Un bras de fer semble être engagé entre la Presse, ce puissant quotidien francophone du Québec, et le maire de Montréal, Gérald Tremblay, qui préside depuis sept ans aux destinées de la grande métropole du Québec. Ce qui se déroule actuellement dans la deuxième ville en importance au Canada peut paraître surréaliste. Cependant, c’est bien au Canada que les faits se déroulent.

Nous ne sommes pas en pleine fiction. C’est juste de la réalité ! Rien que la réalité, dévoilée par des journalistes qui ne font que leur travail d’investigation et d’information. Ce qui s’y déroule est particulièrement troublant au regard de la morale dont les règles semblent être bafouées par des pratiques que certains croient, à tort, réservées seulement aux pays sous-développés. Non seulement les règles d’éthique semblent inexistantes dans les actes de gestion des élus et de l’administration, mais le premier magistrat de la ville sort ses griffes et, sous l’air d’une vierge effarouchée, adopte une attitude de défiance et déclare son innocence lorsqu’on lui parle de cas avérés de corruption sous son toit ! Se disant victime d’une campagne de dénigrement, le maire donne même l’impression de tomber des nues et crie à l’attaque personnelle. Il pousse même la plaisanterie jusqu’à déclarer qu’il n’a rien à se reprocher et qu’il se présenterait même pour un troisième mandat à la mairie en novembre prochain ! Alors face à une telle attitude d’apparente innocence, teintée de naïveté, ce n’est pas moins que son départ qui est réclamé.


Un parfum de scandale
On savait depuis longtemps que la presse est libre au Canada. Les journalistes n’ont pas attendu la journée mondiale de la liberté de la presse pour frapper un grand coup. Non, ils sont à la chasse de la mauvaise gestion tous les jours que Dieu fait. Ils sont aux aguets pour dénoncer tous les abus possibles. Qu’ils soient commis par des élus ou par des gestionnaires. Surtout s’il s’agit d’actes liés à l’utilisation des deniers publics. Ou même de gestes ayant un lien avec la vie ordinaire du citoyen. La presse dénonce toutes sortes d’abus. Elle traque tous les jours la corruption et la mauvaise gestion : celle qui implique les hommes politiques ou les cols bleus.
L’actualité nous en donne la preuve : il y a un mois, c’est Radio Canada, ce grand réseau de télévision publique qui débusquant des dirigeants syndicalistes véreux qui fricotent dans le dos des travailleurs et qui, sous la couverture d’un fonds de solidarité, alimenté par l’épargne privée des travailleurs se payent des vacances aux frais de la princesse et même soutiennent et investissent dans des compagnies privées où ils auraient également des participations.
Cette affaire qui a fait tomber des têtes n’en est qu’à ses débuts, puisque les investigations suivent leur cours pour mettre en lumière les accointances des dirigeants avec les entrepreneurs qui brassent des millions dans le domaine de la construction. La sûreté du Québec (police provinciale), saisie par le ministère des Finances, a pris le dossier en mains et procédé déjà à des saisies de documents dans les bureaux des entreprises qui seraient impliquées dans
ces malversations.


Des contrats complaisants
Mais ce qui retient l’attention ces jours-ci, c’est cette rocambolesque affaire qui remonte à près de six mois et qui sent le roussi pour mettre en scène les gros pontes de la ville.
Cette fois-ci, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est une histoire de compteurs d’eau !!! Dans leur routine, les journalistes du quotidien la presse ont débusqué il y a quelques mois deux affaires pour le moins pas très catholiques qui relèvent de la gestion municipale de Montréal ! La première a trait à la privatisation, sans en référer à l’autorité de tutelle, en l’occurrence le ministère  des Affaires municipales, d’une société para-municipale. Cette technique a permis aux gestionnaires de se mettre à l’abri de tous les regards (élus et citoyens) et autres empêcheurs de magouiller, pour brader le patrimoine public, comme la vente de terrains et immeubles à des prix ridicules dont ont bénéficié des entreprises privées du secteur de la construction.
Les tripatouillages ne se sont pas arrêtés là et voilà que l’entourage du maire se trouve dans la foulée mêlé à une plus juteuse affaire de passation d’un contrat s’élevant à plusieurs centaines de millions de dollars !

Main basse sur la ville
C’est l’impression qui se dégage de ces histoires de mauvaise gestion et surtout qui met en scène quelques personnalités de premier rang au sein de l’exécutif de la ville de Montréal. En effet, le maire de Montréal est secondé par un responsable du comité exécutif, lequel est un élu qui veille à la bonne marche de l’administration en dirigeant ce comité qui avalise les contrats. Il y a même un directeur général qui seconde également le maire et veille sur l’administration municipale. Or, il se trouve que le contrôle que sont censés effectuer tous ces dirigeants et élus n’a pas fonctionné, à telle enseigne que l’ancien chef de cabinet du maire et premier responsable de la SHDM (société de l’habitation et de développement de Montréal) qui a fait le saut de la ville vers cette entité n’a pas trouvé mieux, comme rappelé ci-dessus, que de transformer le statut public en privé. Technique irrégulièrement utilisée pour fuir le regard et le contrôle administratif et liquider, ainsi, à bon prix, le patrimoine public.
Dans ce cas précis, le maire de Montréal peut arguer qu’il était tenu, par ses collaborateurs,  dans l’ignorance. Mais là où le bât blesse, c’est dans la seconde affaire où il lui sera bien difficile d’adopter une telle attitude : il s’agit d’un contrat de plus de 350 millions de dollars dont il est question et qui relève directement des services dont il a la charge. Sur ce dossier précis, il est clair que le maire ne peut esquiver les coups que la presse lui assène à coups de révélations régulières, documentées et assassines. Les journalistes de cette publication se relayent dans cette affaire et vont jusqu’à révéler les accointances ou amitiés qui lient celui qui avait la haute main sur le comité exécutif, et qui, en principe, préside les débats avant la signature du fameux contrat. En effet, ce personnage, en quelque sorte l’adjoint du maire, a quitté sa fonction d’élu quelques mois après la signature du contrat pour faire un saut dans le secteur privé et se retrouve… vice-président de la compagnie mère d’une filiale qui a décroché ce fabuleux contrat ! Avouez qu’il est bien difficile de ne pas prendre de raccourcis et de ne pas se poser de questions sur ce rocambolesque cas d’espèce qui interpelle tout citoyen. Si ce n’est pas ce qu’on peut appeler communément une «main basse sur la ville», alors honni soit qui mal y pense. Pourtant, le commun des mortels voudrait bien savoir quelles qualifications on pourrait appliquer à cette affaire. Voilà un maire en bien mauvaise posture. Il n’a rien vu venir. Il est d’abord trahi par son ex-chef de cabinet et, maintenant, c’est le président du comité exécutif qui tire sa révérence après la signature d’un contrat de quelques centaines de millions de dollars, pour rejoindre l’un des attributaires du contrat.

Des compteurs…qui font couler beaucoup d’eau
Cette affaire de compteurs d’eau a très mal débuté. En fait non, car les services municipaux voulaient, par cette opération, engranger, à long terme, des bénéfices que la mairie pourrait recycler pour le bien-être de la population. Nous savons tous que l’eau est l’une des richesses du Canada, qui jouit d’une très bonne réputation en matière environnementale. Que l’idée d’installer des compteurs d’eau dans les unités industrielles et commerciales de Montréal répondait au souci de facturer au réel le consommation de ces unités et que cela contribuerait à réduire la consommation à long terme de ce précieux liquide dont le Canada possède les plus grandes réserves du monde.
L’idée généreuse, a été malheureusement sabordée par ce qui apparaît comme de la surfacturation. En effet, et à l’examen, le contrat signé n’a pas résisté à l’analyse et à la comparaison avec les autres ouvrages similaires que les grandes villes comme Toronto et Ottawa ont réalisés dans un passé récent. Les prix comparés laissent planer des doutes car la différence est très palpable.
Le consortium GENIeau, formé des firmes Dessau Soprin et Simard-Beaudry facturerait trois fois plus cher les services offerts.


Et maintenant ?
Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, qui n’en démord pas sur son ignorance et qui clame sa probité, a déjà pris le taureau par les cornes et a demandé déjà au ministère des Affaires municipales de retransformer le statut de la SDHM pour lui faire retrouver sa situation antérieure et a annoncé qu’il suspend donc ce contrat jusqu’à ce que le vérificateur général rende son rapport. Ce dernier, dont la lourde tâche est de faire l’évaluation la plus complète sur ces affaires, n’a pas attendu le signal du maire pour saisir la police sur les manigances de la SHDM et a entamé ses investigations sur l’immense contrat des compteurs d’eau. Nul doute que les conclusions de cette vérification feront apparaître les conditions réelles ayant présidé à la signature dudit contrat. Les journalistes de la presse auront eu le mérite de pousser les élus et les fonctionnaires municipaux à faire preuve de rigueur dans leur travail et surtout de ne pas prendre les Montréalais pour ce qu’ils ne sont pas.  

La Tribune/Algérie (le 12-05-2009)