«Mon père aurait pu se sauver très facilement de la mosquée, mais il a décidé de faire face. Il a combattu», raconte le fils de l’homme assassiné alors qu’il tentait courageusement de désarmer le tueur, dimanche soir, à la mosquée de Québec.

Ce souvenir restera éternellement gravé dans la mémoire d’Ilies Soufiane, 15 ans, l’aîné des trois enfants d’Azzedine Soufiane, une des six victimes de la tuerie.

Accompagné de sa tante et de deux amis de la famille, le jeune homme a accepté jeudi de se confier au Journal pour rendre un hommage appuyé à son «héros».

Dans un mélange de tristesse, de rage, d’incompréhension et de fierté, ce grand garçon amateur de basketball a répété ceci: «Mon père est mort en héros. Il va au paradis direct». Des témoignages concordants recueillis auprès des survivants mentionnent qu’Azzedine était proche de la porte de sortie de la mosquée au moment où le tireur rechargeait son arme.

Sa tentative d’enlever l’arme du tireur a malheureusement échoué. «Mon père était juste à côté de la porte, mais il ne s’est pas enfui. Il a essayé de sauver les musulmans», a fait remarquer le jeune homme.

Connu à Québec pour être le propriétaire de l’épicerie-boucherie Assalam (La Paix), l’homme de 57 ans était surtout «un intellectuel, un diplômé en géologie qui n’a jamais abandonné malgré les difficultés de la vie», selon son enfant.

Un père aimant et attentionné

Ilies conservera l’image d’un père aimant, attentionné et attaché au bonheur et à l’éducation de ses enfants.

Les relations entre le quinquagénaire et l’adolescent n’ont pas toujours été faciles, admet Ilies avec franchise.

Malgré tout, le jeune a toujours admiré la façon avec laquelle Azzeddine réglait les petits conflits du quotidien.

«Il le faisait toujours avec calme et humour, assure-t-il. C’était le père le plus gentil au monde.»

Le père invitait régulièrement son fils à la discussion. «Il me disait toujours: viens me parler parce qu’un jour, je ne serai plus là. Il me disait de profiter de ces moments. Je ne l’ai jamais compris quand il disait ça», regrette- t-il.

Ilies Soufiane montre un coquillage qu’il a ramassé sur une plage marocaine lors d’un récent voyage. Son défunt père a jeté par erreur tous les coquillages dans les poubelles. En réalisant ensuite que son fils aîné était fâché, le père a tout récupéré et a patiemment nettoyé les coquillages un à un avant de les remettre à son garçon aîné.

Le nécessaire équilibre

S’il était évidemment fier des exploits sportifs de son fils basketteur, Azzedine Soufiane insistait toujours sur la nécessité pour le jeune de se concentrer sur les études.

«Il me répétait que ça prend un corps sain dans un esprit sain, se remémore Ilies. À la blague, il ajoutait: toi, t’as le corps, mais pas l’esprit. À chaque fois que je faisais une heure de sport, il me demandait: pourquoi ne pas consacrer la moitié de ce temps-là pour les études? Il aimait que les choses soient équilibrées.»

«Qu’est-ce qui t’a passé par la tête?»

S’il pouvait s’adresser à l’assassin de son père, Ilies Soufiene lui demanderait ceci: «Quelle raison t’a poussé à tuer mon père? Qu’est-ce qui t’a passé par la tête? Qu’est-ce que tu as regardé pour que tu ailles tuer mon père? Qu’est-ce qui t’a fait changer les idées? Qu’est-ce qui t’a mis la haine dans ton cœur pour tuer des musulmans comme ça dans une mosquée et devant une église, au Québec?», énumère-t-il.

Le drame s’est déroulé à Sainte-Foy, un quartier paisible où se côtoient différentes nationalités et cultures, rappelle Ilies. «Il y a dans le coin une épicerie arabe devant une épicerie vietnamienne. À côté, on trouve un restaurant chinois et une poutinerie. Toutes les cultures sont mélangées. C’est ça que mon père aimait ici», fait remarquer le jeune, ému aux larmes.

Voyage ultime - Comme un adieu

Les cinq membres de la famille Soufiane ont effectué la Oumra (petit pèlerinage), il y a à peine cinq semaines. Ce voyage spirituel a permis à Azzedine de parler longuement de sa vie, de sa religion, de ses ambitions et de ses problèmes à son fils aîné. «À la Mecque, il m’a beaucoup parlé. Il m’a dit: un jour, je ne serai plus là. Tu vas venir avec tes enfants et tu vas leur dire: j’étais assis ici avec mon père», se remémore Ilies, l’aîné.

La famille a profité de ce même voyage pour passer quelques jours, début janvier, au Maroc, pays de naissance des parents. «Ça faisait huit ans qu’il n’était pas allé voir sa famille, décrit Ilies. C’est comme s’il leur disait adieu.»

La vision d’horreur de sa belle-sœur

Alertée par son mari Rachid Aouame qui se trouvait à l’intérieur de la Grande mosquée de Québec au moment de la fusillade, Aziza Naanaa, belle-sœur de la victime Azzedine Soufiane, a accouru en catastrophe vers le lieu de culte. Sur place, une vision d’horreur l’attendait.

«Il m’a téléphoné pour me dire qu’il y a eu des tirs à la mosquée. Puis il a raccroché», s’est-elle remémorée, jeudi, en entrevue avec Le Journal. Paniquée, elle a quitté la maison en y laissant ses trois enfants: Ismail, Yasmine et Inesse, âgés de 11, 8 et 3 ans. «J’ai crié à haute voix. J’ai eu comme un choc électrique. Ismail criait: mon père est mort? Il était traumatisé».

Pour Aziza, le drame prend rapidement une tournure personnelle. Outre son mari Rachid, son beau-frère Azzedine se trouve à la mosquée. Elle arrive sur les lieux en même temps que les deux premières voitures de police.

« Azzedine, que Dieu ait son âme »

«Comment va Azzedine?», demande-t-elle à Rachid quand elle arrive enfin à le joindre de nouveau sur son téléphone. «Azzedine, rahimahou Allah (que Dieu ait son âme)», lui répond-il sans donner plus de détails. Comme dans un cauchemar, Aziza aperçoit d’abord le corps sans vie d’une des victimes guinéennes assassinées à l’extérieur de la mosquée. Elle discerne tant bien que mal les blessés qui sont également évacués vers les hôpitaux. «J’ai tout vu devant moi. Et je pensais en même temps à mes enfants laissés seuls à la maison», relate-t-elle.

Une terrible confusion règne durant toute la soirée. Aziza finit par rencontrer enfin sa sœur Najat (épouse de Azzedine) en soirée. Najat console Aziza en pensant à tort que c’est Rachid qui est décédé. «Ma soeur me disait d’être forte et patiente. À ce moment-là, la pauvre ne savait pas que c’est elle qui venait de perdre son mari», décrit Aziza avant d’éclater en sanglots.

Une soirée ordinaire

La soirée de dimanche avait pourtant débuté de façon banale chez les Aouame. Vers 19 h, Yasmine, 8 ans, se fait aider dans ses devoirs scolaires par son père Rachid. L’heure du dodo approche pour la petite Inesse.

Les filles sont contrariées. Leur mère leur avait promis d’aller à la mosquée l’après-midi même pour assister à une collecte de fonds pour Gaza. Fatiguée par sa semaine de travail et absorbée par la préparation du souper et des boîtes à lunch du lendemain, Aziza a dû expliquer aux filles qu’il faudra remettre ce programme à la fin de semaine suivante.

Presque en même temps, l’aîné, Ismail, 11 ans, revient de la mosquée où il a terminé son cours de Coran. Par chance, il ne reste pas sur place pour la prière du soir, car il doit lui aussi préparer ses devoirs.

La prière funéraire musulmane (salat Aljanaza) à la mémoire de trois des victimes, dont Azzedine, se déroulera vendredi à Québec. Les familles Aouame et Soufiane s’envoleront samedi pour le Maroc où Azzedine sera enterré.

Source: Journal de Québec - 3 fevrier 2017