Ammar Bouzouar n'avait pas remis les pieds au pays depuis des lustres. Mais s'il est vrai qu'on peut faire sortir un Algérien d'Algérie, on ne peut jamais faire sortir l'Algérie d'un Algérien.

Demandez à tous ceux qui, nés sur cette terre, ont dû un jour la quitter. Beaucoup de choses avaient changé. Un président devait pour la première fois sa légitimité aux urnes, mais semblait préférer à la clémence d'Auguste, dans Cinna, la vengeance de Médée qu'il faisait jouer à la jeune presse indépendante. Le long des autoroutes, une urbanisation anarchique transformait de plus en plus l'éblouissante métropole méditerranéenne en poussiéreuse ville moyen-orientale. Les magasins regorgeaient de richesses importées, mais l'argent manquait aux petites gens pour les acheter. Pourtant, l'authenticité de la ville et de son peuple était toujours là. Il suffisait d'aller à sa rencontre, de marcher les yeux grands ouverts et d'écouter… Alors l'émotion de la patrie retrouvée avait éclaté comme une houle de tempête sur le Rocher carré. Et puis Ammar Bouzouar s'en était retourné de l'autre côté de l'Atlantique. Le temps n'avait pas suspendu son vol. En France, Nicole Guedj (un nom bien courant dans l'Algérie de Papa), secrétaire d'État aux victimes, se faisait épingler par Le Canard enchaîné. Marie-Laurie, la pseudo-victime de pseudo-nazillons beurs/blacks de banlieue, avait menti, mais la virago de la croisade anti-arabe/noir avait quand même fait pression sur Jean-Pierre Elkabach pour qu'il interviewe en exclusivité la mythomane de l'agression antisémite. Pis, elle avait téléphoné au parquet de Versailles pour qu'il ne la poursuive pas. En Espagne, Gibraltar, création et écharde britannique au pied de la péninsule ibérique – comme l'avait été le Koweït pour Saddam Hussein – fêtait son 300e anniversaire. A Asunción, un patron de centre commercial faisait un autodafé de 450 personnes, plutôt que d'en laisser partir quelques-unes sans payer leurs achats et, à Washington, l'ineffable George W – le dubious Dubbya – déclenchait son alerte «électorale» sur la base d'informations vieilles de quatre ans.
De retour chez lui, le clown espagnol Javier Aviva, qui avait tenté la thérapie du rire sur les enfants palestiniens, déclarait : «À la fin du spectacle, je me rendais dans ma loge et je fondais en larmes tellement la misère des enfants est poignante.» Dis Ammar, te souviens-tu des petits «yaouleds» algériens, aux pieds nus ?

Source: http://www.elwatan.com/journal/html/2004/08/12/sup_html.htm