Le Québec se questionne de plus en plus sur la place de la religion dans l'espace public, un espace qu'il souhaite laïque depuis la Révolution tranquille. Étouffée historiquement par le cléricalisme, la société québécoise considère à juste titre cette laïcité comme un acquis qu'il faut savoir protéger. Or, aujourd'hui, cet acquis, qui n'est d'ailleurs consacré dans aucune loi, semble mis à mal par la résurgence dans l'espace public de multiples symboles et revendications à caractère religieux. L'expression religieuse aurait en effet le vent en poupe, suscitant de ce fait la crainte d'un retour en arrière. La question, fort légitime, est donc posée : la laïcité québécoise est-elle en danger ?

Le Québec se questionne de plus en plus sur la place de la religion dans l'espace public, un espace qu'il souhaite laïque depuis la Révolution tranquille. Étouffée historiquement par le cléricalisme, la société québécoise considère à juste titre cette laïcité comme un acquis qu'il faut savoir protéger. Or, aujourd'hui, cet acquis, qui n'est d'ailleurs consacré dans aucune loi, semble mis à mal par la résurgence dans l'espace public de multiples symboles et revendications à caractère religieux. L'expression religieuse aurait en effet le vent en poupe, suscitant de ce fait la crainte d'un retour en arrière. La question, fort légitime, est donc posée : la laïcité québécoise est-elle en danger ?

Rappelons d'abord que la laïcité est essentiellement l'expression d'une quête de liberté de la part de l'individu moderne face à l'autorité dogmatique du religieux. Pour asseoir son emprise sur la société, celle-ci s'appuyait jadis sur un pouvoir qui lui était assuré par le contrôle qu'elle exerçait sur les principales institutions de l'encadrement social, comme les écoles, les hôpitaux, les auspices et les orphelinats. Ainsi, au Québec, les autorités religieuses influençaient fortement les décideurs politiques et imposaient parfois leurs opinions à plusieurs générations de Québécois. La séparation de la sphère politique et sociale de celle du dogme et du religieux, c'est-à-dire la laïcité, répondait par conséquent au besoin fondamental de l'être moderne québécois de vivre selon sa propre conscience, libre de toute contrainte, politiquement et socialement émancipé. Le but ultime de la laïcité était donc l'émancipation de cet individu qui tenait dorénavant à se déterminer librement dans sa vie privée comme dans sa vie publique.

Mais l'expression religieuse qui dérange aujourd'hui n'est pas de la même nature que celle dont les Québécois voulaient s'affranchir en 1960, à l'aube de la Révolution tranquille. La nouvelle expression religieuse provient de groupes ethno-religieux largement minoritaires. Ceux-ci, de surcroît, affirment ne pas chercher à imposer leur pratique religieuse à ceux et à celles qui n'y croient pas. Ils disent par contre vouloir protéger leur liberté de pratiquer leur religion à l'abri de la méfiance d'une société devenue majoritairement non pratiquante. De leur côté, les défenseurs de la laïcité soutiennent ne point souhaiter empêcher la pratique religieuse elle-même, mais récusent la visibilité de plus en plus importante que celle-ci prend dans la sphère publique. Entre les deux, plusieurs souhaitent accommoder les uns sans nécessairement mettre en danger les acquis que les autres considèrent menacés. Jusqu'où peut-on donc aller ?

Nous croyons qu'il faut aller au bout de la logique laïque, celle de l'émancipation et du libre arbitre. Celle-ci refuse catégoriquement les droits collectifs qui pourraient asservir l'individu à son groupe ethnique, religieux ou autre. Au même moment, elle ne peut qu'accepter les libertés individuelles, fussent-elles celles dont les contenus sont en contradiction avec ceux auxquels la majorité adhère. Faute de quoi, la laïcité deviendrait un nouveau dogme qui, tel le pouvoir clérical d'antan, au lieu de promouvoir ses valeurs, cherchera à les imposer à coups de discours dogmatiques et de stigmatisation. La visibilité qui dérange sera de la sorte certainement réduite, mais l'aliénation des esprits sera tout aussi certaine. Est-ce vraiment cela que nous souhaitons pour les citoyens du Québec ?

Aliénation

La pratique religieuse peut parfois constituer une aliénation. Mais pour émanciper les individus et les sociétés de cette aliénation, il faut savoir promouvoir la laïcité et non pas l'imposer. Entre des religieux émancipés, car ayant fait le choix de leur religiosité, et des laïcs aliénés, car forcés à rendre invisible leurs convictions religieuses, le choix nous semble aller de soi. À notre avis, la notion de neutralité quand elle s'applique à l'espace public, concerne principalement l'espace, c'est-à-dire les institutions, et non le public. L'espace doit être neutre, donc laïque, pour permettre justement aux individus qui le fréquentent d'exprimer leurs convictions, d'autant plus quand ces derniers proviennent de groupes minoritaires. Imposer cette neutralité aux individus, en leur obligeant à taire leurs différences sans grande conviction, serait importer au Québec des pratiques totalitaires d'un âge révolu.

Au lieu d'interdire le port d'un voile ou d'un kirpan, quand ils ne constituent pas une menace à l'ordre public, faisons plutôt la promotion des principes laïques auprès de celles et de ceux qui les portent. Ne pas redécouvrir la passion et les moyens de promouvoir ces principes, c'est risquer de pervertir le sens de la laïcité et pousser ceux qui puisent le sens de leur vie dans la pratique religieuse à s'enfermer davantage dans les ghettos psychologiques de la victimisation et du repli sur soi. C'est là où réside le véritable danger qui menace aujourd'hui la laïcité ainsi que les libertés qu'elle est censée protéger et promouvoir. Les deux seules limites légitimes à cette laïcité de la liberté étant, nous l'avons déjà dit, le refus des droits collectifs et le respect de l'ordre public.


Les auteurs sont respectivement doctorant en sociologie à l'UQAM et assistant de recherche au Groupe de recherche interdisciplinaire sur le Montréal ethno-religieux, à l'UQAM.

Source: http://www.lapresse.ca/article/20060513/CPOPINIONS/60512171&SearchID=7

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