Les musulmans, y compris les Algériens du Québec, font périodiquement la une des journaux.

Une réalité qui s’est exacerbée depuis les attentats du 11 septembre et s’est amplifiée avec la crise des accommodements raisonnables au Québec en 2007. Celle-ci a donné naissance à la fameuse commission Bouchard-Taylor qui parfois, malgré toute la bonne volonté des ses co-présidents sociologue et philosophe, s’est transformée en un véritable crachoir islamophobe.
Mais, au-delà du sensationnel, le Québec, heureusement, n’est pas uniquement peuplé d’animateurs de radio et de télévision ou de chroniqueurs en mal d’audience, il y a des gens qui vont au-delà de la perception. Ce sont les chercheurs universitaires qui prennent leur temps pour analyser la réalité des choses.

Ainsi, une équipe de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC) de l’université du Québec à Montréal (UQAM), vient de publier un livre, fruit d’un travail de plusieurs années sur la religion au sein de l’immigration. Le Québec après Bouchard-Taylor, les identités religieuses de l’immigration* est le tire de ce travail collectif et que viennent d’éditer, début mars, les Presses de l’université du Québec. L’ouvrage s’est penché sur plusieurs communautés religieuses. Il est évident qu’au moins un chapitre devait être consacré aux musulmans qui font les manchettes régulièrement.  Frédéric Castel, historien et religiologue de l’UQAM, a consacré un chapitre à l’implantation et aux conditions de vie des Algériens au Québec auquel il a donné le très positif titre Un mariage qui aurait tout pour marcher.

Lors du lancement du livre qu’il a dirigé, Louis Rousseau, ancien professeur au département de sciences des religions à l’UQAM, a affirmé que «l’histoire du Québec nous renseigne que la diversité n’est pas une situation nouvelle pour la Province. Les citoyens actuels héritent d’un Etat au pluralisme constitutif et d’une expérience de gestion des différences identitaires y compris religieuses». Pour lui, le livre «permettra un meilleur vivre ensemble pour les décennies qui viennent». Il soutient que si le gouvernement et les intellectuels «cachent les différences religieuses sous les nuances culturelles, cela pourrait amener à de dangereuses dérives politiques», et ce, si on prend en compte l’histoire du rapport de la majorité québécoise avec sa propre religion.

Car une société qui a cantonné sa propre religion au domaine privé réagit mal aux décisions judiciaires ou politiques qui accommoderaient d’autres religions dans leur expression publique. A l’adresse de la société québécois, il lance, toutefois, ce conseil : «N’imposez pas immédiatement à des gens qui proviennent de sociétés qui n’ont pas le même tempo et qui étaient dans d’autres contextes le même rythme que le vôtre.» Pour celui qui s’intéresse à «la nouvelle diversité ethnique et religieuse amenée au Québec par les courants de la mondialisation culturelle», il n’y a aucun doute que «l’Islam est soluble dans la société québécoise».

Femmes : moins de 15% portent le voile

De son côté, Jean-René Milot, professeur associé et chargé de cours au même département, a co-rédigé avec Raymonde Venditti le chapitre sur les Maghrébins du Québec et la religion.
Pour lui, «les principaux stéréotypes qu’on colle aux Maghrébins et qui ne tiennent pas la route à l’épreuve des faits sont : la barrière de la langue qui n’existe pas comme pour les Indo-Pakistanais. Il y a aussi le fait que, qui dit Maghrébin dit musulman, même si une bonne partie des Maghrébins sont musulmans de culture mais pas adeptes de certaines pratiques religieuses qui peuvent poser problème au Québec». Le voile ou le hidjab est porté par «moins de 15% des femmes de la communauté. Mais, c’est ça qui est mis en avant, et c’est ce que véhiculent les médias».

Sur le sujet de l’égalité homme-femme, un stéréotype veut que «les femmes maghrébines sont soumises aux hommes d’une façon millénaire. La réalité est beaucoup plus nuancée : ce sont les femmes qui gèrent l’immigration et sont autonomes». Et l’étude n’a été consacrée qu’aux personnes qui fréquentent les mosquées. Un autre cliché tombe à l’épreuve des faits : on suppose que les musulmans sont un bloc monolithique. «On prend une caractéristique d’un groupe de personnes et on l’applique à tous les musulmans. Une fois qu’on a dit musulman, on définit 95% de la personne alors que c’est l’inverse», affirme Jean-René Milot. Il dit qu’il n’a pas peur de la réaction de certains médias québécois. «Nous n’aurons pas forcément les médias sur le dos si les gens lisent sérieusement le livre.»

Quid des Algériens du Québec

Dans son chapitre consacré aux Algériens du Québec, Frédéric Castel dévoile des statistiques qui ne sont pas aussi mauvaises qu’on pourrait le penser si on ne va pas au-delà des clichés. La connaissance du français, sujet très sensible au Québec, atteint les 97,7% chez les Algériens du Québec. A peine 2% des Algériens n’entendent que l’arabe (les enfants en bas âge et les personnes âgées). Le chercheur a constaté que si la moyenne de la population québécoise de plus de 15 ans, qui n’a pas de certificat d’études secondaires (l’équivalent de la deuxième année secondaire accomplie en Algérie) est de 30%, elle tombe à 16,1% des femmes et à 10,9% des hommes originaires d’Algérie. Pour les grades universitaires, 37,6% des femmes et 43,9% des hommes venant d’Algérie en disposent. «Un profil qui encore une fois se révèle fort éloigné de la moyenne québécoise», affirme Frédéric Castel. Contrairement à ce qu’on pouvait prévoir, le taux de scolarité élevé chez les Algériens ne leur garantit pas un travail.

Le taux de chômage est de 28%. «Pour plusieurs Maghrébins, les blocages dans le monde du travail sont attribués à l’image de la religion véhiculée par les médias», explique le chercheur en s’appuyant sur des conclusions de sources diverses. Toutefois, le taux de chômage baisse avec le nombre d’années de présence. Une Algérienne sur cinq (21,9%) travaille dans le secteur des soins de santé et de l’assistance sociale (où on trouve les garderies pour enfants). 14,1% des femmes et 9,9% des hommes se retrouvent dans le secteur de l’enseignement. Le domaine scientifique et technique recrute 11,5% d’Algériennes et 15% d’Algériens. Par ailleurs, «10,4% des Algériennes exercent une profession dans le domaine des sciences naturelles appliquées (ingénieurs, entre autres) d’ordinaire, une chasse gardée masculine», constate le chercheur. «Elles dépassent dans ce domaine, malgré les stéréotypes, toutes les autres femmes immigrantes et les Québécoises elles-mêmes», conclut-il.

On voit bien qu’au-delà des clichés, la réalité est plus nuancée que ce qu’affirment les oiseaux de malheurs. Les musulmans ne forment pas un bloc monolithique et les intégristes sont une infime minorité chez ceux qui fréquentent les mosquées. On peut conclure facilement que dans la population musulmane générale, ils sont encore plus minoritaires… Pas si différent que ça d’un monsieur ou d’une madame Tremblay (un nom commun au Québec) tous ces musulmans. Ils se lèvent le matin, préparent leurs enfants pour aller à l’école, vont à leur travail et paient leurs impôts comme tout le monde…


Le Québec après Bouchard-Taylor, les identités religieuses de l’immigration. Sous la direction de Louis Rousseau 2012- Presses de l’université de Québec

Source: El Watan - 8 mai 2012