur niveau d’instruction, d’où la méfiance. Les intervenants interpellent encore une fois les institutions à arrêter d’autres stratégies pour que l’intégration devienne effective.
De Washington, El Haj ML Zouaïmia
De Détroit, MS Moufida
Avec la participation de la journaliste Djamila Addar de Montréal



Source: http://www.lanouvellerepublique.com/actualite/lire.php?ida=7521&idc=13