Norme d’analyse:

Pour éviter l’écueil lié à la traduction de « sphère publique » par « espace public » de l’allemand au français, la norme d’analyse qui sera utilisée est la citation suivante de Jurgen Habermas :

"[R]adical sense of democracy" in which the people themselves would be sovereign in both the political and the economic realms against current forms of parliamentary democracy. [1]

Par cette norme, dans son schéma dialogique, le système informationnel est (donc) doté de trois composantes: le pouvoir, les médias et l’opinion publique.

Contexte d’analyse

Le travail demandé : la rédaction d’une analyse de la presse sur la base de l’interview d’un journaliste dans le format d’un article factuel avec pyramide inversée et niveau zéro (0) d’écriture. Les spécifications sont : trois (03) pages, police de caractères Arial, taille : 12, interlignes : 1,5.

Pour permettre une mesure de l’objectivité par le lecteur de l’article présenté, l’étudiant précise qu’il est ami avec Said  Djaafer.

L’article à proprement parlé.

Le journalisme en Algérie. L’éthique sanctionnée au pénal.

Dans des environnements politiques, économiques, sociaux, culturels différents et dans une tendance à la comparaison avec les pays occidentaux; en Algérie, le traitement médiatique de certains domaines est souvent jaugé à l’aune de leurs pendants dans les premiers, avec, pour des raisons linguistiques, une préférence pour les francophones. Celui de la presse est un cas à part.

Sans organismes dédiés à la protection des journalistes et sans définition ni codification dans un corpus issu de la corporation journalistique, l’évaluation de son éthique professionnelle, se fait devant les tribunaux;  Said  Djaafer : « Dans les faits, la reddition de comptes se fait par le biais du code pénal … »,  ce qui revient à se questionner sur la nature des relations entre le pouvoir, les médias et les lecteurs.

Les pouvoirs de la presse, de l’opinion publique et du « pouvoir ».

Dans les journaux algériens, les détenteurs de la décision politique et militaire sont désignés sous le vocable peu usité de « Cabinet noir », le plus courant est « Le pouvoir », ce qui évite toute identification nominale. Si citer les noms des avocats qui plaident ne pose aucun problème; ceux des magistrats, autrement dit le pouvoir judiciaire, qui rendent la justice, constitutionnellement, au nom du peuple est un exercice rarement pratiqué par les journalistes.

Aborder les concepts de « 4ème pouvoir » reconnu en occident aux journaux et de « 5ème pouvoir » à l’opinion publique, fait dire à notre interlocuteur : « La presse est économiquement dépendante, elle n’est donc pas ce fameux 4ème pouvoir, pas plus que l’opinion publique n’est un pouvoir en Algérie ».

L’information : signature, contenus, sources, manipulation et le tabou.

Pratique disparue en Amérique du Nord; en Algérie, pour une multitude de raisons, la signature sous pseudonyme est banale. « [Sans] s’en contenter », les sources d’informations principales demeurent les déclarations formelles et les déjà établies comme les experts; par contre l’exploitation par les journaux d’une information subliminale ou sortie d’une langue fourchée ne présente pas d’intérêt.

Même si elles sont rares, des interviewes bidonnées et endossées par des journalistes ont été publiées. Soumis à la pression financière des pourvoyeurs de publicités du secteur libéral privé, les articles concernant leurs activités ne sont pas soumis à une lecture au préalable avant publication.

La prolifération de l’information numérique dite alternative crée une concurrence. Pour Said Djaafer, «Elle n’est pas toujours positive car les « acteurs » de l’information sur les réseaux ne s’astreignent pas à des règles basiques de vérification ». Pour notre interlocuteur : « La règle est de ne pas reprendre les informations diffusées sur les médias alternatifs. Il s’agit de prendre le temps – quitte à arriver en retard – pour traiter une information, la vérifier, la recouper. »

Quant aux équilibres dans les contenus, Said Djaafer dit : « Le rubriquage dépend de la tonalité globale du média. Dans un média en ligne comme le nôtre, nous réagissons à l’information « chaude » mais nous avons un rubriquage assez classique, qui me semble équilibré. Avec en plus, la partie blog qui est le domaine de l’opinion et du débat [des lecteurs] » qui cassent les tabous que la presse ne traite pas et l’exemple, en introduisant la question, est :

« L’Algérie est un pays sous développé. Elle manque de production universitaire. Les journalistes ont des difficultés à comprendre des concepts théoriques utilisés par certains universitaires, chercheurs, experts étrangers. »

Q(uestion) . Est-vous d’accord avec toutes ces affirmations, avec quelques-unes seulement et dans ce cas lesquelles ou aucune ?

[Réponse :] « SANS REPONSE », une transition vers le background des professionnels.

Les professionnels de la presse et la nature du journalisme en Algérie

Issus de l’Institut des Sciences de l’Information et de la Communication rattaché à l’Université d’Alger ou formés sur le tas, les journalistes algériens ont, selon Said  Djaafer, « [une] faible formation » et exercent leur métier dans un milieu soumis à « la dépendance économique ». Pour lui «Le vrai enjeu est l’accumulation des connaissances par les journalistes ». À la question de savoir si le journalisme en Algérie est de nature libérale ou autre, sa réponse est, en deux parties : «[D]ans un système qui n’est pas démocratique et où la séparation des pouvoirs n’est pas une réalité et où aussi les journaux font aussi partie d’un jeu politique compliqué pour ne pas dire opaque et manipulateur » suivie de « Libéral ? À mon avis, cela n’a pas de sens. » . Ce qui fait que  dans ses mots que « Le chemin est encore long ». Un chemin qui devra passer par une révolution du type du Bill of Rights de 1689 au Royaume Uni ou du Premier amendement de 1789 proclamé par l’État de Virginie et adopté par la constitution des USA, le chemin d’une révolution et Jurgen Habermas revivra.    

Fin de l’article et l’interview à la suite.

Pour une exigence de mon cours en journalisme à l’Université de Montréal et qui porte sur la confection d’une interview d’un journaliste et après avoir obtenu l’autorisation de mon chargé de cours de la réaliser avec un journaliste non canadien, vous avez eu l’amabilité d’accepter de répondre à mes question­­s, je vous remercie.

Je vous informe que votre identité et le journal pour lequel vous travaillez au moment de cette interview seront cités dans le document qui sera remis à l’Université de Montréal.  

Afin de répondre aux exigences d’objectivité dans l’analyse qui en sera faite et de vérité dans la transcription de vos réponses, je vous saurai gré de prendre en considération mon souhait d’obtenir des réponses courtes pour les questions précédées de la lettre C (courte), à développement libre pour celles précédées de la lettre L (Libre) et à votre appréciation, elles qui le sont avec la lettre A (à votre gré). La mention « SR » pour les questions à lesquelles, vous ne voulez pas répondre est souhaitée.

[C]. Q. Existe-t-il des écoles de formation de journalistes en Algérie ?

Il existe depuis longtemps à l’université un institut de journalisme qui a au fil du temps pris différentes appellations. Pendant longtemps, c’était une filière de l’institut des sciences politiques. Aujourd’hui, il s’appelle l’institut des Sciences de l'Information et de la Communication (ISIC).

[L]. Q. Est-ce que les journalistes poursuivent des formations de recyclage dans les techniques de rédaction et de perfectionnement dans leurs domaines pour les journalistes spécialisés ?

La spécialisation des journalistes est relativement récente.  La tendance reste encore celle de journalistes polyvalents, qui traitent de tout… L’absence de spécialisation conduit souvent à rester en surface, à aborder les choses de manière superficielle ou alors par des biais censés être attrayants… L’absence de structuration de la presse algérienne où le nombre de titres – plus de 130 – constitue une aberration économique n’a pas favorisé la marche vers la spécialisation sauf pour le sport où celle-ci a toujours plus ou moins existé. On constate ces dernières années, dans certains journaux, des journalistes qui se spécialisent en économie, culture… Est-ce qu’ils poursuivent des formations de recyclage, cela existe parfois. Mais les journalistes se forment sur le tas, en observant ce qui se fait ailleurs. Le véritable enjeu n’est pas dans les techniques rédactionnelles qu’il est aisé d’acquérir. Le vrai enjeu est l’accumulation des connaissances par les journalistes. On peut parfaitement maitriser les techniques rédactionnelles sans pour autant faire des articles pertinents en économie par exemple. Cela est valable pour l’économie comme pour les autres disciplines.

[C]. Q. Existe-t-il un organe pour la reddition de compte dédié à l’éthique des journalistes ?

Il y a eu au début 2000, la mise en place, dans des conditions très controversées, la mise en place d’un conseil de l’éthique et de la déontologie et même adoption d’une charte de l’éthique. Cela n’a pas fait long feu dans une profession très divisée politiquement. Le gouvernement envisage dans le cadre de nouvelles lois à mettre en place un Conseil d'éthique et de déontologie… Dans les faits, la reddition de comptes se fait par le biais du code pénal…

[C]. Q. Existe-t-il des organismes de protection des journalistes ?

Les journalistes ne sont jamais parvenus à se doter d’un syndicat représentatif en raison de divergences politiques et idéologiques. Il n’existe pas d’organismes dédiés à la protection des journalistes.

[L]. Q. Est-ce que la publication d’une information d’intérêt public de quelque nature qu’elle soit doit être dépénalisée ?

Qu’entendez-vous par information d’intérêt public ? La notion est un peu vague… et léonine. S’il s’agit d’informer sur des questions qui touchent à l’intérêt général (santé, corruption sur les marchés publics, atteintes aux droits de l’homme…), cela est l’essence même de la profession et en tant que journaliste on ne peut que souhaiter et militer pour la dépénalisation. Mais sur ces sujets, il convient aussi de s’astreindre à la norme générale : ne pas accuser sans preuve, ne pas se faire le relais de «dossier » concoctés à des fins de règlements de comptes… Le journaliste ne peut, au nom de l’intérêt public, se départir des règles… A plus forte raison, dans un système qui n’est pas démocratique et où la séparation des pouvoirs n’est pas une réalité et où les journaux font aussi partie d’un jeu politique compliqué pour ne pas dire opaque et manipulateur.

[C]. Q. Est-il éthique d’écrire sous pseudonyme ?

En Algérie, dans les années 90, et dans un contexte très anxiogène et dangereux, le recours au pseudonyme est devenu une nécessité. Est-il éthique d’écrire sous pseudonyme ? A mon avis, cela ne pose pas de problème quand on écrit dans un journal qui a une existence légale et qui est comptable devant la justice de ce qu’il publie. Dans ce cas, un journaliste qui utilise un pseudonyme, n’est pas un journaliste anonyme. Il est comptable de ce qu’il écrit.

[A] Q. Selon le rubriquage de votre journal, est-ce que les contenus sont équilibrés ?

Là également, cela dépend de la nature du journal… Vous pouvez avoir des médias plus portés sur les thèmes de société que sur la politique. D’autres qui privilégient les informations économiques. Le rubriquage dépend de la tonalité globale du média. Dans un média en ligne, comme le nôtre, nous réagissons à l’information «chaude » mais nous avons un rubriquage, assez classique, qui me semble assez équilibré. Avec en plus, la partie blog qui est le domaine de l’opinion et du débat.

[C]. Q. Quelle est la part du storytelling et de l’infotainment dans vos éditions ?

Ce n’est pas notre manière de faire. La règle est d’informer correctement et de la manière la plus complète et compréhensible possible. Et encore une fois, ce ne sont jamais les « techniques » qui sont déterminantes, mais la culture et les connaissances du journaliste. La spécialisation permet une accumulation de connaissances, d’informations et de backgrounds qui sont hautement utiles quand on traite un fait ou un événement. La pyramide inversée reste une démarche éprouvée que tous les journalistes débutants doivent apprendre et maitriser.

[L]. Q. Est-ce que le qualificatif de « libéral » est applicable au journalisme en Algérie ?

Libéral ? A mon avis, cela n’a pas de sens. Nous avons un espace médiatique dont l’existence est surdéterminée par la politique et qui est économiquement dépendant de la publicité publique. Même les annonceurs privés choisissent de ne pas donner de la publicité à des journaux ou des médias supposés être hostiles au pouvoir. On est totalement dans une situation de rapport de forces. Cette notion de «libéral » ou non, me parait donc inopérante pour expliquer l’état de la presse algérienne et son contenu.

Q - La presse est appelée le 4ème pouvoir, l’opinion publique en est le 5ème. Est-ce que ces deux pouvoirs sont opérationnels en Algérie ?

J’ai déjà que la presse est économiquement dépendante, elle n’est donc pas ce fameux 4ème pouvoir ? Pas plus que l’opinion publique n’est un pouvoir en Algérie.

[A]. À qui s’adressent les journaux algériens : aux lecteurs populaires ou à une élite ?

Les deux. Il y a des journaux en Algérie qui sont dans le modèle des tabloïd et d’autres qui se veulent plus élitistes et donc cibles les cadres.

Les langues arabe et française sont les langues de travail des journalistes algériens.  Approximativement, quel est le rapport entre les tirages des titres en arabe et en français ?

Les plus grands tirages de la presse écrite en Algérie sont le fait des médias arabophones. Cela correspond clairement à une évolution de la société où la diffusion de la langue arabe est plus grande. L’écart est énorme entre les premiers tirages des journaux arabophones qui sont de l’ordre de 500.000 et les premiers de la presse francophone (100 à 120.000).

[L]. Q. Dans un espace informationnel globalisé (mondialisé), est-ce que ces deux langues sont suffisantes pour produire une information conformée par plusieurs sources ?

Quelle autre langue pourrait être utilisée sur le marché algérien ? Je ne vois pas… Dans un avenir, un peu lointain, l’anglais peut-être, mais je ne peux me risquer à faire des prévisions.
« L’Algérie est un pays sous développé. Elle manque de production universitaire. Les journalistes ont des difficultés à comprendre des concepts théoriques utilisés par certains universitaires, chercheurs, experts étrangers. »

[L]. Q. Est-vous d’accord avec toutes ces affirmations, avec quelques-unes seulement et dans ce cas lesquelles ou aucune ?

SANS REPONSE

[Q]. Depuis les années 2000, l’Afrique du Nord a vécu et vit des événements tragiques. Est-ce que les journaux algériens en ont anticipé certains d’entre eux ?

On peut relire les journaux algériens, on peut trouver des articles qui ont anticipés les événements. Mais anticiper les événements n’est pas la vocation des journalistes. Cela fait partie de l’activité générale des politiques, des chercheurs, bref de l’ensemble des élites. La presse n’est que le reflet de cette activité générale.

Une interview bidonnée est un texte dans lequel l’interviewé et l’interviewer sont la même personne. Elle peut être endossée par un journaliste et publiée dans le journal pour lequel il travaille. Est-ce que cette pratique existe en Algérie ?

Cela est arrivé. Mais ce n’est pas une pratique répandue car elle est trop grossière pour passer sans encombre. Le vrai problème de la presse est d’abord sa dépendance économique et la formation, faible, des journalistes.

[C]. Q. Est-ce que la prolifération de l’information numérique (sur les réseaux Internet) concurrence l’information institutionnelle (celle des journaux établis ou réputés comme tels) ?

Oui, les réseaux sociaux créent une concurrence. Elle n’est pas toujours positive car les «acteurs » de l’information sur les réseaux ne s’astreignent pas à des règles basiques de vérification de l’information.

[A]. Q. Est-ce que les journaux algériens ou le vôtre ont une stratégie pour corriger les informations fausses et/ou mensongères qui sont propagées par les médias alternatifs ?

La règle est de ne pas reprendre les informations diffusées sur les médias alternatifs. Il s’agit de prendre le temps – quitte à arriver en retard – pour traiter une information, la vérifier, la recouper. Bref, l’astreindre à un traitement professionnel.

[A]. Est-ce que les acteurs du marché de la publicité et du marketing sont informés des contenus factuels qui les concernent avant publication. Si oui, est-ce que ces contenus sont profilés selon leurs recommandations ?

La réponse est non

Les sources officielles, entendu les institutionnelles ou celles de l’État algérien, s’expriment peu dans les journaux. Est-il objectif de rapporter uniquement les déclarations de leurs porte-paroles (en Amérique du Nord, le vocable de relationnistes est aussi utilisé) ?

Il faut rapporter leurs déclarations. Mais il ne faut pas s’en contenter.

Dans une vidéo publiée sur Youtube relayée sur Facebook, par paraphrase, dans une déclaration prise comme une boutade, le Premier ministre algérien a déclaré que bientôt les Algériens auront des doubles puces. J’affirme que derrière l’expression « doubles puces » se cache un marché potentiel d’environ 8 milliards de dollars américains. Il vise les RFID (Identification par ondes radio) et autres services qui pourraient être offerts aux consommateurs (santé, assurances, banques). Dans un suivi léger des médias, à ma connaissance, aucun n’a rebondi sur la signification de cette boutade.

[A]. Q. Selon vous, est-ce que les déclarations informelles des dirigeants politiques doivent subir le même traitement que les formelles ?

Peut-être que les médias ne créditent le Premier ministre du même «sérieux » que vous lui prêter. Personnellement – même si je sais qu’elles font partie des usages – je n’aime pas que les déclarations «informelles » soient relayées par les médias. Je préfère que le responsable concerné assume ce qu’il dit. Et que le média ne se fasse pas le relais d’une «info informelle » qui le rend irresponsable de ce qu’il dit.

[Q ]. Vous êtes directeur de la rédaction du Huffington Post Maghreb, vous étiez éditorialiste dans un autre quotidien, en tant que lecteur que pensez-vous de l’information publiée en Algérie.

Il y a encore un très long chemin à faire…

 
[1] Douglas, Kellner, Habermas, the Public Sphere, and Democracy: A Critical Intervention. https://pages.gseis.ucla.edu/faculty/kellner/essays/habermaspublicspheredemocracy.pdf Consulté, le 16/03/2016.