La réflexion de Ali Mebroukine consacrée au président Houari Boumediène (El Watan du 26 décembre 2007) est très instructive. Le lecteur a beaucoup appris

Il est vrai que le défunt président a marqué l’histoire récente de l’Algérie par 14 ans de règne sans partage, et les Algériens qui ont vécu cette période ne peuvent oublier. Nous ne comprenons donc pas pourquoi Ali Mebroukine parle d’oubli, car s’il y a un homme d’Etat algérien qui ne risque pas d’être oublié, c’est bien Houari Boumediène, cela indépendamment de ce que fut l’homme avant 1954. Ce qui compte, ce n’est pas tant s’il a combattu ou pas durant la glorieuse révolution de Novembre, qu’il soit un historique ou pas, car ce que retiendra l’histoire de cet homme, c’est son action en tant que président de la République algérienne. Et même on ne peut même pas la lui compter du seul fait qu’il accéda au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, cela même si Ahmed Ben Bella ne fut pas à sa place en 1962, et ceux qui le choisirent au détriment de Ferhat Abbas rendirent un bien mauvais service à l’Algérie. Même si Houari Boumediène fit certaines bonnes choses que personne ne peut lui contester (les instituts technologiques par exemple), il en fit par contre d’autres qui ne sont pas glorieuses (la révolution agraire). Et quand bien même il ne fit que des bonnes choses, surtout sur le plan international, personne au monde ne peut applaudir un coup d’Etat. De ce fait, c’est rendre un bien mauvais service à l’histoire que d’auréoler ceux qui prennent le pouvoir par la force. Ceux qui vécurent la période boumediéniste, s’ils pouvaient parler, ils parleraient tous de dictature. Les prisonniers politiques à la suite du coup d’Etat se comptaient par milliers. Et le seul fait que personne ne pouvait élever la voix, que même en famille, ou entre amis, on chuchotait, et on avait peur les uns des autres, démontre du climat qui régnait à l’époque. La fronde contre les francophones, contre la jeunesse estudiantine, contre les jeunes filles, contre les couples... C’était bien à l’époque de Boumediène. Ces années boumediénistes — marquées par la peur du gendarme, où tout un chacun avait peur de sortir, tant le risque de ne pas revenir était omniprésent. Ces années boumediénistes où le peuple était confronté quotidiennement aux pénuries, même la pomme de terre algérienne que l’on trouvait sur les marchés de Paris était introuvable sur le marché algérien. L’autorisation de sortie du territoire national instaurée sous l’ère Boumediène et qui était plus avilissante que le visa d’aujourd’hui, laissant le peuple prisonnier dans ses frontières. Et nous arrêtons là le tableau sombre. A lire M. Mebroukine, l’époque de Boumediène était heureuse et florissante. Eh bien, pour nous qui l’avons vécue, elle ne l’était pas. Et s’il y a une époque symbole de l’expression muselée, c’est bien celle de Houari Boumediène. Quant à dire que c’est grâce à Houari Boumediène que les Algériens retrouvèrent dignité à l’étranger, c’est oublier que l’image de l’Algérie était déjà glorieuse aux yeux du monde, de ce qu’elle a subi durant la colonisation sans jamais plier l’échine, et la révolution de Novembre avait fini par s’incruster aux yeux du monde que les Algériens sont un peuple au courage incomparable à aucun autre d’avoir défié, combattu et gagné un combat des plus glorieux, face à une grande puissance. C’est à tous ceux qui ont mené un combat avec abnégation, leur vie entière, à l’instar de Ferhat Abbas, et c’est à la génération des Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, Didouche Mourad, Colonel Lotfi, et au un million et demi de chahid, que le peuple algérien doit d’avoir retrouvé sa liberté et sa dignité, et d’avoir acquis dès 1954 l’admiration du monde. Houari Boumediène était inconnu au bataillon jusqu’au coup d’Etat de 1965. Et comme si l’injure du coup d’Etat ne suffisait pas à ce peuple qui pleurait encore ses morts de la guerre de libération, il avait fallu qu’il marquât son règne en mettant en résidence surveillée celui qui avait donné sa vie pour que le peuple algérien puisse vivre dans la liberté et la dignité dans son propre pays, et ici nous nommons Ferhat Abbas. Comme si un homme âgé alors de 77 ans, et qui sortit malade des prisons de Ben Bella, allait rendre les armes et déchoir Houari Boumediène du piédestal où il s’était placé sans demander l’avis du peuple ! Ferhat Abbas raconte dans son livre laissé pour la postérité L’indépendance confisquée : « Le 10 mars 1976, à 7h30, la police frappa de nouveau à ma porte. C’était le commissaire de police de Kouba, accompagné de deux policiers en civil. Il venait me signifier que j’étais placé en résidence surveillée dans ma propre villa. Il m’informa que mon téléphone allait être coupé et que toute visite était interdite. Ma pharmacie était confisquée et mon compte en banque bloqué. Cette situation dura jusqu’au 13 juin 1977. Ce jour-là, à 22h, un inspecteur de police vint m’informer que la surveillance policière autour de ma demeure était levée et que je pouvais circuler librement. Mon passeport ne me fut rendu qu’après la mort de Boumediène, survenue le 28 décembre 1978. Quant à ma pharmacie, elle ne me sera restituée qu’en janvier 1982. J’ai supporté cet arbitraire sans me plaindre. Je le considérais, dans le régime sous lequel nous vivions, comme étant dans la nature des choses. L’Algérie tout entière n’était-elle pas soumise au bon plaisir du pouvoir personnel et prisonnière de l’autoritarisme ? Lorsque le pouvoir ne repose sur aucune légalité et encore moins sur la légitimité, ces excès sont prévisibles. » (pp 13-14) Nous ne sommes pas sans ignorer que nombre de nos compatriotes gardent pour Houari Boumediène un grand respect. Notre peuple a le droit de respecter et d’aimer qui il veut, mais il devrait surtout avoir le droit de choisir par qui il veut être gouverné. Par le coup d’Etat du 19 juin 1965, Houari Boumediène a administré un coup de massue à la démocratie, et il a fait entrer Algérie d’un million et demi de chahid dans le chaos dont notre peuple aujourd’hui encore paye le prix fort.