Expatriés, préparez vos jarres pour les remplir de peine – son enfant a été échangé contre un chien – et de joie, la mère de l’enfant, même un peu têtue, est plus qu’adorable. C’est une fée.

Bob Ouzidh a révolutionné diminou : la puissance des médias.
 
Bob Ouzidh est parti aux USA. À Vujlil, il a révolutionné le système de pointage au jeu de diminou.  Il l’a fait passer de rounds (manches) à deux fois cinquante points : les qbih – vulgaires – et les mlihs – bons à un quatre-cents points d’un trait tel un marathon. La première équipe qui les atteint est la gagnante, l’autre recevra l’ardoise.

Bob Ouzidh est tout sourire quand il gagne. Cette soirée, il a joué une partie contre deux Malek. Un Malek a demandé du tabac en kabyle à Insbruck (Autriche), l’autre Malek s’est réinstallé à Vujlil en ramenant dans ses bagages ses réparties algéroises traduites en thavujlilith.

Contre Bob, ils jouent deux parties au même temps : diminou et énervement. Avec ces deux, le perdant peut changer de religion! Ils ont failli gagner contre Bob.

En ce début décembre 2015, le café maure, pas Le Chat Maure, est plein de joueurs plus intéressés par les cris de Bob que par leurs parties.

Malek et Malek ont commencé sur les chapeaux de roues. Bob, fulminait contre son partenaire arrivé presque spécialement la veille pour ces duels prévus contre lui.   

Le partenaire de Bob ne jouait pas seul. Il était accompagné de l’esprit de la mère de l’enfant qui sera échangé contre un chien. Cet esprit était dans la chaine qu’il portait au cou mise sur le tricot pour qu’elle apprenne à jouer à diminou.
Après quelques mains, elle lui a soufflé qu’elle n’apprécie plus son jeu d’autant plus que Bob commençait à fleurir son langage et à oublier qu’il était un musulman pratiquant de l’école de la Rahmanya.

Les autres équipes du café allumaient Bob Ouzidh et son partenaire commençait à prendre peur d’être pendu ou étranglé en cas de défaite.

Cette mère invisible pour les autres, native de Tadoussac de Tizi Zwazo,  Maatkas, lui a soufflé comme un ange de faire sortir la grosse artillerie qu’il avait pour ce jeu.

Tel Diego Armando Maradona, un prophète, il a commencé à varier les coups. Thaghlaq!  53 points!

Dans un enchainement d’enfer de prises de mains, le compteur  a atteint les quatre-cents points et Bob a gagné contre les deux Malek qui se sont calmé. Bob Ouzidh a crié sa victoire et s’en est suivie une ovation – pas pour lui- mais pour son partenaire qui, grâce à son génie et au talisman de Tadoussac qu’il portait a compensé sa faiblesse, celle de Bob Ouzidh.  
Grâce à la puissance des médias, le monde saura que jouer diminou à Vujlil avec Bob Ouzidh est un bonheur si la partie ne se termine pas par une mort d’homme.  Et c’est grâce à des hommes comme lui que ce village est un paradis. Un vrai.

Pour aller au paradis, il faut passer par l’enfer!

Aller de Vujlil à Maatkas et y revenir sain et sauf car pour le lendemain, Vgayeth est la destination prévue, c’est aller au paradis via l’enfer.  

Pour rallier Maatkas, il faut traverser Bouira, la gare Aomar, escalader une cote, freiner assez dur sur une descente pour arriver à Draâ El Mizan.  C’est ce bout de l’itinéraire du diable qui est recommandé pour tous les hommes qui veulent dissuader leur femme de conduire en Kabylie.

Draâ El Mizan est une ruche. Dans un mouvement de loterie, des camions, des voitures, des tracteurs, des mobylettes, des vélos, des quadrupèdes et des bipèdes arrivent à circuler et à se croiser dans cette Casbah de la Kabylie.  Ain Zaouia est une bourgade qui lui est accolée.

Dans ce village, à un  monsieur, est demandée la route qui mène à Boghni en un minimum de temps pour rallier Maatkas, le paradis. Surpris par cette qualification de ce village, il dit : « Puisque Maatkas est un paradis; prenez cette route sur laquelle le temps n’existe pas, il est remplacé par les barrages. Une fois arrivé à Boghni, demandez la direction de votre paradis. »

L’enfer est le complément du paradis lequel est par niveau. Le plus bas est pour la plèbe pieuse qui joue à diminou et prend quelques bières, le plus haut est pour les ascètes qui prient sans arrêt.  
À Boghni, il fallait s’arrêter pour acheter du tabac, des CD de Lwenes Matoub, celui d’Avahri L’hif (Le vent de la déchéance) et Sarhas Ayadho (Oh, vent libère-là!).

Dans cette Kabylie du business, les barrages de police et de gendarmerie ont remplacé la signalisation routière. À un quidam : « Mr, pour aller à Maatkas, le paradis, c’est par où ?». Sonné comme le précédent par ce qualificatif, il répond : « Là-bas, après le barrage, prenez à gauche ».

Même en décembre, la route ressemblait à un serpent qui se glisse au mois d’aout par quarante degrés.  Pour aller au paradis, Tizi M à Maatkas, la route est vraiment un enfer.

À un carrefour anonyme, il fallait encore se renseigner. Sorti de nulle part, un vendeur de poules, dindons, fruits et légumes confirme que c’est la bonne direction vers ce Tadoussac de la Kabylie que vous pouvez appeler Tasta Guilef.  
« Monsieur, vous êtes sûr que c’est cette route? ». « Oui, je confirme et Tizi M de Maatkas n’est pas vraiment loin. »
Avant de remonter dans la voiture de Nabil, le fils d’Abdenour, il fallait fumer une, faire la chahada comme un musulman, se signer comme un chrétien, balancer sa tête comme un juif, demander pardon à la voiture et la prier de ne pas chauffer.
La nature accouchait de virages et de cotes. Ajouter les changements de rapports de vitesse, les épaules du chauffeur voulaient se déboiter, les rotules de la voiture craquaient et ses bras de direction se musclaient.
Enfin le bas niveau du paradis, Maatkas. Un bâtiment – type OPGI – lugubre,  des policiers sur une route cabossée, pleines de flaques d’eau. Il fallait chercher un endroit pour une courte pause. Maatkas, c’est le Vermont des USA transporté en Algérie.

Submergé par l’émotion et les larmes; Tizi M, le niveau suprême du paradis n’a pas été atteint. La fatigue et la faim sont là. Le temps est revenu. Pour atteindre le paradis, l’enfer a été dur. Le bonheur est total. Presque.  

Pour éviter l’enfer, rentrer à Vujlil par le col de Chellata

Avant, il fallait se reposer un peu, reposer la voiture surtout. À la sortie de Maatkas, au carrefour vers Tirmitine et Tizi Ouzou, un garage était un café. On y jouait au domino.  Un café et un jus ont été commandés. Le repas ramené de la maison et fait de lait de vache, de lentilles chaudes, d’aghroum au son et à l’orge, d’oranges et de mandarines a été consommé sous le regard surpris des clients et du patron.

« Svp, quel est le chemin le plus court vers Tizi ? ». « Allez-y tout droit mais attention aux virages et à la chaussée glissante à cause de la fonte du verglas du matin. ». « Merci. »

En quittant ce paradis par sa voie la plus naturelle, l’enfer, il fallait toute la concentration du monde pour ne pas faire des tonneaux avec la bagnole.  Le virage le plus doux était à au moins cent vingt degrés, Lwenes pleurait avec Izriw Yeghlav Lahmali dans le lecteur de la voiture, le chauffeur parlait à Mahdi. Il parlait aussi à cette adorable têtue, à cette fée qui est restée à Tadoussac.

Dans une surprise totale, après quarante cinq minutes environ de conduite, la voiture débouche sur l’autoroute, dans le ventre de Tizi, pas loin de la nouvelle gare routière. Une fois embarqué sur l’autoroute, il fallait adapter la conduite.  À soixante-dix kmh, les autres s’énervaient, à cent trente kmh, la voiture devenait dangereuse. En Algérie, les dépassements ne se sont pas signalés par les clignoteurs. Ils le sont avec des appels des feux de route, appels de phares. Les dépasseurs, les doubleurs veulent dire : « casse toi crétin, éloigne toi de ma route, moi, je vole avec ma voiture, mon bolide de pacotille achetée avec un crédit non remboursable ! ».

Chérif Aissat.

À suivre.