Slimane Azem est un artiste algérien d’expression amazighe (berbère). Il est né un 19 septembre 1918 à Agouni Gueghrane en Kabylie. Il est mort un 28 janvier 1983 à Moissac en France. Il a marqué des générations et des générations de son peuple, mais aussi plusieurs artistes d’expression berbérophones et arabophones. Les Kabyles, notamment les immigrants algériens en France, le connaissent depuis ses débuts.

L’Algérie indépendante le connaissait aussi, mais a décidé de le censurer en l’accusant à tort d’avoir trahi sa patrie en collaborant avec la France coloniale. Ces allégations qui n’ont jamais été prouvées ont facilité la tâche à ses détracteurs de le censurer dans les médias de son pays pendant plus de 25 ans. Ce qui a fait très mal à l’artiste et au compatriote qui a chanté sa terre natale jusqu’à la fin de sa vie. Il a certes vécu loin de son Algérie et surtout loin de sa Kabylie, mais ces deux territoires qui font sa patrie ont habité son âme tout au long de sa riche carrière. Une carrière qui a été répertoriée dans un excellent livre du Dr Youcef Nacib intitulé ‘’Slimane Azem, le poète’’. Beaucoup d’intérêt a été porté et continue à être porter à l’œuvre de Slimane Azem. À chaque fois qu’on s’y penche, on découvre encore et encore la profondeur des messages de l’artiste et  le degré d’un amour sincère qu’il a entretenu pour sa patrie, sa famille et les valeurs suprêmes de la vie. En somme, sa carrière est une source intarissable de leçons de vie et de dévouement à une patrie arrachée et à une culture amazighe malmenée. Dans ce modeste article, un voyage agréable et douloureux dans l’univers de certaines chansons phares de Dda Slimane.

L’exil : ce mal nécessaire

Il est difficile de dissocier Slimane Azem de l’exil. Ce dernier est le thème qu’il a le plus chanté avec ses peines et ses joies. Si certaines personnes avaient choisi de vivre en dehors de leur pays, Slimane a subi cette séparation au plus haut point. Dans les chansons qui ont abordé ce thème, il fait les vas-et-viens entre le présent et le passé tout en se projetant dans un avenir rempli d’espoir de vivre un jour chez lui, parmi les siens.  En écoutant ses albums, c’est l’histoire récente et lointaine de son peuple qui défile. Aussi, on saisit le degré de sa douleur et l’amertume de l’exil. Mais, qui a le contrôle de son destin?  En effet, on ne choisit pas sa patrie tout comme ses parents d’ailleurs. On a juste de la chance d’être ce qu’on est et d’avoir ce qu’on a. Cette philosophie existe bel et bien dans la tête des Amazighs(Berbères) du Maroc aux frontières d’Égypte. Est-ce une façon thérapeutique de se consoler devant tant d’échecs et de dénis qui secouent depuis des siècles les habitants d’Afrique du Nord? Il est difficile de répondre à cette question, mais ce qui est certain c’est que Les Amazighs n’ont jamais cessé de lutter pour leur terre et leur identité. Mieux encore, ils affichent fièrement leur appartenance à une civilisation millénaire et n’hésitent pas à donner leur vie pour que leur langue et leur culture vivent et non pas survivent. Mais, voilà, les appétits des envahisseurs et les trahisons de certains Berbères ont disloqué la cohésion et l’unité de tout un peuple. L’empire romain a séjourné en Afrique du Nord presque 5 siècles, les Arabes ont décidé d’en faire leur résidence permanente. Quant aux Français, leur présence qui a pris fin après 130 ans y a laissé des séquelles ravageuses. Parmi ces dernières, l’exil. D’ailleurs, c’est pendant sa présence qu’elle a forcé les Nord-Africains à aller travailler dans ses usines ou à faire les deux guerres mondiales pour la libérer de l’Allemagne nazie. Donc, des jeunes Algériens et notamment des Kabyles pour ne citer que ceux-là ont été contraints d’aller en France pour subvenir aux besoins de leurs familles démunies qui crevaient la dalle dans les montagnes. Ils étaient très jeunes et illettrés. Certains ne faisaient que travailler pendant que d’autres suivaient des cours du soir pour apprendre à lire et à écrire. Il fallait bien se débrouiller dans un pays étranger. Et Slimane Azem a fait partie de ces derniers. Son histoire est à l’image de celle de son pays natal.  Installé à Longwy au Nord de la France, il s’est acheté un café dans lequel il chantait aux immigrants nord-africains et kabyles en particulier : «  Il nous chantait chaque soir. Il n’exigeait aucun tarif. Chaque client donnait ce qu’il pouvait, mais à l’époque il y avait du travail. Donc, on le payait bien. C’était un artiste unique»,  nous a dit Ramdane qui avait à peine 20 ans.
Slimane Azem comprenait évidemment la nostalgie qui rongeait ses compatriotes puisqu’il la subissait lui aussi. Il est devenu grâce à ses chants le pont qui liait les exilés à leurs familles, à leur culture et à leur terre natale. Ce qui explique donc l’omniprésence du thème de l’exil dans ses chansons. Parmi elles, El waqt agheddar, A Moh a Moh et ‘’Afrux ifireles’’. La première chanson ‘’El waqt agheddar’, dresse un tableau noir du  temps qui passe et qui joue des tours à l’être humain exilé, en principe provisoirement. Cependant, les circonstances font que ce provisoire dure et s’allonge au point de devenir permanent. Une réalité qui tourmente et qui piège l’immigrant qui ne rêve que de rentrer chez lui pour vivre parmi les siens. Il se sent piégé voire dépassé par le tourbillon de la vie et sa patience en prend des coups. À qui en parler? « L’exil nous a été imposé. Le jour, on rêve, la nuit on ne dort plus. Comment gérer ce cercle vicieux?». La seconde chanson ‘’ A Moh a Moh’’, quant à elle renvoie à ce beau pays qui est l’Algérie connue et reconnue en Afrique et qui est tant chérie par l’artiste. Dans cette œuvre, il fait une sorte de flashback de la genèse de son exil : «  Quand j’ai décidé de partir, j’ai promis aux parents de ne pas tarder à revenir. Ma jeunesse a été usée par les années qui se suivent à Paris. Je suis l’éternel malade qui attend le miracle. Je me suis habitué à l’exil, mon cœur est toujours attaché au pays ». Malheureusement, Slimane n’a pas réussi à tenir  sa promesse. Il ne pouvait pas rentrer au pays sans argent. Il ne supportait pas de vivre en France sans sa patrie et sa famille. Il s’est retrouvé dans un engrenage sans issue. Il a même peur de mourir en exil. Alors, que faire? C’est à ce niveau qu’intervient la troisième chanson ‘’ Afrux ifireles (l’hirondelle). À défaut de vivre chez lui, c’est plutôt sa patrie qui vit en lui désormais. Tous les moyens sont déployés pour s’informer de ce qui se passe au bled. Dans cette chanson, il charge l’hirondelle de transmettre ses messages au pays de ses ancêtres : «  L’hirondelle lance-toi dans les plaines du pays des Berbères. Ramène-moi les nouvelles du pays de Sidi Abderahmane. On souffre en exil, salue nos amis. Va en Kabylie, visite les montagnes, les plaines, les villages et  les forêts. Tu passeras la nuit sous mon toit ».

L’identité malmenée

Plusieurs chansons de Slimane Azem traitent de l’identité, de la langue, de la culture et du mode de vie des Amazighs. Dans Ledjdud (nos aïeux), il s’est questionné sur le parcours courageux de ses ancêtres. Comment étaient-ils jadis ? Pour lui, ils ont pu affronter les épreuves de la vie avec ce qu’ils ont de meilleur: l’honneur et la fierté. Aussi, la parole était le pilier de leur coutume. Ils n’ont jamais trahi le serment. Le pacte conclu avec l’autre est sacré. Ils n’ont besoin ni de témoins, ni de documents  pour le respecter. Point d’opportunisme dans leur façon d’être non plus. Et face à l’injustice ou la tyrannie, ils ne plient jamais. C’est ainsi que Slimane Azem voyait le passé glorieux de ses ancêtres Imazighen. Ces derniers ont toujours défendu leur terre bien avant les Romains. Malheureusement, l’histoire récente a mis de côté Massinissa, Jugurtha et tant d’autres. Cependant, il ne faut pas désespérer : « nos aïeux ont laissé la relève. Ils nous ont également légué les valeurs familiales et de fraternité, les terres et leurs richesses, l’identité, la langue et la culture. Les figuiers, les oliviers et les arbres majestueux sont les témoins incontournables de notre passé. » Ce qui est paradoxal, selon lui, est que les Kabyles au passé glorieux, se retrouvent comme des orphelins éparpillés à travers le monde. Certains ont quitté le pays par choix, d’autres par contrainte. Au sein de la demeure, ils ont semé la discorde. Ils ne s’entendent plus. La jalousie et la haine ont miné leurs rapports au grand bonheur de leurs ennemis. Aussi, dans son album "Tamazirt", Slimane joue avec les mots et les paraboles. Il aimerait bien trouver quelqu’un qui pourrait interpréter son rêve dans lequel les tonnerres et les pluies torrentielles déboussolent la nature et les êtres. Les explications allaient bon train, mais lui il a compris ceci : « Nous avons une histoire et une langue. Celle-ci s’appelle Tamazight. Nous devons l’enseigner avec détermination et fierté. Les détracteurs de Tamazight sont nos ennemis. Nous devons les affronter avec intelligence et dignité, car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons imposer le respect à notre identité et à notre mémoire millénaire ». L’artiste est optimiste malgré les dégâts que la civilisation amazighe a subis. En effet, il compte sur le travail et le savoir-faire de la relève : « Les jeunes d’aujourd’hui sont capables de semer la paix, d’entretenir dignement la demeure et de sauvegarder l’héritage des ancêtres par l’honneur et par le savoir qui est à leur portée. J’espère qu’ils prendront conscience de tout cela. »

Femme kabyle : l’âme de la maison berbère

La femme kabyle est le pilier de la maison berbère. La vie tourne autour d’elle : « Toi la Kabyle,  tu es la sentinelle de la demeure. Tout tient grâce à toi ou tout s’écroule à cause de toi. Oriente ton mari et conseille tes enfants à aller dans le droit chemin à l’instar de tes voisins. Point de jalousie. N’envie personne. Ainsi, la vie sera clémente et agréable. Tout le monde vivra en paix. Tu es la gardienne de la mémoire et des valeurs berbères. » Il a chanté sa beauté, son dévouement. Pour lui, c’est cette femme qui embellit la Kabylie. La voir ramasser les olives ou l’entendre chanter habillée tout en couleur donne le goût de vivre à tout le monde.  Cependant, il admet que parfois, cette femme qu’il qualifie de perdrix s’isole pour cacher sa tristesse ou ses déceptions multiples à cause des injustices ou du poids des responsabilités qui pèsent sur ses épaules. Il lui demande de ne pas perdre espoir, car ses enfants ne l’oublieront jamais et le bonheur se pointera un jour à l’horizon.

La patrie : tamurt iw, ma passion

Il n’y a pas une situation plus cruelle que celle de vivre loin de sa patrie et sa famille. L’argent ne pourra jamais combler la douleur de l’exilé arraché à son milieu naturel. Parfois ceux qui vivent dans leur pays ne réalisent pas la chance qu’ils ont jusqu’à ce qu’ils le quittent. La nostalgie et la culpabilité de ne pas partager des moments de vie avec les siens rongent tellement l’émigrant qu’il se dissocie de la société d’accueil et plonge alors dans un univers propre à lui. Il se crée une patrie ou il reconstitue celle qu’il a perdue. Désormais, il vit mécaniquement son quotidien et la vraie patrie le hante tout au long de sa vie : «  Je ne t’habite pas, mais toi tu m’habites désormais jusqu’à la fin de mes jours.  Je n’ai volé ni tué. Je suis exilé malgré moi. C’est mon destin. J’habite ailleurs et toi tu habites mon cœur. Je chante aux émigrants et je leur souhaite de retourner chez eux et que les tracas de l’exil s’escomptent un jour. »

Les trahisons inattendues

Slimane Azem utilise beaucoup les paraboles pour exprimer sa pensée, mais aussi le langage direct et dur pour secouer les siens. Il est à la fois citoyen du monde et philosophe à ses heures.  Dans la chanson "A wi lan d el fahem",  il implore le sage ou le clairvoyant de lui  expliquer les raisons qui poussent les proches à trahir, à poignarder dans le dos les leurs : « Les trahisons viennent toujours des proches. ». Il se demande alors pourquoi les apparences sont trompeuses à ce point. Pourquoi les figues sont-elles belles de l’extérieur, mais pourries à l’intérieur ? Pourquoi brime-t-on toujours les personnes calmes et dignes ? Pourquoi le fruit de tant d’efforts est toujours récupéré par des parasites ? Il utilise très souvent des images d’animaux pour illustrer la cruauté des hommes. Mais, comme dirait Si Mohand Oumhend : « Si laman i dyeka l xuf » Pis encore, dans la chanson amentass (nos tares), il s’attaque à ceux qui brisent les meilleures volontés d’Algérie au lieu d’imiter les peuples qui avancent, qui évoluent. Il est déçu de voir les corbeaux se pavaner dans l’espace public ou détenir les règnes du pouvoir pendant que les Lions sont relégués aux calendres grecques. Devant un tel dilemme, que faire ? L’artiste conclut ainsi : « L’injustice finit tôt ou tard par disparaître. Elle ressemble à la neige  qui fond doucement, lentement, mais sûrement. »