Martin Luther King avait un rêve. Jugurtha avait un rêve et un devoir. Il n’a pas pu réaliser son rêve, ni accomplir son devoir. Ses descendants, qu’ils parlent sa langue ou pas aujourd’hui, ils ont tous et toutes  le devoir de le faire. Personne ne le fera à leur place.

La cause du peuple amazigh dans toute l’Afrique du Nord continue à patauger et à subir toutes les politiques d’assimilation. Elle est réduite au folklore le plus malsain en Algérie, à tyrannie la plus cruelle au Maroc et en Lybie, à l’indifférence la plus inexplicable en Tunisie.  Qui en est responsable? La réponse facile et rituelle serait celle qui incomberait toute la responsabilité aux pouvoirs politiques en place. Loin de moi l’idée de réduire la part de responsabilité de ces derniers dans l’ampleur des dégâts infligés à cette identité millénaire nord-africaine, mais, il arrive un moment où le Berbère doit se regarder dans un miroir et se dire certaines vérités. Celles-ci lui feraient certainement très mal mais il doit les affronter s’il veut aller de l’avant et réhabiliter l’héritage que ses ancêtres avaient chéri pendant des millénaires contre vents et marrés.

28 ans après le printemps berbère de 80, Tamazight n’a pas encore son statut officiel dans la constitution algérienne. 28 ans après le printemps de 80, l’Algérie n’a pas encore une chaîne de télévision d’expression amazighe. 28 ans après le printemps de 80, l’enseignement de Tamazight est encore optionnel et le statut de l’enseignant de tamazight est encore précaire voire folklorique. 28 ans après le printemps de 80, des millions de Berbères algériens attendent encore qu’une poignée de personnes se sacrifient encore leur jeunesse et leur vie pour arracher d’autres acquis. Et eux, que font-ils entre-temps? Leur arrive-t-il de se sentir interpelés par cette cause qui est censée être la leur aussi? Leur arrive-t-il de se questionner sur leur apport et leur contribution à cette cause et à cette culture?

Les réponses à ces questions seraient multiples et relatives à la situation de tout un chacun.


La première catégorie de Berbères dirait que les politiciens l’ont trahie, alors, elle se retire complètement de l’espace public laissant ainsi le champ libre à l’anarchie la plus totale qui fait l’affaire du pouvoir et de ses valets. La classe politique berbère, loin d’être homogène dans ses perspectives, a elle aussi commis des erreurs. Elle a même relégué tamazight au dernier plan pour pouvoir concrétiser d’abord son objectif partisan. Ce jeu politicien et machiavélique a non seulement nui à Tamazight mais au processus démocratique de la nouvelle Algérie. Un leader politique qui s’éloigne des aspirations de son peuple ou qui ajuste sa ligne politique au gré des conjonctures tracées dans la plupart du temps par le pouvoir ne pourrait obtenir gain de cause à long terme. Il suffit de revisiter les combats de Luther King aux États-Unis d’Amérique contre la discrimination raciale, de Nelson Mandela en Afrique du Sud contre l’apartheid, de Gandhi en Inde contre les Anglais et la violence, pour se rendre compte qu’un idéal a besoin d’une ligne conductrice stable, cohérente et constante, en plus des sacrifices suprêmes que cela exigerait de ceux et de celles qui porteraient cette lourde responsabilité devant l’histoire.

La deuxième catégorie, quant elle, serait persuadée que Tamazight ne donne pas à manger. Alors, elle se rive vers d’autres langues et cultures pour s’assurer un statut social et matériel confortable. Cette population qui pense d’abord  à son estomac et à son confort matériel n’est pas moins responsable du chaos dans lequel se démène la cause amazighe. Elle est passive, donc, responsable d’une partie des échecs des tentatives de réhabilitation de Tamazight. Car, ce qui différencie les humains des autres êtres vivants est surtout l’esprit et la conscience. Ces personnes se font vraiment faire croire qu’elles peuvent vivre et ne pas se pas concernées par le sort de leur communauté. Ce qui serait une grave erreur envers elles-mêmes, envers l’histoire et surtout envers leurs propres enfants. Des qu’elles élèvent dans un déracinement total. C’est un fait aussi, un être humain sans repère et sans racine finit par devenir soit, un danger pour les autres ou une loque humaine sans âme.

La troisième catégorie aurait opté pour la voie radicale, voire facile. Elle aurait carrément coupé le pont qui la lie à son identité, épousant sans regret l’identité de l’Autre. Oublions consciemment ou inconsciemment que cet Autre a travaillé très fort pour asseoir son identité et la servir. Cette catégorie est hantée par le fait de travailler sans cesse pour devenir l’Autre et lui plaire au lieu d’entretenir ce qu’elle est d’abord et pourquoi pas vivre en harmonie dans et avec la différence ensuite. Cet état relève d’un cas pathologique. Le cas de Michael Jakson est plus que révélateur. Tout son génie est réduit à néant par son obsession de venir un ‘’homme’’ blanc. Il a tellement subi d’opérations chirurgicales que son corps défendant ne peut même pas supporter l’air libre et encore moins la douceur du soleil du printemps. Au lieu d’être l’exemple de succès pour la communauté afro-américaine, il est devenu l’antithèse du combat de Luther King. Pourquoi se ranger du côté des blancs en changeant la couleur de sa peau au lieu de rester tout simplement lui-même à côté des blancs? Le parallèle est un peu fort mais il existe de ces Berbères complexés d’être eux-mêmes.

Et enfin, Il y a cette dernière catégorie solitaire qui continue à travailler dans l’ombre pour produire loin des feux de la rampe. Cette tranche noble de la population berbère, comme elle  a compris que la communauté du destin fait défaut aux siens, elle suit le chemin de Mammeri, de Yacine et des centaines d’autres qui ont bâti, sans soutien, la base de l’édifice que Tamazight a aujourd’hui. Ces fourmis de la mémoire berbère existent en Algérie, au Maroc, en Lybie, en Tunisie, aux Îles Canarie, en Europe et en Amérique du Nord. Ces gens dévoués et désintéressés ont écrit des livres, réalisé des recherches linguistiques, sociales et anthropologiques, réalisé des films, adapté ou écrit des pièces de théâtre, conçu des sites rassembleurs pour mettre en évidence les talents des créateurs, créé des ateliers pour éduquer la relève. Cependant, tous ces efforts ne sont pas suffisants si tous les Berbères ne s’y impliquent pas.

Donc, il est temps pour chaque Berbère de se sentir concerné par le destin commun. Il est temps pour lui de cesser d’étouffer la voix qui l’interpelle pour assurer le bien-être et l’épanouissement de son identité d’abord et de contribuer à l’édification d’une société humaine équilibrée ensuite. C’est notre devoir à tous et à toutes de retrousser les manches pour servir ce que nous sommes et ce, loin de toutes formes de violence ou du rejet de l’Autre.  Et l’étoile de Jugurtha ne fera qu’illuminer cette terre nord-africaine que nos ancêtres avaient tellement chérie. Encore, faut-il la trouver et la montrer à nos enfants!

Djamila Addar