HABIB SOUAIDIA, ancien officier parachutiste, est l'auteur de « la Sale Guerre » (La Découverte) où il dénonce les massacres dans lesquels serait impliquée l'armée.

Propos recueillis par Henri Vernet, Le Parisien, 13 février 2001

Vous accusez l'armée algérienne d'avoir perpétré des massacres. Avez-vous des exemples précis ?

Habib Souaïdia.
Une scène horrible reste gravée dans ma mémoire. C'était en 1994, dans le village de Khdaria, à 70 km d'Alger, où je me trouvais en tant que jeune officier des Forces spéciales (NDLR : les unités spécialisées dans la lutte antiterroriste). J'ai vu mes collègues brûler vif un gamin de 15 ans : ils l'ont arrosé de kérosène puis jeté dans une décharge publique, avant de tirer des rafales de Kalachnikov sur son cadavre. Ont participé à ce massacre, à nos côtés, des membres de la DRS (Direction du renseignement et de la sécurité, les services secrets) et des officiers de police judiciaire. Ce jour-là, j'ai eu le sentiment d'être moi-même dans la peau d'un terroriste.

Pourquoi ce garçon avait-il été arrêté ?

Sous un prétexte quelconque, comme beaucoup de villageois raflés pour prétendue complicité avec les groupes islamistes armés. La villa coloniale où nous étions abrités était, en fait, un centre de torture : ceux qui y entrent ne sortent pas vivants. Et on laisse leurs cadavres exposés dans les décharges, pour que les gens les voient et croient que ce sont les terroristes qui ont fait ça. Alors que c'était l'oeuvre de l'armée.

Des militaires se feraient donc sciemment passer pour des terroristes islamistes ?

La première fois que j'ai participé à une telle opération, je venais de sortir de l'école d'officiers, début 1993. J'ai été chargé d'escorter une section qui allait en mission dans un village près de Bouffarik (à une quarantaine de kilomètres d'Alger). J'ignorais de quoi il allait s'agir. J'ai embarqué dans un camion, transportant un commando d'une quinzaine d'hommes, tous habillés en civils et portant la barbe, pour ressembler à des islamistes. Mon rôle consistait à leur faire passer sans dommage les barrages de la gendarmerie nationale. Ce commando a investi un village, et assassiné une douzaine d'habitants. C'est seulement le lendemain que j'ai compris que j'avais participé, indirectement, à un massacre.

En avez-vous parlé avec vos collègues ?

A quoi cela aurait-il servi ? Les officiers qui faisaient ça étaient convaincus d'agir contre des villageois qui aidaient les groupes islamistes armés. Ils agissaient en toute conscience, persuadés de leur bon droit. Moi, j'ai protesté, et dis que je ne pouvais pas tuer quelqu'un de sang froid. Mais on m'a obligé à participer à ces missions. Je me considère complice d'assassinat, et je suis prêt à en répondre devant un tribunal. Je n'ai pas eu le courage de m'opposer à ces atrocités. Je ne me le pardonnerai jamais.

Que cherchait l'armée ?

A se maintenir au pouvoir ! Pour justifier ce maintien, il faut que la guerre continue. Pour pouvoir dire à l'opinion internationale : voilà les terroristes que nous combattons ; il faut nous aider, nous donner de l'argent.

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

Pour faire cesser ce mensonge ! Qu'on arrête et juge les coupables, aussi bien les islamistes qui ont tué des civils pendant des années, que les militaires qui ont joué leur jeu.

A Alger, la presse et les autorités vous accusent de mensonge, mettent en doute votre qualité d'ancien officier...

Je n'ai rien à cacher. Je n'ai pas peur, je savais bien qu'on allait me dénigrer, prétendre que je suis moi-même un terroriste, un voleur. Mais je donne des faits, je cite des noms de responsables. Si les autorités algériennes sont si sûres d'elles, qu'elles acceptent la nomination d'une commission d'enquête internationale.

Source: http://www.leparisien.fr/une/un-officier-parle-13-02-2001-2001956822.php

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