Ces reporters de guerre étaient aux avant-postes durant la guerre de Libération nationale, pour présenter  au monde le profil immonde de la campagne de “pacification” que la France menait en Algérie.  Leurs reportages sont de précieux documents historiques.

Clare Hollingworth vient de fêter ses cent ans. Cette petite dame peu ordinaire est un ancien reporter de guerre de plusieurs quotidiens britanniques, qui a collecté durant sa longue carrière des prix innombrables, à faire pâlir d’envie les détenteurs du Pulitzer tous réunis. En 1963, elle obtenait the Granada Journalist of the Year et le Hannan Swaffer awards, du nom d’une des doyennes du journalisme féminin au Royaume-Uni.

Cette double récompense lui avait été attribuée par ses confrères, pour sa couverture exemplaire de la guerre d’Algérie. À Alger, Clare était bien accréditée par l’armée française. Mais cela ne l’a pas empêchée de nouer des contacts avec des combattants du FLN et de rapporter au public une autre facette, immonde, de la guerre de pacification que Paris était en train de mener dans sa colonie d’Afrique du Nord. Sa sympathie pour ceux qu’elle qualifiait de rebelles ne l’a pas non plus empêchée de relater leurs dérapages. En arrivant à Alger au début des années 50, Clare est déjà une journaliste très connue. Elle est devenue célèbre à 27 ans en étant la première à révéler au monde le début de la Seconde Guerre mondiale, à travers un reportage paru à la une du Daily Telegraph, sur la présence de divisions blindées allemandes à la frontière avec la Pologne. L’ambassade de Grande-Bretagne à Varsovie apprend la nouvelle à travers elle, par téléphone. Depuis, les scoops deviennent monnaie courante chez cette baroudeuse qui a ratissé le monde et n’a jamais eu peur d’aller au cœur de l’événement, souvent au péril de sa vie. à Alger, elle était l’une des rares journalistes occidentales à entrer dans La Casbah, réputée pour avoir été le fief du FLN dans la capitale. Elle avait tendu le micro aux responsables de la Révolution et fait mention, de manière récurrente dans ses articles, du désir profond des Algériens de s’affranchir de la tutelle de la France. “Clare était extraordinaire là-bas. évidemment, c’était très pénible et dangereux. Des gens étaient tués en pleine rue. Mais cela ne l’a pas empêchée de sortir faire son travail. Elle avait réussi à cultiver des relations de confiance, côté algérien. Elle faisait du très sérieux journalisme”, disait d’elle Tom Pocock, un de ses confères, en 2007. À l’opposé d’autres reporters qui ont porté volontiers des œillères, Clare s’est astreinte à une objectivité rigoureuse dans sa couverture de la guerre d’Algérie. Après l’indépendance du pays, elle a observé avec regret le déplacement du combat sur le terrain de la lutte pour la conquête du pouvoir entre les anciens libérateurs. Dans son ouvrage autobiographique The Front Line (La Ligne de Front), elle a présagé les cycles d’incertitudes et d’instabilité dans lesquels la nouvelle Algérie allait entrer. Aujourd’hui, les Algériens rêvent toujours d’un avenir radieux, alors que, de son côté, Clare a oublié en partie son passé. À 100 ans, sa mémoire flanche et elle ne se souvient pas vraiment de ses hauts faits d’armes ni de combien de fois elle a failli perdre la vie dans l’exercice de sa profession.

Sir Alistair Horne est son cadet de 14 ans. Lui aussi a connu l’Algérie en guerre, comme journaliste durant les années 50. Plus connu comme historien, il a écrit un livre The Savage War of Peace, sobrement traduit dans sa version française par Histoire de la guerre d’Algérie. Dans cet ouvrage, il confirme l’usage systématique de la torture par l’armée coloniale, surtout pendant la Bataille d’Alger, dont il avait été témoin. “Le titre ‘A Savage War of Peace’ est une citation de Kipling dans un contexte différent. Dans ma logique, c’était une guerre sauvage, une guerre terrible pour les civils algériens, tués par milliers par les militaires français. Le nombre d’Algériens tués a été d’environ un million, soit 10% de la population, tandis que l’armée française a perdu environ 30 000 hommes”, expliquait-il dans une interview il y a quelques années. Plus de vingt ans après sa publication, le livre d’Alistair Horne tombe entre les mains de George W. Bush. L’ex-président américain le lit sur les conseils d’Henri Kissinger, ancien secrétaire d’état, pour tirer des leçons susceptibles de l’aider à gérer mieux la guerre en Irak. Il reçoit ensuite l’écrivain pour avoir de plus amples explications. “Le président américain m’avait demandé, dans une rencontre, ‘comment de Gaulle a pu sortir de l’Algérie ?’ J’ai répondu : ‘Monsieur le président, il en est sorti très mal, il a tout perdu.’ M. Bush a dit : ‘Nous n’allons pas tout perdre en Irak et nous n’allons pas en sortir.’ Je pense que si mon livre avait été bien lu par les Américains et les Anglais, s’ils avaient étudié la guerre d’Algérie, ils auraient été plus vigilants, ils auraient certainement agi différemment”, fait encore savoir Horne. En Grande-Bretagne, la guerre d’Algérie est revisitée souvent par la presse, pour rappeler son atrocité. Tout récemment, la quasi-totalité des journaux ont publié des articles commémoratifs des massacres du 17 Octobre 1961 à Paris. The Daily Mail a épinglé le président Nicolas Sarkozy pour sa politique de deux poids, deux mesures. Le journal lui reproche notamment d’exiger de la Turquie de faire acte de repentance à l’égard des Arméniens, alors qu’il refuse de demander pardon aux Algériens.


Source: Liberté