Des filtres d’interprétation compromettent grandement l’intégration des immigrants originaires du Maghreb dans la société québécoise. Tel est le principal enseignement qui émerge de l’étude de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), rendue publique la semaine passée. Certaines recommandations n’ont pas convaincu une partie de l’assistance.


La grande salle de l’hôtel Marriott Château Champlain s’est révélée trop exigue pour contenir la foule d’invités venus assister à la discussion autour d’un thème d’actualité : « Les difficultés d’insertion en emploi des immigrants du Maghreb à Montréal ». Et pour cause, la présentation tant attendue de l’étude de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) a drainé un nombre important de personnes oeuvrant dans le milieu de l’emploi, dont plusieurs représentants de la communauté maghrébine.


Une situation paradoxale
Après les souhaits de bienvenue de circonstance, Annick Lenoir-Achdjian a présenté les grandes lignes de l’étude de l’IRPP. D’après la co-auteure du document, la discrimination que subissent les Maghrébins en matière d’emploi est un fait indéniable.
La professeure au département de service social de l’Université Sherbrooke a tenu a souligner que l’équipe de chercheurs s’est intéressée à l’analyse des perceptions qu’ont aussi bien les Maghrébins que les intervenants travaillant dans le domaine de l’emploi ou au ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC) de la situation précaire des immigrants originaires d’Afrique du Nord.

Les difficultés que rencontre cette frange de la société québécoise se reflètent dans les chiffres qui sont accablants pour les pouvoirs publics : le taux de chômage dans la communauté marocaine atteignait, en 2001, 17,5 et 27,2% pour les Algériens, alors que la moyenne provinciale tournait autour des 8,2%. La situation a encore empiré durant les dernières années. Ainsi, chez les Marocains et les Algériens établis au Québec depuis cinq ans ou moins, le taux de chômage s’élèverait à respectivement 33,6% et 35,4%.
Pourtant, ces néo-Québécois ont été sélectionnés après un processus rigoureux sur la base de leurs connaissances de la langue française et de leurs compétences professionnelles jugées élevées. Cette situation se traduit par une intégration difficile des nouveaux arrivants à la société d’accueil et, plus grave encore, par un faible sentiment d’appartenance.

Tout porte à croire que la situation est plus compliquée. En effet, les chiffres avancés ne prennent certainement pas en considération les Maghrébins qui sont retournés aux études une fois arrivés au Canada afin de se recycler dans le marché du travail ou dans la quête d’une équivalence de leurs diplômes. De même, la communauté tunisienne n’a pas été englobée par l’étude de l’IRPP, puisque, selon les dires mêmes d’Annick Lenoir-Achdjian, la plupart des personnes sollicitées ont décliné l’offre de participation au sondage de peur de représailles.

Une histoire de filtres
L’Institut de recherche en politiques publiques est un véritable think tank, très écouté par les décideurs provinciaux. Ses dernières recommandations relatives à l’immigration maghrébine ont d’ailleurs été reprises par l’ensemble des médias québécois.
Ses chercheurs ont relevé un décalage dans l’interprétation des difficultés sur le terrain entre, d’un côté, les Maghrébins en proie à des difficultés en recherche d’emploi et, de l’autres, les intervenants qui les accompagnent dans leur cheminement pour intégrer le marché du travail. Ces derniers mettent en avant un filtre d’interprétation basé sur une approche d’intervention et selon lequel tout chercheur d’emploi se doit d’agir de façon autonome. En d’autres termes, les immigrants candidats à un emploi sont responsables de leurs démarches pour s’insérer dans le marché du travail.
À cet égard, comme l’a remarqué Annick Lenoir-Achdjian, un certain nombre d’intervenants expliquent les turpitudes des Maghrébins par un éventail de facteurs, dont des attentes élevées et des exigences liées à la culture et aux pratiques religieuses. On reconnaît, toutefois, que les immigrants issus du Maghreb sont victimes de discrimination à l’embauche.

Cependant, il y a lieu de se poser des questions quant au niveau de formation de certain(e)s intervenant(e)s, car leur méconnaissance de la culture de leurs clients potentiels semble être un fardeau. La recrudescence du flux migratoire en provenance du Maghreb, observée ces dernières années, est une nouvelle donne qui a chamboulé les habitudes de nombreux intervenants. Aveu d’échec : ils peinent à « placer » le moindre candidat, pourtant francophone et qualifié! « La plupart des intervenants ne sont ni suffisamment informés de la réalité des immigrants ni adéquatement formés », remarque l’économiste Samira Laouni, ex-candidate du NPD aux dernières élections fédérales. 
Certains d’entre eux tentent néanmoins de s’adapter à cette nouvelle réalité, apparue au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, notamment en axant leurs efforts sur la recherche d’outils susceptibles de convaincre les employeurs réticents à l’idée de recruter dans l’important potentiel que représentent les Maghrébins.

Du côté des Maghrébins nouveaux arrivants au Québec, le ton est aux revendications. La majorité considère qu’elle a droit à un emploi ou à un accompagnement individualisé, étant donné que les immigrants sont sélectionnés selon des critères inhérents, entre autres, à la formation et à la scolarité. De ce fait, ces critères de sélection sont soumis à des critiques de leur part, tout comme le caractère de l’aide offerte pour l’insertion en emploi et l’attitude négative des employeurs.

Le président de l’Ordre des ingénieurs du Québec Zaki Ghavitian, par contre, a gratifié l’assistance d’une intervention fort intéressante. Il a livré un vibrant plaidoyer pour l’adhésion aux ordres professionnels, rappelant à l’occasion que les Maghrébins sont, après les Français, le groupe le plus nombreux à frapper avec succès aux portes de l’OIQ. L’ingénieur d’origine iranienne a consacré une partie de son intervention aux problèmes démographiques qui risquent de peser sur la société québécoise; l’année 2012 serait annonciatrice de retraites massives des baby-boomers. C’est la date qu’on miroite habituellement aux immigrants, sauf que les nouveaux arrivants se trouvent souvent dans l’urgence. « On veut du travail ici et maintenant », a répliqué la professeure Lenoir-Achdjian.


Des comparaisons pêle-mêle
La rencontre de la semaine passée a également été marquée par l’intervention controversée de Marjorie Michel, une intervenante en emploi oeuvrant dans l’agglomération lavalloise. Dans son approche comparative avec d’autres groupes, y compris la communauté haïtienne dont elle est issue, Madame Michel a réservé ses critiques les plus vives à la gente masculine venant du Maghreb, allant jusqu’à susciter l’hilarité d’une partie du public. « Les Maghrébins sont agressifs, surtout  les hommes », a-t-elle claironné.
Ces propos ont laissé pantois les leaders des associations maghrébines présents dans la salle. « C’est la perception de ceux qui vous regardent d’en haut. Les hommes sont doublement sanctionnés : en plus de leur rejet par le monde du travail, ils perdent toute autorité de père de famille à l’égard de leurs enfants et de leurs épouses. La détresse et la déprime les attendent au tournant », estime Dre Samira Laouni, une bénévole très active dans le milieu communautaire, qui rappelle le nombre important de divorces au sein des immigrants dès les premières années de leur arrivée au Québec.

Il en est de même pour la thèse avancée par celle qui représentait les intervenants en emploi du Québec, selon laquelle les femmes maghrébines seraient plus résilientes et entreprenantes que leurs concitoyens de sexe masculin. « C’est du n’importe quoi! », a lancé une Française qui a côtoyé la communauté maghrébine. De temps à autres, ce clivage apparaît dans des propos, voire des études, sans que l’on s’attarde sur les raisons objectives d’une telle tendance : Sommes-nous les témoins d’une situation voulue? Les Maghrébins de sexe masculin sont-ils victimes d’une féminisation poussée dans nombre de domaines au Québec?
En outre, l’intervenante d’origine haïtienne a fait les éloges du réseautage, un passage obligé, selon elle, pour dénicher un emploi. D’après elle, « ce sont des pratiques avec lesquelles il faut composer ». Cette opinion est certainement à contre-courant avec des études récentes, notamment celle de Jean Renaud de l’Université de Montréal, qui montrent que les « réseaux » sont à l’origine de la discrimination des communautés culturelles, surtout des Maghrébins qu’on voit comme une concurrence pour des emplois de qualité. Parfois, le réseautage s’apparente à des pratiques népotiques.

L’herméticité des réseaux québécois ne fait d’ailleurs aucun doute, tant le contrôle exercé dans certains domaines est flagrant. Radio-Canada, une entreprise qui ne prend guère en compte une valeur importante de la société québécoise, en l’occurrence la diversité, illustre parfaitement cette situation. Pourtant, à croire le vice-président des Services français Sylvain Lafrance, la chaîne publique serait rassembleuse… 
Certains représentants du tissu associatif maghrébin regrettent que les difficultés découlant du réseautage soient occultées durant la discussion. «  L’intervention des pouvoirs publics est requise. Dans le contexte actuel de crise, le gouvernement devrait subordonner toute aide à des entreprises locales à une politique inclusive à l’égard des communautés culturelles. C’est au gouvernement de mettre de l’ordre dans le marché du travail, et non pas aux réseaux! », préconise un membre actif d’une association algérienne qui a préféré garder l’anonymat. Au lieu de décrier leur rôle néfaste, on tend à présenter ces « réseaux de l’emploi» comme une caractéristique spécifiquement québécoise…

Arezki Sadat

Le document de l’IRPP à consulter sous le lien http://www.irpp.org/fr/index.htm