Plus de 140 ordonnances ou mandats demandés et obtenus, utilisation d’au moins quatre agents doubles, écoute électronique, pose de micros, installation de caméras de surveillance, nombreuses filatures, heures de visionnement d’images captées par une centaine de caméras, provocations policières, analyses d’une vingtaine de téléphones cellulaires, de l’ordinateur et du GPS du véhicule des suspects ; le moins que l’on puisse écrire, c’est que les enquêteurs des Crimes majeurs du Service de police de la Ville de Montréal ont mis le paquet pour coincer les meurtriers de Meriem Boundaoui. 

L’adolescente de 15 ans, venue d’Algérie pour étudier au Québec, a été tuée par balle à l’heure du souper le 7 février 2021, alors qu’elle était passagère dans une voiture immobilisée à l’angle des rues Jean-Talon et Valdombre, dans Saint-Léonard.

Elle aurait été assassinée dans le cadre d’un conflit entre deux familles de commerçants avec lequel elle n’avait rien à voir. 

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PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE - Meriem Boundaoui était assise dans cette voiture lorsqu’elle a reçu une balle à la hauteur de l’arcade sourcilière gauche.

Ce meurtre a soulevé une vague d’indignation au Québec et l’ancien directeur du SPVM, Sylvain Caron, en a fait une priorité. 

En juin 2022, un an et cinq mois après le crime, deux hommes, Salim Touaibi et Aymane Bouadi, ont été arrêtés et accusés du meurtre de l’adolescente et de tentative de meurtre contre quatre autres jeunes qui se tenaient près d’elle.


Arrêté une semaine plus tard

Plusieurs mois après le crime, les proches de Meriem Boundaoui s’impatientaient en voyant que les meurtriers n’avaient pas encore été arrêtés, mais cela faisait déjà longtemps que les policiers avaient les deux hommes dans leur collimateur, selon des documents judiciaires publics obtenus par La Presse.

Précisons toutefois que les faits allégués dans ces documents judiciaires et qui sont rapportés dans le présent texte n’ont pas encore été prouvés devant les tribunaux.

Dès le 10 février 2021, moins de trois jours après le meurtre, grâce à des images captées par des caméras de surveillance, les policiers avaient identifié le véhicule des suspects, une Mercedes blanche, et des captures d’écran avaient été envoyées aux 4400 policiers du SPVM. Dès le lendemain, le véhicule a été retrouvé par des patrouilleurs.

Le 7 mars suivant, à peine un mois, jour pour jour, après le crime, Salim Touaibi a été arrêté pour le meurtre de l’adolescente, mais a été relâché en attendant la suite de l’enquête.

Ses téléphones cellulaires ont toutefois été saisis et leur analyse a ouvert d’autres portes aux policiers.

Le mois suivant, des agents doubles ont approché un membre de la famille d’Aymane Bouadi et ont réussi, vraisemblablement sous un prétexte qui n’est pas précisé dans le document, à obtenir des coordonnées du suspect, ce qui a également permis de faire avancer l’enquête.

Les policiers ont ensuite identifié d’autres individus avec lesquels les suspects ont communiqué après le meurtre et dont certains auraient aidé à effacer les traces du crime.

Au lave-auto le lendemain

En analysant les téléphones des suspects et de l’ordinateur et du GPS de la Mercedes blanche, les limiers ont constaté qu’immédiatement après le meurtre commis à 18 h 03, la voiture avait emprunté l’autoroute 40 vers l’est et s’était immobilisée sur le boulevard Perras, où elle aurait passé la nuit.

Le moteur a démarré de nouveau à 10 h 29 le lendemain matin et le véhicule s’est rendu dans un lave-auto du quartier Rivière-des-Prairies connu des policiers.

Le lendemain 9 février, un individu a écrit à un autre, par message texte, que « le gars pour le nettoyage [devait] bientôt passer ».

L’analyse de l’ordinateur de la Mercedes a aussi révélé qu’entre le 15 janvier et le 7 février 2021, le véhicule s’est retrouvé dans un rayon de 500 mètres de la résidence de Touaibi 19 jours sur 20, la dernière fois à 17 h 20 le 7 février, 45 minutes avant le crime.

Une passagère sympathique

À la fin de 2021 et au début de 2022, les opérations de surveillance et autres techniques d’enquête se sont intensifiées.

Le 28 février, les enquêteurs ont demandé et obtenu un mandat pour intercepter les communications de dix individus.

Deux mois plus tard, le mandat a été renouvelé pour sept personnes jusqu’au 25 juin.

Le 18 mars 2022, Touaibi a été arrêté pour un autre crime et est demeuré détenu.

La police en a profité pour lui envoyer un agent double dans les pattes, pour explorer une autre facette de l’enquête.

Le lendemain, Bouadi et un ami sont revenus de Paris en avion. Pendant le vol de retour, ils se sont liés d’amitié avec une passagère très sympathique assise sur le siège voisin.

Il s’agissait d’une agente d’infiltration qui a soutiré quelques informations pertinentes.

Et est-ce un hasard ? Après l’atterrissage, Bouadi a été sélectionné pour un test de dépistage de la COVID-19 et il a dû donner ses coordonnées aux responsables.

Le piège se referme

À la mi-juin, les enquêteurs ont rencontré pour la première fois Aymane Bouadi, pour le meurtre de Meriem Boundaoui.

Puis les évènements se sont précipités.

Touaibi, qui était déjà en prison, a été officiellement arrêté pour le meurtre de l’adolescente.

Le 28 juin, les médias ont annoncé que les policiers fouillaient un endroit boisé du nord-est de Montréal, à la recherche de vêtements et de l’arme qui aurait servi au meurtre de Meriem Boundaoui. 

Dans sa cellule, Touaibi a discuté avec un inconnu.

« Yo ! Ça veut dire quoi tu penses ? Quelqu’un a parlé hein ? Une chance, on est retourné prendre les trucs. Tu sais où ils sont maintenant ? Ils sont là où j’ai mis l’arme et les vêtements », l’ont entendu dire les policiers.

Le lendemain, Aymane Bouadi a été arrêté à son tour.

Au total, les policiers ont visionné les images d’une centaine de caméras de surveillance dont 37 ont capté des scènes pertinentes à l’enquête.

Ils ont rencontré une quarantaine de témoins et saisi et fait analyser plus d’une quinzaine de téléphones cellulaires.

Au 20 octobre 2022, ils avaient demandé et obtenu 146 ordonnances, mandats, télémandats et registres téléphoniques depuis le début de l’enquête baptisée Merco.

« En raison d’un manque de collaboration, l’enquête a été plus longue et on a dû déployer des moyens d’enquête beaucoup plus complexes et plus lourds, en termes d’utilisation des ressources au service », avait confié à La Presse l’ancien commandant des Crimes majeurs du SPVM, Paul Verreault, peu après l’arrestation des suspects en juin 2022.

Toujours selon les documents, le 7 février 2021, en fin d’après-midi, une rencontre a été organisée entre les représentants des commerçants en conflit pour régler le différend. Ces représentants venaient de faire la paix et de se serrer la main lorsque l’adolescente a été tuée. 

https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2023-03-04/meurtre-de-meriem-boundaoui/autopsie-d-une-enquete-policiere-a-grand-deploiement.php