Après douze ans d'absence, mon premier voyage à Alger est retrouvailles, chocs et espoirs. Mais d'abord, petites histoires et grande géographie du bonheur.

1- Le départ

Jour zéro. L'enregistrement des bagages est fluide, les poids justes (31,5 kg par deux), le bagage à main en est un d'épaule, le sourire est black-belle. "Bon voyage, monsieur !". Je compte bien.

La file à la police des frontières est longue comme une journée sans musique. La boucle de ma ceinture fait sonner le portique et je m'en contre-fiche: je vais à Alger.

La porte 59E est à l'autre bout du monde: l'aéroport de Montréal est grand mais le Dieu des musulmans est plus grand.

Au tiers du chemin, je croise un petit chariot chromé que j'attrape par le collet et auquel je fous mon sac de livre dans la gueule! "Hue, cocotte !".

Au 2e tiers du chemin, parfumerie chic, une Grace Jonce me susurre qu'elle a des propositions pour moi, que je décline évidemment, et qui me lance un "Vous êtes sûûûr?" avec un clignement de ses longs cils à perturber temporairement la molle quiétude de ce qui me reste d'hormones.

3e tiers, la salle. Des rangées de chaises sages et d'enfants turbulents. En fait, il suffit qu'un seul enfant "turbule" ou qu'un bébé pleure -quoi de plus normal!- pour qu'on pense: "Ça y est: Air Algérie, c'est toujours le bordel!".

Non ce n'est le bordel: au bordel, les hommes sont sûrs d'avoir du plaisir, les femmes de l'argent. Sans les compter, je vois qu'il y a presque autant d'hommes que de femmes et plus de hidjabs que de têtes nues. Je parle de ce que je vois dans la salle!

Pendant qu'assis je pianotais d'ultimes textos du sol canadien, deux hommes sont venus, tour à tour, prier à côté de moi à même la moquette (ça aurait fait plaisir à un couple de québécois célèbres de les voir à quat'pat'-l'intégration a ses limites...) et sans s'enquérir de la qibla: soit ces Ibn Battouta la connaissent par cœur, soit ils s'en foutent, soit cette négligence invalidante en temps normal fait partie des accommodements divins que Le Tout Puissant accorde au moussafer, le voyageur, et sur lesquelles il serait, crois-je, malvenu de lever le nez.

La prière finie, assis, ils échangent à propos du cours du huard à la bourse du Square Bab-Azzoun, l'un en lissant sa barbe de la paume de la main, l'autre son crâne rasé d'un peigne invisible... J'ai mon voyage!

Puis, nous sommes appelés, dans l'ordre et la bonne humeur, par petits paquets de gens. Nous nous engouffrons dans une suite de couloirs, silencieux et pressés, comme si Alger était au bout de l'un d'eux. La foule est stoppée dans le "tuyau" qui relie l'étage à l'avion: le chef (de cabine? d'escale?) nous demande, gêné, de patienter quelques minutes que le nettoyage de l'aéronef soit finalisé.

J'avance pour me remplir quelques bouteilles: combien de temps ça devrait prendre, un nettoyage des sièges et des allées de l'honorable aéronef? 30 minutes en théorie. Et là? Euh... 90! Tout le monde sourit. À la vue des opérateurs, j'avance que les Sud-Américains sont des gens fainéants, il fait mine d'une vexation de circonstance et, sur le ton de la confidence: "Il faut voir dans quel état khawetna (nos frères) abandonnent l'avion dès qu'il touche le sol!". Mon scepticisme a volé en éclat dès le premier des deux atterrissages qui allaient suivre!

Le Go donné, nous y sommes, places lettrées numérotées et... bagages à main immenses et nombreux! Arrivé par la suite, mon voisin n'a pas trouvé de place pour sa petite et unique mallette et se résolut vite à la garder sur ses genoux. Un homme de paix. Décollage.

À suivre...