De quels prophètes et de quelle absence de Dieu s’agit-il dans cette pièce pour commencer par le titre lui-même?

Dans quelle genre de pièce on dénomme un personnage du nom de l’auteur, autrement dans quel but la pièce se prend pour son propre objet, pour sa propre représentation, son dédoublement, non seulement par la mise en scène du montage de la pièce elle-même mais encore par la tournure qu’elle a prise par la mise en abyme à un moment de la pièce, au moment ou les comédiens ( en les personnes réelles de Gerald Chatelain pour Jésus et Louis Basile Samier pour Moise ) cessent ou/et refusent d’incarner leurs propres personnages, en une confrontation avec l’auteur ( qui est paradoxalement un personnage comme on l’a souligné, le comédien et l’auteur réel de la pièce, parce qu’on peut imaginer ce personnage de l’auteur joué par X ou Y )?

Cette confrontation avec l’auteur autour de l’impossibilité de la représentation par un comédien du personnage de Mohamed/ Mahomet se transforme comme je l’ai dit en une mise en abyme ( celle-ci veut dire en générale l’insertion dans la pièce de théâtre ou un texte littéraire ou un tableau de peinture de procédés narratifs ou scénographiques de la production même de cette pièce, ça peut être le narrateur qui s’adresse au lecteur en la personne de vous ou de tu, encore le récit se prend pour son propre objet, la métaphore du serpent qui se mord la queue en est le meilleur exemple).

Ceci pour dire que la pièce n’a pas de thème principale sans être exclusif d’autres interprétions surtout thématique favorisant un quelconque débat sur les religions, la démystification, démythification des prophètes, une lecture matérialiste, problématique de la genèse des religions, on reviendra sur ça, donc la pièce à mon avis n’a pas d’autres thème principale autre qu’un questionnement sur la possibilité du théâtre, sur une réflexion sur Qu’est ce que c’est le théâtre ? Une réflexion qui prolonge toute la pensée moderne sur l’art de Nietzsche à Paul Klee, d’Antonin Artaud à Blanchot et j’en passe.

Les prophètes sans Dieu c’est les artistes, qui mobilisent la puissance du faux, la fiction au profit de la vie qui n’a pas besoin de livre sacré, de Dieu, de fidèles, de sanctuaires, de politique, de violence pour exister .Pourquoi prophètes sans Dieu, l’auteur en fait la mise au point à ses personnages en leur disant : « Vous apportez la parole de Dieu aux hommes, nous les homme des théâtre nous apportons les paroles des hommes aux hommes » Mais la confrontation va plus loin en mettant ces prophètes face à face avec leurs propres textes, en versifiant les textes, en les pervertissant, une autre façon de dire y a-t-il réellement d’auteurs de ces textes que vous ? Dans cette pièce le personnage qui brille par sa grande absence, absence réelle et définitive, ce n’est pas Mahomet mais Dieu, c’est le grand présent par son absence même, le théâtre met en scène la grande solitude de ces personnages de chair et d’os qui ont enfanté dans la mélancolie et la sublimation la Thora, la Bible et le Coran, fruit d’une imagination qui frôle la fantaisie, signe de textes qui portent les stigmates ou les traces d’une localité, à savoir le Moyen Orient, aride, désertique et austère.

Est-ce que l’impossibilité de représenter Mahomet sur le podium en est le thème majeur, en explicitant le statut de l’art dans l’Islam voué aux anathèmes, à l’interdit, l’Islam a hérité du christianisme cette guerre mené à toute représentation iconologique du Christ, la version islamique n’est qu’un avatar.

Je suis porté à penser l’inverse, je pense que cette impasse sur laquelle se focalise toute cette pièce n’est qu’un alibi pour créer cette mise en abyme dont je parlais tout à l’heure, pour poser la question qui hante la pièce : qu’est que c’est le théâtre, sa condition de possibilité, sa fonction. À la fin d’ailleurs la poésie interfère pour transformer la pièce en un grand hymne à la vie digne d’un hommage dionysiaque à la nietzschéenne. Je suis porté à penser l’inverse parce que l’auteur a trouvé matière à paralyser la pièce au milieu, la pousser à se retourner contre elle-même en un mouvement de dédoublement spéculaire (c’est comme si vous mettez deux miroirs l’un en face de l’autre) au point que les comédiens se détachent de leurs personnages. Vous savez le comédien et le personnage qu’il joue sont comme le pile et le face d’une pièce de monnaie, dans le théâtre ou l’art classique, on a l’impression que la pièce est collée sur l’une de ses face au podium ou au texte, par contre dans l’art ou le théâtre moderne comme celle qu’on a vue c’est que la pièce de monnaie se lève, se met debout sur le bord et se met à tourner comme une girouette. Tenez je vous donne un exemple, et justement pour parler un peu de la gestuelle dans cette pièce, au moment ou l’homme ( je le nomme pas exprès ) aux cheveux blanc et longs quitte le podium, vient dans les tribunes, exactement orchestre, reste un moment, ensuite revient sur scène, de qui s’agit-il du personnage Jésus ou du comédien Chatelain ? Eh bin c’est l’une des mises en abyme gestuelle de la pièce, briser la mise scène classique, démolir ce qui sépare le public de la pièce, interpeller les spectateurs, la mise en abyme encore c’est l’invitation faite au public par l’auteur de participer.

Dans ce cas la, je pense que nous le public avions raté ce moment, ça se passait au moment ou l’auteur continue son argumentaire sur l’impossibilité de représenter Mahomet, il expliquait en mimant son explication en disant : « Si je représenterai Mahomet, à peine franchira-t-il ce rideau, à peine fera-t-il quelques pas sur la scène, le public criera : Allah est grand, Mohamed est son prophète !!! il n’y aura jamais de personnage nommé Mohamed, il ne peut être que lui-même en personne, il s’incarnera tout de suite ».L’auteur finit cette explication, Chatelain/Jésus, patient derrière le rideau qui portait des écritures en Arabes, très concentré, d’un geste majestueux se dirige vers la scène, en face du public, marchant avec des pas sereins, à peine au bout de la scène en face de nous, l’effet attendu n’a pas eu lieu, nous le public à ce moment aurions donné une autre tournure si on s’est exclamé comme si c’était Mohamed en lui-même comme l’aurait souhaité indirectement l’auteur, à ce moment croyants et non-croyants aurions déclaré la suprématie de l’art sur la religion, aurions incarné la vraie apostasie, ayant succombé aux illusions du théâtre, et aurions donné raison, milles fois raisons que réellement les artistes c’est les prophètes sans Dieu, produisant des miracles sans récupération du ciel mais pour avoir les pieds sur terre. L’auteur d’ailleurs en a fait une démonstration en jouant sur les effets lumineux en tapant de ses mains.

En dernier lieu, on ne peut s’en empêcher de parler de tout ce qui mine toute cette problématique de l’interdiction inhérente au sacré, à savoir le politique, l’auteur en essayant de répondre à ses personnages Moise et Jésus, perplexes et mettant en doute sa neutralité religieuse, il répond superbement : « Je ne suis ni musulman, ni chrétien, ni juif… JE SUIS MENACÉ » Quel meilleur rabattement vers une catégorie qui n’est ni confessionnelle, ni métaphysique, ni politique : être menacé défit toute notion d’appartenance sauf au royaume des morts, des tirées par balles réelles, des poignardés, des déchiquetés à la bombe…appartenance à la catégories des milliers d’anonymes morts et mortes en Algérie ou ailleurs, appartenance à la catégorie des Djaout, des Matoub Lounes, des Azzedine Medjoubi, des Smail Yafsah, des Alloula…. menacés mais hélas: morts.

Le public Québécois aurait compris, dire et mourir est un destin encore inévitable pour un artiste audacieux sur les terres d’Islam, l’Inquisition est encore en vigueur et d’actualité.