L’exil et la nostalgie font en sorte que tous les artistes algériens qui viennent à Montréal dans n’importe quel cadre font salles combles ou scènes débordées et magnifiques. C’est normal, ils sont les ambassadeurs de la culture algérienne dans sa diversité et sa richesse qui ne laisse personne indifférent. Cependant, il n’y a pas que le mal du pays qui habite d’autres Algériens. Il y a aussi le facteur identitaire qui prend le dessus sur le reste pour la communauté berbère de Montréal. Donc, accueillir, voir, écouter et même communiquer directement avec un artiste algérien et berbère ne ferait que le bonheur de cette frange de la communauté. Et Souad Massi, la Jane baez algérienne ne pourrait être que la bienvenue à la métropole québécoise qu’elle a déjà conquise il y a de cela 8 ans.

 

Festival International du Jazz de Montréal

« Dépositaire d’un amalgame de sonorités maghrébines, folk et flamenco, Souad Massi fait rimer douceur avec douleur si aisément que l’on croirait entendre la version algérienne d’un croisement entre Joan Baez et Françoise Hardy. Charmeuse et lucide, la chanteuse à la voix si pure rattrapera le temps perdu depuis son premier et unique passage au Festival, il y a 8 ans déjà. Dans l’intervalle, elle a régalé ses fans de 3 albums dont le plus récent, Ô houria, a été enregistré avec l’aide d’un certain Francis Cabrel. » Telle est donc, la fiche technique qu’on pourrait lire dans le programme du Festival.

C’est donc, dans le cadre de la 33ème édition de ce festival que Souad Massi a donné deux spectacles ce 4 juillet à la salle TD de la place des Arts de Montréal. Tous les Algériens et Nord-africains ont inondé l’immense scène les yeux rivés sur la star et la reine de la soirée. À l’image de la diversité qui fait l’Algérie, chaque spectateur avait ses attentes. Certains fans scandaient le drapeau algérien pour marquer le 50ème anniversaire de l’indépendance de leur pays, sans se gêner parfois à lancer certains commentaires acerbes envers leurs compatriotes qui ont une perception différente de la leur : «  Il y a beaucoup de traîtres à Montréal », dira un Montréalais d’origine algérienne qui vit au Québec depuis 26 ans. Un discours purement flniste des années 1970. Qui sont donc ces traîtres qui hantent encore la tête de cet exilé ?  D’autres, plus curieux que fans, observaient l’artiste pour se faire une idée sur elle. Donc, il était 23h quand le deuxième spectacle a pris son envol avec une présentation fracassante de l’animateur du festival : «  Je vous présente la chanteuse arabe de l’Afrique du Nord ». Les mécontentements  commençaient à se sentir, mais tout était sous contrôle. Tissa Kebbab, tout en continuant à observer l’artiste dira : «   Apparemment, elle ne veut pas s’afficher en tant qu’Algérienne. Elle a ignoré tous ces jeunes qui scandaient le drapeau algérien à l’avant de la scène, elle n’a même réagi .Elle n’a pas honoré le sang des martyrs de la révolution. Elle est restée indifférente, elle qui était là, entre autre, pour la commémoration de l’indépendance de notre pays. En Afrique du Nord, il y a plusieurs pays. Donc, d’où vient exactement Souad Massi ? En plus, elle nous a zappés, ignorés en tant qu’Algériens et ‘’ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre’’. » Cette expression québécoise veut tout simplement dire qu’on n’a pas besoin d’être intelligent pour déduire que Massi a choisi d’être ce qu’elle n’est pas. Et Mohand Medkour d’enchaîner: «  On va attendre un peu, peut-être qu’elle chantera en kabyle aussi. Elle est kabyle, non ? » Donc, ses amis et lui attendaient. Pis que cela, Souad Massi n’a même pas salué son public en Tamazight comme le font même des artistes arabophones algériens depuis des années. Elle ne l’a fait qu’en arabe et en français. La tension monte dans la tête de ceux qui attendaient plus de la fille de Mechtras de Kabylie et de Bab El Oued d’Alger. Vers 23h40, elle chante enfin ‘’Amessa adyali w-ass’’. Une superbe chanson habillée de mélodies du sud algérien notamment. Un couple kabyle, installé juste en face de l’artiste était aux anges. Ces jeunes kabyles ont enfin écouté l’artiste chanter dans sa langue maternelle, leur langue. Cependant, c’était du berbère au compte-gouttes. La part du lion a été consacrée pour la langue arabe. Saliha, une Kabyle d’Alger, visiblement déçue, soulignera à son tour : «  Je ne comprends pas pourquoi vous lui accordez autant d’importance. Elle a choisi son camp. On n’a pas besoin d’elle pour notre cause. Et puis, ses textes ne sont pas extraordinaires ». Aussi,  Mohand, qui a laissé son travail de nuit pour voir Massi, a exprimé sa déception ainsi : «  Maintenant, c’est clair. Je viens de mettre une croix rouge sur son nom et sur ses chansons. D’ailleurs, je vais tout de suite écouter les chansons kabyles dans ma voiture ».

Le crime de Souad Massi

Donc, Souad Massi, la veille du 50ème anniversaire de l’indépendance de son pays, elle n’a pas pensé rendre hommage aux martyrs de la révolution. Elle n’a pas songé non plus honorer son identité en chantant et en disant quelque chose sur le combat amazigh et sur les artistes et militants qui ont donné leur vie pour cette cause. Elle s’est contentée de balancer quelques mots kabyles glissés dans une chanson. Était-il un crime de chanter en arabe algérien ? Pas du tout. Il y a beaucoup d’artistes comme El Anka, El Hasnaoui, Sami El Djaziri, Akli yahyaten, Slimane Azem, Kamel Messaoudi, Amar Ezahi et tant d’autres qui ont assumé les deux langues de ce pays avec brio. Le crime, par contre, est d’être amazigh et de promouvoir exclusivement la langue et la culture de l’autre et de mettre de côté sa propre langue, la langue de ses ancêtres, la langue et l’identité pour lesquelles des hommes et des femmes ont donné leur vie, leur jeunesse, leurs enfants et leurs énergies pour qu’elle soient réhabilitées chez elles. Certains diraient qu’on ne peut pas imposer à l’artiste ce qu’il doit faire. C’est certain, mais donner l’illusion d’être de qu’il n’est pas et faire croire aux yeux du monde que cette Algérie est arabe relève d’une inconscience déconcertante. Il ne suffit pas d’être berbère à côté du grand Idir ou chez sa famille. Il faut l’être devant le monde, le défendre et l’assumer. Matoub Lounès, Mouloud Mammeri et Kateb Yacine l’avaient fait. Pourquoi pas Souad Massi ?

Tighri : le cri sans échos

Ce constat est dur, mais c’est parce que Souad Massi est une artiste extraordinaire à la voix et aux mélodies magnifiques que les attentes de son peuple sont immenses. Elle est censée être l’ambassadrice d’une Algérie authentique et plurielle, pas celle qui est fabriquée de toute pièce par un pouvoir totalitaire et panarabiste. Les langues algériennes sont belles et vivantes. Il faut les assumer, les aimer et les rehausser naturellement dans l’espace public. Il faut que cela vienne du cœur et de la tête de l’artiste aussi. D’ailleurs, l’une de ses plus belles chansons est en kabyle. Nul ne peut le nier. C’est un fait. ‘’Tighri, le cri’’. Dans ce chef d’œuvre, car c’en est un, Souad dresse le tableau d’une personne perdue et coincée qui ne sait ni d’où elle venait ni où elle était. Son cri à l’aide du fond d’un sentier demeure sans échos. Le message de cette chanson s’applique sur les Amnésiques amazighs et algériens, pas sur ceux et celles qui luttent pour leur identité, pas sur Matoub Lounès. Cette cause doit être l’affaire de tous les enfants de Tamazgha chez eux, dans l’espace public et aux yeux du monde. Ce n’est pas l’entourage de Souad Massi qui  décidera de ce qu’est l’Algérie et encore moins les animateurs du Festival du Jazz de Montréal.