Le témoignage autobiographique du professeur de HEC Montréal vient d’être réédité par la maison d’édition Arak, 25 ans après sa publication en France. Il est disponible au Salon international du livre d’Alger (SILA) qui se tient à partir d’aujourd’hui jusqu’au 8 novembre prochain.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître et bien que le professeur de management Omar Aktouf soit connu en Algérie, ses livres n’ont commencé à être publiés dans son pays que depuis une année grâce à la maison d’édition Arak.

Ses écrits sur le management sont des best-sellers dans le monde mais ce livre, Algérie entre l’exil et la curée,  tient une place particulière dans la bibliographie celui qui  quitté l’Algérie dans les années 1980 pour s’installer au Canada, bien avant la vague des réfugiés algériens qui ont fui l’intégrisme et le terrorisme de la décennie noire ou bien celle plus récente des immigrants choisis.

Dans la nouvelle préface où on découvre l’homme derrière le professeur, Omar Aktouf donne trois raisons à cette sortie algérienne : « Une des premières raisons est de faire en sorte qu’une injustice qui m’est faite depuis des décennies soit enfin, partiellement réparée : que mes livres soient disponibles pour le public de mon pays. Cela m’est important tout particulièrement pour celui-ci, à cause de son propos patriotique d’abord : mon ‘mal à l’Algérie’ était si immense dès la fin des années 1970 que de ne pas l’écrire m’aurait fait sombrer dans la dépression ; pour son caractère personnel ensuite, sensible, nostalgique… enfin, à défaut d’avoir la prétention d’être une œuvre littéraire, de constituer un témoignage historique décrivant ce qu’était alors la vie de tous les jours, comme je le dis, d’un ‘simple quidam du vulgum’ algérien. ».

Rééditer au lieu de réécrire le livre n’est pas dû à la recherche de la facilité, explique ce natif d’El Eulma (Algérie) et non au Maroc comme il se « désole » à rectifier. «Si je devais, en 2014, écrire le même livre, je le ferai. Quasiment sans y changer un iota, sinon, bien sûr, pour des ‘actualisations / mises à jour’, hélas, pas toujours pour le mieux », explique-t-il.

Les raisons qui l’ont poussé à cet exil « volontaire » au Canada, seul pays parmi d’autres  d’où il a reçu une « proposition généreuse, viable et de long terme » sont toujours là.

« Comme je l’annonçais dans ce livre il y a plus de vingt-cinq ans, nous assistons à la formation-consolidation de deux Algérie : une qui s’enferme dans des complexes de villas et logements de super standing, aux entrées réservées, soigneusement protégées par des gardes et milices privées ; et l’autre qui soit s’entasse dans des quasi-bidonvilles, soit survit de manière ubuesque dans des cités presque inhabitables, voire insalubres dès la livraison », explique Omar Aktouf.

Et au Canada, ce fut « loin d’être facile de tout redémarrer à zéro : carrière, culture, identité… Avoir à refaire ‘ses preuves’, regagner ses galons depuis l’échelon le plus bas… la quarantaine dépassée, toute une famille à charge », « Bien souvent, je me suis posé «la» question : et si tout cela était à refaire ? Regarder en arrière, faire mon bilan et me demander si cet exil était la solution ? Séjour algérien après séjour, la réponse revient en lancinant leitmotiv : hélas, oui ! Je n’arrive pas à voir ce qui, à travers tout ce que j’analyse et dénonce dans ce livre, aurait suffisamment évolué pour me faire croire que la solution de l’exil n’était pas la bonne », affirme celui qui a connu une lune de miel avec les médias public algériens quand il a été primé au Canada en 1987 avant de subir un boycott en règle après ses sorties contre le chemin « néolibéral-affairiste » que prenait l’Algérie au milieu des années 1990.

Son intervention diffusée en direct à la télévision lors d’un Forum économique et social du temps du président Zeroual et son ton « farouchement anti-néolibéral et dénonciateur des politiques économiques algériennes inféodées au FMI » lui valurent des menaces à peine voilée de la part d’un haut responsable algérien lors d’un déjeuner auquel il a été « convoqué » : «Ce que vous dites est peut-être bon au Canada mais pas ici»…, «les Algériens ne sont pas prêts à entendre ce genre de choses»…, «ils vous comprennent mal»…, «vous êtes bien là-bas au Canada, n’est-ce-pas ?»… «Sachez que même là-bas nous sommes informés de vos faits et gestes».  Le lendemain, il était dans l’avion de pour rentrer au Canada. Quelques semaines plus tard, s’en est suivis une cabale mmontée de toute pièces basée sur ses propos hors contexte. Il a été accusé d’insulter l’Algérie, ses dirigeants et ses intellectuels.

«A la demande d’autorités de mon pays, j’étais éliminé de la liste TOKTEN de l’ONU (un programme de transfert de connaissances qui utilisent les expatriés des pays bénéficiaires), et instruction fut donnée aux dirigeants et cadres de nos sociétés nationales, notamment de la Sonatrach, de dorénavant me boycotter, ne plus assister à mes séminaires ni aucune de mes interventions. », écrit-il dans la préface.

Omar Aktouf se dit libéré de toute dette envers l’Algérie. « je n’ai strictement aucune dette envers mon pays, au contraire ! Alors qu’on affirme (notamment dans les réactions à mes écrits et interventions sur la scène algérienne) que j’aurais «bien profité» du système algérien avant de décider d’aller mener belle vie et grand train en Occident… Non ! J’ai, certes, comme tout le monde à mon époque, bénéficié de l’université gratuite, de bourse, de formation à l’étranger… mais j’ai scrupuleusement rendu à mon pays son dû jusqu’au dernier denier ! Y compris remettre (je me souviens encore des yeux ébahis du directeur des affaires générales de l’INPED) les clefs de mon logement de fonction de Boumerdès », explique-t-il.

Il garde toutefois espoir pour l’Algérie. Un espoir paradoxal. « Je me dis tout simplement que nous sommes descendus tellement bas… que nous ne pouvons plus que remonter, d’une manière ou d’une autre. », conclut-il.

(*) Algérie, entre l’exil et la curée - Omar Aktouf
Arak Editions - Alger
 
Source: El Watan - 30 octobre 2014

Le Professeur Omar Aktouf sera présent au stand ce vendredi 7 novembre 2014.