Une guerre souterraine oppose la France et les Etats-Unis au sujet de l’immixtion de ces derniers dans ce que l’Hexagone dénomme le plus important espace francophone africain.

La France continue de résister aux visées américaines concernant le transfert de la base d’Okinawa au Japon vers le continent africain, car, comme disait Fareed Zakaria du New York Times, dans cette résistance, le Gaullisme veut lui aussi sa part dans la gestion planétaire, car il constitue l’autre forme d’hégémonie et d’unilatéralisme. En tout cas... Que la base s’installe au Mali, au Sénégal ou au Maroc, le point d’orgue de la question se focalise surtout sur l’Algérie. A vrai dire, ce qui nous intéresse dans ce magma d’informations plus lacunaires que fragmentaires, ce sont les contours de la coopération militaire algéro-américaine, leur devenir et leur incidence, après une fréquentation «fructueuse» de quelque 6 années d’échanges, années durant lesquelles l’Algérie s’est décidée de rejoindre le groupe du Sud au sein de l’Otan.

Le Pentagone qui s’est réjoui du concours algérien, s’attelle, de temps à autre, à nous distribuer de très bonnes notes. Et les congratulations savamment entretenues commencent à surgir tant du côté diplomatique que du côté officieux. En somme, l’Algérie est un pays sérieux et sa coopération demeure très précieuse dans la lutte contre le terrorisme, nous dit-on. Dans cette phraséologie constamment répétée par les responsables américains, il n’y a pas seulement une question de sémantique car les appréciations précises d’une institution comme le Pentagone nous permettent d’aller au fond de toutes les évaluations militaires qu’avaient faites les experts du ministère américain de la Défense au sujet de la coordination inter-Etats dans le domaine de la sécurisation planétaire.

Cela dit, et concernant l’Algérie, les multiples contacts qu’avaient effectués les premiers chefs opérationnels de l’ANP avec les subalternes américains de l’Otan ont permis d’accomplir de très grands succès, voire une coopération, dit-on, exemplaire. Les plus en vue des généraux algériens, définis politiquement comme les militaires les plus antiterroristes du monde arabe, se voient déjà attribuer une distinction méritée. Autrement dit, dans la stratégie élaborée par le Pentagone, on place déjà les chefs militaires de l’Algérie (appellation nominativement non définie) comme des partenaires fiables et acquis dans la sécurisation de ce qu’on dénomme l’Arc de l’instabilité (Arch of Instability). L’expérience faite avec le Pakistan lors de la démolition du régime moyenâgeux des Talibans a fini par convaincre les stratèges du Pentagone de la nécessité de gagner le coeur des chefs militaires de beaucoup de pays, et ce en les sensibilisant davantage sur le danger terroriste. Et comme une armée demeure une affaire de quelques gradés supérieurs, dotés de pouvoir politique dans certains cas, l’échange, la gestion et la coopération sécuritaire sont devenues elles aussi tributaires des relations souvent plus personnalisées. Le Plan de riposte qu’avait adopté le Pentagone pour terrasser la bête terroriste dans l’Arc prend beaucoup en compte le profil des grands noms de partenaires étrangers.

Dans ce contexte, on mise énormément sur les responsables des armées partenaires au moment où la définition géographique que donne la fédération des scientifiques américains à cet Arc s’articule surtout autour de tous les foyers terroristes de l’hémisphère Sud. L’Arc débute en Colombie rejoint l’Afrique du Nord puis le Moyen-Orient pour aboutir ensuite aux Philippines et en Indonésie. C’est dans ces régions qu’une famille de bases américaines est en train de voir le jour, une sorte de Cavalerie globale (Global Cavalry) qu’une institution républicaine comme The American Entreprise Institute comble d’éloges dans toutes ses études sécuritaires.

L’Algérie figure théoriquement dans les projets de la réimplantation des bases outre-mer (Overseas Rebasing and Defense Transformation 2003) applicable en 2005-2006, car c’est un Etat dont le territoire s’enfonce profondément dans le coeur de l’Afrique subsaharienne et qui présente, selon certaines versions, tous les atouts pour recevoir une partie de la Cavalerie. La région de Tamanrasset fut mentionnée à plusieurs reprises et choisie pour recevoir une base opérationnelle antiterroriste qui supportera la Combined Joint Task Force Horn on Africa laquelle opère dans la Corne d’Afrique. Cependant, et selon des sources fiables, le principe d’une base américaine permanente en Algérie n’a pas pu être retenu. Bien que la cause réside dans la réticence des militaires algériens quant à une concession d’une partie du sol à une armée étrangère, mais on évoque encore beaucoup plus des différends d’aspect juridique, technique et surtout de durée, tout cela mêlé à l’ambiguïté des déclarations et des positions interventionnistes de certains responsables du Pentagone, comme l’ex-vice-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz.

Cependant, une base américaine en Algérie est un terme très fort pour une opinion publique nationale, toujours emprisonnée dans le légendaire antiaméricanisme, ajouté à cela le fait que les premiers responsables de l’ANP, tout comme le ministre de la Défense Bouteflika, restent très sensibles sur les questions du territoire. Une base «volatile» qui existe et qui n’existe pas, occasionnelle probablement et c’est cela qui constitue la nouveauté dans le raisonnement algérien, lequel cède la place du radicalisme traditionnel à un nouveau pragmatisme politique né dans le sillage d’une coopération économique avantageuse pour Alger. En regardant ses autres soeurs arabes lesquelles risquent de jouer contre elle, à l’instar du Maroc et de l’Egypte, l’Algérie commence à comprendre qu’elle ne peut pas faire cavalier seul dans une ère où une grande partie des pays du monde s’efforce à s’ajuster aux réalités de la puissance américaine et c’est bénéfique pour elle de manoeuvrer dans un ce système «temporairement» unipolaire. Ça s’explique parfaitement dans sa réponse à la demande américaine, où elle aurait emprunté la ligne médiane puisque, tout compte fait, elle ne peut sombrer encore dans son traditionnel langage, ce genre de lexique en porte-à-faux avec les conjonctures actuelles et les bouleversements que connaît le monde d’aujourd’hui.

Une chose est sûre, on a en toute évidence compris que les transformations politiques internationales ont fait à ce que les nations se rapprochent de plus en plus, dans des relations parfois caractérisées de tiraillements entre dominés et dominants. Et c’est ainsi qu’elle ne peut malheureusement faire l’exception. On sait maintenant, selon des sources sûres, que la question de la coopération antiterroriste avec les Etats-Unis fut bien définie car elle repose essentiellement sur la gestion exclusive de l’ANP des affaires du terrorisme dans le territoire algérien. Le pays peut demander une assistance aux Etats-Unis en matière technique de surveillance ou de renseignement. Les Etats-Unis peuvent compter sur l’Algérie en matière de coopération, comme par exemple l’octroi de certaines installations pour faciliter la mission de l’Air Mobility Command, ce service militaire américain de transport de troupe pour fins d’interventions. Pour la mise à niveau des capacités de l’ANP, notre pays peut passer à un stade de manoeuvres terrestres avec les forces de l’Otan après avoir accompli des exercices navals.

Le colonialisme du 18ème siècle se distingue par ses colonies. Le colonialisme à l’américaine se définit par la multiplication des bases militaires dans le monde. C’est la conclusion à laquelle est arrivé un grand expert militaire comme Chalmers Johnson. Le monsieur avait démontré dans un article publié par le Los Angeles Times (www.latimes.com) que sous couvert d’une lutte antiterroriste le Pentagone est en train de tisser une toile militaire pour asservir l’humanité. Dans ses citations, l’auteur a lancé des attaques fulgurantes contre le trio Bush, Cheney et Rumsfeld les traitant de grands hégémonistes d’ordre impérialiste avec un plan qui ne fait que stimuler le terrorisme. L’expert militaire s’interroge sur la nécessité de déployer à l’étranger un demi-million d’hommes parmi eux des milliers de soldats, de techniciens, d’enseignants et d’espions pour écouter ce que disent, télécopient ou échangent par courriel les gens du monde, y compris les Américains. Monsieur Chalmers avance des chiffres terrifiants sur la mauvaise entreprise qu’accomplit le Pentagone. Outre ses 6.000 bases aux Etats-Unis, le département de la Défense entretient 720 bases dans 130 pays, ce qui représente 253.288 gens en uniforme et presque l’équivalent de fonctionnaires civils de la Défense, auxquels s’ajoutent 44.446 recrutés locaux. L’auteur de l’article estime que ce chiffre ne concerne pas les bases temporaires au Kosovo, en Afghanistan, en Irak, en Israël, au Koweït, au Kirghizistan, au Qatar et en Ouzbékistan. Monsieur Chalmers considère que le Pentagone est emporté par une volonté expansionniste dans la mesure où on prévoit la mise en place de 4 bases permanentes en Irak et une couvrant le quart nord du Koweït, tout en pensant à une famille de bases dans la nouvelle Europe comprenant notamment la Roumanie, la Bulgarie, la Pologne, sans compter encore l’Afrique du Nord, l’Australie et Singapour. Le New York Times admet quant à lui cette méfiance qui s’installe dans le monde face à une administration américaine décidée à mettre le monde à sa main et à ses conditions. La multiplication des bases militaires à l’étranger devient source de polémique chez certains élus comme ceux de la Californie qui veulent la fermeture des ces installations et le rapatriement des soldats en terre américaine. La demande de la constitution d’une commission indépendante pour formuler un programme réaliste des bases militaires est réclamée, ce qui augure le manque de confiance dont témoignent certains élus aux faucons du Pentagone.

L’embarras du chef de la Maison Blanche devient lui aussi grandissant, surtout devant les multiples réactions nationales et internationales, lui demandant de laisser l’humanité tranquille. Pour défendre sa thèse, Bush investit encore dans la peur du terrorisme, et plaide la bonne foi des Etats-Unis. Cela se passait au moment où les plus conservateurs du Parti républicain vocifèrent chaque jour en disant: «Nous n’avons jamais cherché à dominer le monde, nous ne voulons rien imposer, nous voulons rendre la libération et l’autogouvernance accessibles et ce que nous essayons de faire en Irak» (tiens, tiens).