Le gouvernement régional de l’Ontario a depuis 16 ans inscrit tamazight dans la liste des langues internationales enseignées à l’école.
Dans son long et difficile cheminement vers une consécration légitime, la langue amazighe a traversé des étapes – certaines sont douloureuses, d’autres à la limite de l’euphorie. Voilà une langue, pratiquée depuis la nuit des temps, et qui, à travers l’Histoire, ancienne et contemporaine, s’est retrouvée minorée, voire menacée de disparition chez elle, dans les pays d’Afrique du Nord. Par un sens aigu de la résistance, ses locuteurs l’ont préservée, plus particulièrement au Maroc, en Algérie et à un degré moindre en Libye.
Ce ne sera pas le cas aux Îles Canaries et en Tunisie. Ainsi, après de longs et durs combats pacifiques, ses militants l’ont propulsée dans les dispositifs constitutionnels de leurs pays, au Maroc et en Algérie. Même si des avancées d’ordre scientifique et pédagogique peinent à être formalisés afin de répondre aux attentes de ses locuteurs, il n’en demeure pas moins que le statut de la langue a évolué positivement ces dernières années. Au point où la forte diaspora amazighe installée en Europe et aux Amériques a pris le relais de la sauvegarde identitaire.
C’est de l’étranger que nous vient une bonne nouvelle. Malheureusement, en son temps, celle-ci est passée sous silence chez nous. Certes, elle n’est pas fraîche de datation, mais ô combien réconfortante : le gouvernement régional de l’Ontario a depuis 16 ans inscrit tamazight dans la liste des langues internationales enseignées à l’école.
En effet, depuis le 8 décembre 2000, le système scolaire de cet Etat régional offre à cette langue tous les attributs d’une discipline scolaire. En plus clair, les notes d’évaluation continue obtenue par l’élève en langue amazighe sont comptabilisées lors de la décision de passage à l’université.
Il y a lieu de souligner qu’au Canada, le bac à la française — encore moins à l’algérienne — n’existe pas.
De prime abord, d’ici en Algérie, l’observateur dira : “C’est absolument incroyable !” Et pourtant, l’Etat régional de l’Ontario a bel et bien pris cette décision.
Cette mini-révolution n’est nullement l’aboutissement d’une demande d’un État d’Afrique du Nord comme on serait tenté le croire. Elle est l’aboutissement d’un travail tenace et d’une volonté sans faille affichée par une poignée d’Algériens citoyens de cette ville, capitale fédérale du Canada. Une telle chose ne serait pas arrivée si l’Etat régional de l’Ontario avait une politique linguistique d’exclusion et d’isolationnisme.
Au contraire, pour assurer la coexistence des nombreuses communautés qui y habitent, les autorités politiques, toutes chapelles confondues, ont sanctuarisé le vivre-ensemble via la langue maternelle.
De plus, l’argument scientifique a joué dans la balance : pour devenir un bon bilingue, l’individu doit d’abord avoir une maîtrise de sa langue maternelle. Et selon des études récentes, l’intelligence conceptuelle augmente de 15 à 20% chez l’enfant bilingue comparé à un enfant monolingue.
En concrétisant ces deux principes universels (le vivre-ensemble et le bilinguisme positif dès l’entrée à l’école), le gouvernement régional de l’Ontario a rendu son école performante. Toutefois, le statut de langue internationale ne se donne pas sur une simple demande. Il est strictement encadré au vu du nombre important de communautés qui cohabitent dans le pays — une centaine au bas mot, chacune avec sa propre langue.
Les artisans du miracle
Par quel miracle — c’en est un ! — la langue amazighe s’est-elle frayé un chemin au milieu de langues mieux nanties qu’elle, telles que l’allemand, l’espagnol, l’italien, le grec, le japonais, l’arabe… ?
C’est là une histoire vraie que nous nous devons de raconter. Elle mérite d’être connue de nos compatriotes.
Un récit à dimension humaine avec ses rebondissements, ses moments d’espoir, mais aussi de doute. Tout commence au mois de septembre 2000. Un couple d’Algériens s’installe à Ottawa, après un séjour de plus de dix ans dans une ville de l’extrême-ouest canadien. Le mari est ingénieur pétrolier, l’épouse éducatrice dans la Fonction publique.
Leur arrivée dans cette ville a coïncidé avec la première année d’école de l’aîné de leurs trois enfants, un garçon de six ans. Pour l’inscription de ce dernier, madame se rend à l’école la plus proche.
Après les formalités administratives, on lui remet l’emploi du temps. Et là, elle met un temps d’arrêt devant le choix de la langue internationale qui figure sur le document. Son fils doit apprendre l’espagnol. Elle revient à la maison et rend compte à son époux. Rapidement, ils prennent la décision de refuser le choix de l’espagnol.
À l’unisson, ils se posent la même question : “Et si on demandait à ce qu’il apprenne le tamazight ?” Le lendemain, porteur de cette demande concernant tamazight, le couple débarque chez le directeur de l’école. Il les oriente vers le ministère de l’Éducation de l’Etat régional.
Dans les bureaux du ministre régional en charge des affaires scolaires, se déroule un dialogue surréaliste que Mr Mohand Ould-Chikh nous livre en exclusivité. Il nous dira : “C’est la première fois que je vais relater les péripéties de notre parcours du combattant pour inscrire tamazight sur les tablettes de l’école de l’Ontario en tant que langue internationale.”
Voici les moments forts de sa première entrevue avec le ministre.
Le ministre régional :
Notre politique est d’encourager l’enseignement des langues maternelles. Mais il y a quatre conditions à satisfaire pour qu’une langue accède au statut de langue internationale :
1- que la communauté locutrice de cette langue soit organisée en association culturelle ;
2- qu’elle désigne une personne en charge de dispenser les cours ;
3- qu’elle soit porteuse d’un projet pédagogique articulé autour d’un programme d’enseignement ;
4- qu’elle dispose d’un manuel d’enseignement pour chaque niveau scolaire.
M. Ould-Chikh :
Et lorsque ces quatre conditions sont réunies, qu’elle est la contrepartie du ministère régional ?
Le ministre :
Dans ce cas précis, nous sommes redevables des dispositions suivantes : vous offrir l’infrastructure, prendre en charge les dépenses d’enseignement, à savoir le salaire de l’enseignant, l’achat des livres et inscrire cette langue dans le cursus scolaire officiel.
Êtes-vous prêt pour ce challenge ?
Devant autant d’opportunités offertes à tamazight, M. Ould-Chikh répond à brûle-pourpoint : “OK, monsieur. Tamazight réunit toutes ces conditions. Nous allons vous ramener le dossier.” Et au ministre de leur donner un délai de trente jours pour la remise du dossier. À la sortie de l’audience, le couple se regarde médusé. Ils viennent de se rendre compte qu’ils n’ont aucun élément palpable qui leur permette de satisfaire aux exigences du ministre. Étrangers à la ville, ils ne connaissent aucun compatriote amazigh installé à Ottawa. Mme Ould-Chikh se rappelle d’un parent habitant Montréal qui, un jour, lui avait parlé d’une famille algérienne habitant Ottawa. Renseignement pris, il s’agit de M. Rachid Benguenane, ingénieur en informatique et citoyen de la ville. Sans attendre, M. Ould-Chikh prend attache avec lui. L’entente sera parfaite, Rachid étant lui aussi un fervent militant de la cause amazighe. Il fera vite de battre le rappel des membres de la communauté. Une cinquantaine de personnes —hommes et femmes — se réunissent dans une salle de restaurant louée à l’occasion. Ils créent la première association culturelle amazighe d’Ottawa-Hull (ACAOH). La première condition du challenge vient d’être remplie. Reste le plus difficile : trouver l’enseignant, élaborer le programme d’enseignement et dénicher un livre de tamazight. M. Arab Sekhi, universitaire et, à ses heures libres, homme de théâtre en tamazight, se porte volontaire pour mettre au service des élèves ses connaissances de la langue et grammaire amazighes. Pour le programme et le manuel, illico presto, des contacts fructueux seront pris avec des universitaires algériens versés dans le domaine et résidant à Paris et à Alger. Une fois le dossier ficelé, le bureau de l’ACAOH se rend au ministère régional pour le déposer.
Ils doivent patienter jusqu’à la réponse définitive, le temps que les pièces du dossier soient étudiées. Un mois plus tard, le 8 décembre 2000, M. Mohand Ould-Chikh, premier président de l’ACAOH, est invité par le ministre en personne. Ce dernier lui dira tout le bien qu’il pense du dossier et des renseignements sur la langue amazighe qu’il a engrangés via ses consultations. En contrepartie, l’État régional de l’Ontario a pris toutes les dispositions pour octroyer à tamazight le statut de langue internationale. C’est ainsi que depuis 16 ans, les enfants de la communauté algérienne installée à Ottawa s’abreuvent à satiété de la langue et de la culture de leurs ancêtres, jusqu’à devenir aussi bien outillés linguistiquement que leurs camarades du pays d’origine. Depuis l’inauguration de la classe de tamazight, la ferveur des élèves et le dévouement des parents et de l’enseignant n’ont pas baissé. Bien au contraire, quelques années plus tard, l’ACAOH étoffe son dimensionnement. Elle donne naissance à une fondation : la fondation Tiregwa (la source ou la séguia en arabe) dont les membres fondateurs sont les pionniers de l’enseignement de tamazight à Ottawa. Au-delà de l’enseignement, des activités multiples remplissent l’année scolaire (chorale, théâtre, exposition du patrimoine amazigh…). Et cette inlassable activité régulière et quasi menseulle perdure de plus belle. Elle va crescendo avec des projets ambitieux ayant trait à la production pédagogique en tamazight ! À l’évidence, menées de main de maître, les mission de l’Association culturelle amazighe d’Ottawa-Hull (ACAOH) et de la fondation Tiregwa ont battu en brèche les idées rétrogrades de ceux opposés à l’enseignement des langues maternelles. L’enseignement de la langue maternelle a offert aux élèves un double tremplin inestimable : celui de l’intégration harmonieuse dans la société d’accueil et, plus encore, celui de la réussite scolaire et universitaire. Aucun d’entre eux n’a flanché. Le bonheur des parents est total : sauver la langue des ancêtres en terre lointaine et voir leurs enfants épanouis grâce à cet enracinement identitaire. En 2005, ayant eu vent de l’expérience de la classe de tamazight, l’ambassadeur d’Algérie à Ottawa décide de rééditer le même scénario pour l’enseignement de la langue arabe. Une classe d’arabe est ouverte depuis cette année (2005) pour les enfants algériens habitant la ville. Elle sera inaugurée par M. Aboubakr Benbouzid, alors ministre de l’Éducation nationale à l’époque. De cette belle histoire d’amour entre une langue maternelle et ses locuteurs, nous tirerons deux leçons. L’une est d’ordre politique. Elle met en exergue les vertus de la démocratie de proximité qui institutionnalise le pouvoir des échelons locaux et régionaux, notamment dans les domaines culturel et éducatif. Le Canada est un État fédéral (en régions-provinces) soucieux de préserver la cohésion sociale et le vivre-ensemble entre ses citoyens issus d’horizons culturels différents. La deuxième leçon s’adresse aux “gardiens du temple” de l’unicité de pensée et de conscience, partisans d’une dictature à deux faces interchangeables, linguistique et culturelle. Leurs lubies ne font que renforcer leur plongée dans l’abîme de la médiocrité.
Comment ne pas saluer l’héroïsme de cette poignée d’Algériens d’Ottawa pour nous avoir permis de prendre connaissance d’un évènement aussi émouvant qu’instructif : le 16e anniversaire de l’accession de tamazight au statut de langue internationale scolaire. Par cet exploit hitorique, ils rendent hommage de la meilleure façon qui soit aux pionniers de la cause amazighe, dont certains ne sont plus de ce monde.
Chapeau bas !