Il y a d’un côté un peuple désabusé qui veut en découdre, mais qui ne sait pas comment s’y prendre. Il a comme a tout un vent de révolte en poupe, deux modèles de soulèvements populaires réussis et à portée de vue (en Tunisie et en Egypte), l’audace et le rêve de sa jeunesse, un gouvernement cliniquement mort, dépassé, divisé et sans perspectives.

De l’autre côté, il y a un pouvoir usé, mais fort de la division de son peuple. Un pouvoir qui a 50 ans d’expériences en laboratoire sur une population prise au berceau de l’indépendance, nourrie au sein de la révolution paternaliste, et dont le cerveau a été lavé et l’estomac pris en otage. Et cerise sur le gâteau, un pouvoir qui peut compter sur le vide politique incarné par une opposition « parlementaire », pour qui le peuple sert de marche pied plutôt que de base électorale.

Le 12 février devait donc être le début de la fin d’un régime déliquescent, mais le peuple n’a pas été au rendez-vous. Ô désillusion ! Peu d’Algériens se sont mobilisés, mais d’autres Algériens en tenue, revigorés par des émoluments doublés, les ont empêchés de réclamer à leur tour une part du gâteau national. Le pouvoir a toujours laissé ces deux Algérie s’affronter en les regardant du haut de son cynique calcul de survie.

Pourquoi alors, la place du 1er mai ne s’est-elle pas transformée en la place Tahrir ? Les algériens sont pourtant culturellement proches des égyptiens et leurs deux régimes sont quasi jumeaux : c’est l’armée qui détient le pouvoir.

Probablement parce qu’en Algérie, le peuple ne se reconnaît pas dans cette opposition qui l’a appelé à sortir dans la rue. Et il n’a pas eu assez de temps pour apprivoiser les autres meneurs réunis en comité, formé à la va vite, donc pas assez identifiable pour les algériens; qui ont appris à se méfier de tout effet de surprise.

Et comment ça pouvait en être autrement. Comment un jeune qui n’a jamais croisé ce même député « marcheur du 12 février», dans un bus ou dans une bousculade à la mairie pour obtenir le fameux S12, peut-il croire en celui-ci. Comment un salarié qui n’a pas eu l’occasion, une fois dans sa vie de se frotter, voire de discuter avec ce député à la Poste lorsqu’il va chercher son smic de subsistance. Leurs salaires ne sont pareils, leurs mondes sont tout aussi décalés. Comment espérer séduire la foule, quand on pause en smoking avec BHL au Festival de Cannes, alors que les jeunes se noient par centaines en méditerranée.

La marche n’a pas marché, parce que le peuple refuse de se laisser marcher sur les pieds. Il ne suivra plus ceux, toujours les mêmes, qui ne veulent pas au fond le servir, mais se servir de lui.

La marche marchera quand c’est le peuple qui la portera. Il aura le dernier mot. Ce jour finira par arriver. Le ras de marée empotera alors tous les marchands, et cette “élite” qui méprise ce «ghachi » (la populace) tout en se revendiquant de lui.

Source: Blog Djazair Avant Tout