Depuis les événements tragiques de Saint-Jean-sur-Richelieu au mois d'octobre 2014, suivis de ceux d'Ottawa et de ceux de Paris au mois de janvier 2015, le mot radicalisation a fait son éruption dans le langage de l'actualité. Il devient le phénomène qui suscite le plus d'attention parmi toute l'actualité.

Les événements qui s'y rapportent se succèdent en mode accéléré, soulevant les inquiétudes de tous. Depuis, le phénomène est au coeur des débats publics et de l'actualité mondiale.

Selon la définition générale, la radicalisation, est le fait de rendre son action plus intransigeante, plus dure et plus extrême. Toutefois, beaucoup de questions se posent quant à ce phénomène. Quelles sont ses causes? Quels sont les facteurs contributifs? Quels sont les contextes et les conditions favorables? Quels sont les acteurs en cause? Quelles sont les pistes de solution? Des questions pertinentes en attente de réponses.

Notre postulat de départ démarre du principe défendu par la foi, la loi et la raison : que tous les humains naissent égaux et libres et qu'aucun groupe humain ne porte en lui fatalement et génétiquement le virus de la violence. La violence est un phénomène de société généré par les conditions du milieu. La violence n'a ni couleur, ni culture et ni religion.

Et, comment expliquer le phénomène de radicalisation?

L'examen des profils basé sur le peu d'information qui circule, révèle que se sont surtout des jeunes personnes âgées entre 18 et 25 ans; des garçons pour la plupart mais on compte aussi des filles. Si la plupart sont issus de milieux en difficulté et souffrent de problèmes de psychiatrie dus à la précarité sociale, au disfonctionnement familial, à la désorganisation et à l'existence dans la confrontation; certains, moins nombreux, sont plutôt scolarisés, issus de milieux sociaux et familiaux fonctionnels. Du point de vue de l'origine culturelle, on compte des occidentaux de souche et des personnes issues de l'immigration, pour la plupart des musulmans de confession. Quant aux motifs et aux motivations, l'analyse des rares messages vidéo diffusés, révèle que ces personnes sont à la recherche d'une issue à leur détresse, d'un idéal à défendre et d'une cause juste à soutenir.

Cet examen révèle que toutes ces personnes partagent la vulnérabilité et la fragilité de l'âge. Ils sont tous à une séquence de la vie où l'individu à la fois déborde d'énergie, se recherche et souffre à des degrés variés de crises d'anxiété qui accompagnent le vide vécu. Ceci bien entendu, relève du domaine de la psychologie.

Cet examen révèle que certaines de ces personnes souffrent de problèmes de psychiatrie et d'exclusion sociale; ces personnes endurent une existence difficile dans la confrontation, la déviance sociale et, une expérience assez soutenue de la vie en prison. Ce type correspond surtout aux jeunes issus de milieux défavorisés et de ghetto, dont des occidentaux de souche et des jeunes issus de l'immigration confinés dans des banlieues en détresse et laissés à leur propre compte, sans emploi, ni perspectives d'avenir. Tandis que d'autres, quoique scolarisés et en apparence issus de milieux fonctionnels, souffrent d'un fort sentiment d'injustice et d'exclusion, résultant d'une part de l'effet de stigmatisation et de discrimination dont ils font l'objet à l'échelle locale; et résultant d'autre part et à l'échelle mondiale, de l'effet des guerres d'intérêt qui secouent les pays musulmans, soutenues de la politique de deux poids et deux mesures.

Quant aux facteurs contributifs, le constat révèle:

• L'exclusion sociale nourrit un sentiment d'injustice et nourrit un sentiment de haine, mène vers la perte du lien social, la déviance sociale et vers la radicalisation;

• Le dogme intervient alors pour répondre au besoin du sujet en détresse, lui offrant une cause et un idéal à défendre, et lui donner place, reconnaissance et un sens à son existence tourmentée. Le dogme est soutenu d'un discours aveuglant et endurci, pour faciliter la récupération du sujet rejeté, en colère et pris au piège de la haine;

• L'action du loup recruteur intervient alors pour pêcher dans ces conditions fertiles et dans ces espaces de détresse, des proies faciles;

• La médiatisation excessive des actes de barbarie terroriste agit comme facteur stimulant;

• L'effet accélérateur et aggravant des réactions intervenant sous la pression des émotions au lendemain des actes tragiques. On assiste souvent à des réactions haineuses et à la montée de la stigmatisation et à la prise de décisions hâtives et abusives sous la pression de la colère du moment.

En conclusion, nous pouvons avancer que l'exclusion, l'injustice et leurs corolaires demeurent les causes principales à l'origine de la détresse sociale et de la perte du lien social. Aussi, nous pouvons avancer que la responsabilité de tous est confirmée, individus, groupes, familles, société civile, réseau associatif, cadres de socialisation et pouvoirs publics.

Nous pouvons aussi avancer que la solution passe impérativement par un processus intelligent de prévention, fondé sur une intervention systématique en amont, continue et conjointement par tous, avant même que le mal s'enracine,.

La solution doit être soutenue par certaines conditions, dont:

• La lutte contre toutes les formes d'injustice, de discrimination et d'exclusion;

• La lutte contre tous les discours racistes et haineux de tous bords;

• La promotion des politiques d'intégration en harmonie et surtout par l'emploi;

• La promotion des conditions de prospérité sociale et de lutte contre la précarité sociale et économique;

• La promotion des conditions d'une socialisation fondée sur les valeurs d'égalité, de partage, de solidarité et d'engagement citoyen;

• Promotion des programmes d'intervention et d'aide aux familles et individus en détresse;

• L'équilibre entre sécurité, droits et libertés.

Ces actions interpellent chacun dans la limite de ses responsabilités et pouvoirs.

Dr. Brahim Benyoucef

expert en sciences sociales et en urbanisme

Laval

Source: La Presse - Point de Vue