L’information est passée presque inaperçue, tellement elle a été traitée d’une manière laconique par l’ensemble des médias québécois.  Pourtant, l’évènement est digne d’intérêt.  Claude Roy, un obscur col rouge et candidat indépendant dans Vanier-Les-Rivières, par ailleurs ex-député de l’ADQ, a trouvé la parade contre la crise économico-démographique qui menace le Québec.



Sa recette est simple : Dans un français décousu, il déclare urbi et orbi que « nous devons recruter plus d’immigrants asiatiques et moins d’Arabes et de Haïtiens ». Tellement simple que personne n’y a pensé avant le Roy, un génie qui brigue un siège au Parlement.
D’emblée, je dois préciser que ses propos ne m’inquiètent nullement. Parmi mes proches, personne n’aspire à émigrer sous le ciel québécois. C’est plus le manque de réaction des médias et de la classe politique qui pose problème. Rares sont ceux, qui, comme l’animateur de la radio FM 93 Gilles Parent, se sont sentis offusqués. Les dirigeants des trois formations les plus importantes, selon les sondages, sont restés muets. Pourquoi prendre le risque inutile de perdre les voix de ceux qui pensent comme Claude Roy? Et des gens avec des idées semblables, il en existe au Québec!

La chasse aux sorcières est ouverte

Les propos répréhensibles de l’ancien adéquiste sont un énième incident raciste visant les communautés les moins représentées dans le champ médiatico-politique, donc les plus faibles. Il ne faut pas s’en cacher. Récemment, pour commenter le parachutage dans sa région par le PQ d’une candidate d’origine algérienne, une habitante de Trois-Rivières, fervente supportrice du courant souverainiste, a déclaré que « les postes de députés et de ministres devraient être réservés aux Québécois de souche ». Cette scène d’un autre temps a tourné en boucle sur le réseau publique Radio-Canada sans que cela n’entraine une quelconque réprobation de la part de nos élus.
J’ouvre là une parenthèse pour saluer la réaction noble et éclairée de l’avocat à la retraite Michel R. Denis, qui, dans texte publié par le quotidien La Presse fin juillet, s’est insurgé contre l’idée qu’  « on ne veuille pas d’étrangers ». L’auteur du texte n’y va pas par quatre chemins pour fustiger des propos condamnables énoncés « sans aucune retenue ».
« On ne construira jamais une société fraternelle, et encore moins un pays souverain, si on divise ainsi les purs et les autres », écrit M.R. Denis. C’est le sentiment qui m’anime aujourd’hui, alors que le PQ continue sa cabale contre les Québécois de confession musulmane, calquée sur la rhétorique manichéenne de l’ex-président français Nicolas Sarkozy. Comment  peut-il en être autrement, quand Pauline Marois érige en véritable obsession sa tentation de voir le voile disparaitre de la vie publique au Québec?
Entre les paroles inqualifiables d’une Trifluvienne allègrement propagées par Radio-Canada et l’envolée xénophobe concoctée par le chauffeur d’autocar Claude Roy, je ne vois pas autre chose qu’une dérive raciste (je ne trouve pas d’autres termes pour nommer les récents dérapages) que n’a même pas osé condamner la chef du PQ. Heureusement que les paroles déshonorantes du tristement célèbre maire Jean Tremblay sont venues la réveiller de sa léthargie.

Des questions à méditer

Le « deux poids deux mesures » de celle qui devrait bientôt présider aux destinées  de la Belle province est plus inquiétant que des insultes entendues quelque part en Mauricie ou dans l’ancienne ville de Vanier. Cela pousse le Maghrébin que je suis à se poser trois questions :

 

Primo, que veut-on des Maghrébins, et par extension des Musulmans vivant au Québec ? Pour ce qui est de la physionomie, avec nos cheveux crépus, il est illusoire de penser que nous ressemblerons un jour à nos voisins de palier. Dans la vie de tous les jours, il y a surtout la passion du couscous qui nous unit. Peut-être aussi un penchant pour le magasinage. Last but not least, reste la religion : 99% des Maghrébins demeurent attachés à leur religion. Doit-on voir en eux une cinquième colonne?

Ce n’est pas anodin d’apercevoir une Algérienne ou une Marocaine voilée dans les rues de Montréal. On ne peut juger qu’elle exprime un quelconque rejet de la laïcité ou d’un système déjà établi. Elle peut être médecin diplômée à l’extérieur du pays forcée de travailler comme infirmière. Doit-on la congédier à cause de son voile comme le préconisent, entre autres, certains intégristes du PQ ? Ce serait, pour elle, une régression extraordinaire!

Pour étayer sa thèse fantasque, Claude Roy estime que « les Maghrébins n’ont pas le travail à cœur ». Bizarre pour des gens qui ont traversé l’Atlantique en quête d’un hypothétique labeur. J’aimerais bien qu’il m’explique pourquoi les immigrants originaires du Maghreb sont nombreux à passer les examens de l’Ordre des ingénieurs…Ou pourquoi chaque année nous sommes des dizaines à essayer d’entrer dans la fonction publique.

Le rival libéral du col rouge dans la circonscription de Vanier-Les-Rivières, Patrick Huot, a bien fait de l’inviter à « aller faire son tour à l’Université Laval, dans les programmes de 2e ou 3e cycles, où on retrouverait de nombreux étudiants d’origines tunisienne et marocaine qui n’ont pas peur de travailler de nombreuses heures pour atteindre leurs objectifs ». Qu’il aille aussi faire un tour dans les milieux, où travaillent des Algériens ou des Marocains. Il y verra une main-d’œuvre volontariste qui ne rechigne pas à mettre la main à la pâte.

Il est vrai que régulièrement, des résultats d’études payées rubis sur ongles démontrent que ce sont bel et bien les Maghrébins qui subissent les aléas du marché de l’emploi. Toutefois, à chaque fois, le constat est le même : les pouvoirs publiques font peu ou prou pour forcer les compagnies québécoises à recruter des candidats issus de la communauté maghrébine. Tout est cadenassé, réseautage oblige, pour démotiver le plus coriace des demandeurs d’emploi! Du pur népotisme… C’est cela le talon d’Achille de la politique d’immigration au Québec.

En définitive, les paroles de Roy sont une insulte insoutenable à la mémoire des Canado-Maghrébins qui sont morts en accomplissant leur travail, comme le sous-traitant de Vidéotron Sofiane Ouzaghala, électrocuté en 2008 à Mont-Saint-Hilaire, ou Mohamed Nehar-Belaid, le taxieur sauvagement tué, il y a presque trois ans, par son ravisseur dans un boisé en bordure nord de Montréal, ou encore les agents de sécurité d’origine maghrébine morts dans l’exercice du seul métier qu’ils ont pu se dénicher.

Comme le soutient le col rouge Roy, « les Maghrébins ont tendance à se plaindre ». Tout d’abord, les Musulmans québécois n’ont aucun problème avec le crucifix ou Noël. Personnellement, je n’ai jamais été témoin d’une manifestation de Maghrébins ou d’une immolation par le feu au Québec pour un motif religieux. Pourquoi protester quand on peut voir ailleurs, par exemple à Calgary ou Edmonton? Au contraire, les Maghrébins établis au Québec prennent leur mal en patience avec dignité. Certains arrivent à s’illustrer, souvent dans un milieu anglophone, d’autres se contentent d’un emploi précaire. La grande majorité espère des jours meilleurs. Frustrés, mais dignes.

Deusio, qu’est-ce qui peut vraiment émouvoir, voire indigner nos élus ? Pourquoi cette approche sélective vis-à-vis de propos tout aussi discriminatoires? Récemment, Karim Lutfi, un candidat arabe de la Coalition Avenir Québec a vu son nom rayé de la liste électorale de la nouvelle formation pour avoir proféré sur Twitter des paroles offensantes à l’égard du mainstream québécois. C. Roy, lui, peut dormir sur ses deux oreilles avec la chance de se retrouver au Parlement national au lendemain du 4 septembre. Dans cette vénérable enceinte, il pourra toujours cracher son venin sur ses chers taxieurs maghrébins.

Tercio, qu’est-ce qui a poussé le PQ à s’aliéner une grande partie des Musulmans vivant au Québec et pourquoi maintenant? Pauline Marois a nommé deux candidats d’origine algérienne rois de la provoc. Si dans Trois-Rivières, elle a jeté son dévolu sur une résidante de l’Outaouais adepte de la complotite et qui s’est fait un nom grâce à un brûlot frisant l’islamophobie, dans la circonscription de l’Acadie à Montréal, c’est un autre critique attitré de la communauté musulmane, par ailleurs converti au christianisme, qui est censé siéger sur la Colline parlementaire sous l’étiquette du PQ. N’est-ce pas là le début d’un nouvel épisode dans la stigmatisation des Musulmans québécois, cette fois-ci avec une artillerie bien lourde ?

Gare aux lendemains qui déchantent
On peut aisément déduire que les stratèges péquistes ont décidé que l’heure est venue de rompre avec l’électorat musulman difficile à mobiliser quitte à l’envoyer dans les bras de Québec Solidaire ou du Parti libéral du Québec.  Cette stratégie est le résultat du tournant qu’a pris le PQ après les dernières déconvenues électorales et sous l’égide de Pauline Marois. Il faut aussi y voir la tentation de ratisser les voix de l’électorat anti-immigration de l’ex-ADQ.  La stigmatisation des Musulmans demeure le meilleur moyen.

Les électeurs maghrébins devraient d’ores et déjà se préparer à des charges sur la viande halal ou le voile musulman. Ça permettrait aux Québécois d’oublier un tant soit peu les routes dévastées du Québec, les services de santé au bord du gouffre ou la corruption qui ronge le monde de la politique à tous les niveaux. Une telle approche n’est pas sans risques. La fracture, qui est apparue ces dernières années dans la société pourrait prendre des proportions inégalables. Ce risque est bien réel. « Il n’est pas facile de bâtir des ponts entre individus aux multiples origines dans une perspective libérale multiculturelle », soutient la sociologue canadienne Adeela Arshad-Ayaz. Ajoutons, qu’il est plutôt aisé de détruire les rares ponts qui existent encore.

Une personne sensée ne peut subir la politique provinciale à chaque rendez-vous électoral.  Au soir du 4 septembre prochain, les Musulmans du Québec devraient donc se préparer à des lendemains bien mouvementés. Rien n’a changé depuis le Montréalais Mordecai Richler et son magnifique best-seller « Barney’s version ». Ou bien si, un nouveau bouc-émissaire a fait son apparition : les Musulmans.

L’espoir est que les procédés discriminatoires et les accusations gratuites pourraient se retourner contre leurs auteurs. Si la tendance se maintient, des centaines de femmes voilées devraient se retrouver sur la touche. Comme par le passé, sur le Vieux Continent, les milliers de Juifs auxquels ont a interdit de pratiquer des professions prestigieuses, notamment dans la fonction publique. Comme eux, il faudra penser à d’autres métiers, qui nous permettraient de construire une communauté riche et forte. Ce jour-là, le respect suivra à coup sûr.

Brahim Serini
Journaliste indépendant