Dans quelques semaines, le peuple amazigh fêtera le 29ème anniversaire du printemps berbère. Le bilan des acquis n’est pas réjouissant. En effet, ces derniers sont maigres et fragiles. D’un côté, on n’est plus dans l’époque des censures sordides. Tamazigh est exprimée fièrement par ses enfants. D’un autre côté, le pouvoir demeure silencieux voire indifférent face à la revendication de base qui fera toute la différence dans la construction d’une Algérie authentique, juste et plurielle. Le pouvoir central et les islamistes travaillent d’arrache-pied pour éradiquer les derniers bastions de la revendication. Les deux camps travaillent de concert en se cachant derrière l’Islam. Comme si on ne pouvait pas être berbère et musulman. Certains Berbères, aveuglés par le paradis de l’au-delà ou le gain facile, sont tombés dans le piège ou jouent le jeu de ceux qui tentent par tous les moyens d’effacer leur identité. Il est temps pour l’islam de se démarquer de ces magouilles et de respecter les civilisations qu’il a trouvées dans les pays qu’il a conquis dans la plupart des cas par l’épée.

 

Tamazight est désormais sortie de l’anonymat politique et culturel. Tout le monde en parle, mais avec toujours ce « mais » qui perce le cœur et la mémoire. Certains Nord-africains disent leur identité amazighe d’une façon grandiose dans l’espace public. D’autres continuent à la vivre dans l’intimité familiale sans trop se poser de questions sur le devenir de leur héritage millénaire acculé par les partisans de l’islamo-baathisme. Et pourtant, le peuple berbère a toujours vécu son amazighité au gré des vents et des tempêtes, mais sans trop se soucier d’arrêter des stratégies de protéger sa civilisation de tous les dangers qui la guettaient. Donc, il a continué et continue encore à maintenir oralement et parfois sous perfusion avec beaucoup de pudeur politique et idéologique le peu de valeurs qui lui restaient de ses ancêtres. Mais, pourquoi cette pudeur ou cette autocensure de ce qui fait ce qu’il est ?  C’est cette question justement qui demeure un grand mystère. Tout ce qui est relatif à l’identité berbère est confiné dans l’oralité voire le folklore qui amuse en quelque sorte la galerie pendant que les autres cultures qu’elles soient chrétiennes, juives ou musulmanes prennent le dessus dans la vie collective, sociale, économique et politique des Nord-africains. Les dernières (musulmanes) ont réussi à éliminer les deux premières de l’espace public, par tactique idéologique ou par intimidation. Désormais tout ce qui est différent de l’islam politique est  porté au fil du temps par des minorités pourchassées ou réduites au silence.

Serait-il question d’une négligence grave du peuple amazigh ? Serait-il question d’un génocide pratiqué sournoisement par les porteurs de l’Islam ?

Je pense que nous pouvons parler des deux. Les deux camps sont responsables de ce désastre. En effet, le peuple amazigh n’a pas su conserver d’une façon effective son héritage quand il est appelé à épouser d’autres langues ou cultures et surtout quand il a été appelé ou forcé à épouser la religion musulmane. Devenir musulman équivaut, selon certains,  à laisser de côté ce qui fait leur personnalité depuis des millénaires. Point de prénoms amazighs ; point de discours dans sa langue maternelle en public, point de valorisation de la production amazighe dans sa langue, point d’histoire de ses ancêtres dans le système éducatif. En l’espace de quelques siècles, la langue arabe, la langue du Coran (pour certains la langue privilégiée de Dieu) a pris le dessus sur la langue amazighe avec la bénédiction des enfants amazighs. Les contrées lointaines, les montagnes et les villages berbères ont été épargnés par cette démarche diabolique des pouvoirs politiques de toutes les époques musulmanes. L’oralité a donc sauvé la langue, la culture et une partie des traditions amazighes. Cependant, le rythme de l’histoire et l’évolution des sociétés ont fait prendre conscience à certains Berbères que l’isolement qui a fait la force de la préservation de ce qu’ils sont ne peut plus continuer eu égard aux moyens de communication, à la mobilité des individus et notamment aux politiques de standardisation des pouvoirs centraux basées notamment sur une pensée, une langue, une histoire, une culture, et surtout une religion. Le reste, démuni sciemment de toute logistique et de toute liberté, est appelé à disparaître de gré ou de force. Ce qui explique la vague des assimilations de toutes les grandes villes d’Algérie pour ne citer que ce pays. Par la suite, on s’attaque aux petites villes avant d’atterrir autrement dans les villages et les contrées lointaines pour finir le plan d’extermination de tout ce qui est amazigh de la tête des gens.

Le plan a failli marcher si ce n’est l’éveil des « Berbéristes » comme adorent les appeler les détenteurs de la pureté arabiste. En effet, des individus dévoués ont sacrifié leur vie pour remuer ciel et terre pour que leur peuple se réveille et barre le chemin aux ennemis de son identité. Désormais, Tamazigh passe de l’oralité à l’écrit, de l’intimité familiale à l’espace public, de la case ‘’patrimoine’’ à la case politique. La culture, la langue, la civilisation et l’histoire amazighes sont vivantes et doivent continuer à vivre. De Boulifa à Rachid Alliche en passant par l’académie berbère, Mammeri, Feraoun, Kateb Yacine, Jean et Taos Amrouche pour ne citer que ceux-là, le combat a été extraordinaire. Tamazigh sort du silence et entre dans l’ère de s’imposer en tant qu’entité légitime dans ses propres territoires. L’acharnement des politiques antiberbères n’ont fait que renforcer la rage des Amazighs à lutter davantage pour que leur identité ait sa place institutionnelle et constitutionnelle chez elle. La répression a eu raison des partisans de l’arabisation systématique des Berbères.


La crise dite berbériste de 1949 a ouvert les yeux à certains militants berbères. Pour eux, libérer l’Algérie sans son amazighité posait problème, mais il a fallu s’unir pour se débarrasser du colonialisme français. Une fois l’indépendance arrachée, tout ce qui est berbère est devenu l’ennemi du pouvoir dictatorial d’Alger. Sa haine et son déni de l’identité amazighe se sont manifestés à grande échelle lors des évènements du printemps de 1980.  Ce qui a provoqué la colère du peuple qui s’est rangé rapidement du côté de ses enfants meurtris, malmenés, emprisonnés, torturés et expulsés des bancs des lycées et universités. La cruauté de ce pouvoir a également marqué la mémoire de ceux et celles qui activaient bien avant le printemps de 80. La chair du Berbère a été éliminée de la fac centrale d’Alger. Mammeri faisait ses recherches sans soutien financier de son propre pays et même clandestinement pour sauvegarder le trésor qu’il a collecté douloureusement auprès de son peuple à travers toute l’Afrique du Nord et les Iles canaries. Les membres de l’académie berbère sont harcelés, censurés, dénigrés en plein cœur de Paris. Aussi, Tifinagh, l’alphabet berbère, les signes phares de l’amazighité, les prénoms amazighs sont classés dans la liste rouge d’un pouvoir qui s’affichait pourtant socialiste et nationaliste.

Donc, le printemps de 80 qui est classé par les historiens intègres comme le premier mouvement démocratique a crevé l’abcès. Basta au génocide de l’identité amazighe, disait la rue. Le partisan de la création de ‘’l’homme arabe’’ en Algérie, en l’occurrence Boumediene, est mort ou assassiné. Tant mieux diraient ceux et celles qui l’avaient subi dans leur chair. Tant pis pour ceux qu’il avait soutenus dans la concrétisation de la pire besogne de l’histoire de la jeune république indépendante algérienne. Son successeur avait du pain sur la planche. Le président Chadli, devant la grogne sociale a fini par admettre que « Nous somme berbères, mais arabisés par l’Islam ». Encore une fois, une autre machination, diraient les plus éclairés. Cette fois-ci, elle relève de la fatalité ! Alors, quoi faire M. Chadli ? S’y résigner peut-être ? Malgré tout, son aveu que nous soyons Berbères a  soulagé en quelques sortes les esprits un peu naïfs. . Par contre, les esprits éveillés ont fait une autre lecture de cet aveu émanant du premier magistrat du pays. En effet, le constat que nous soyons arabisés, donc, assimilés, a désarçonné cette partie de l’Algérie authentique qui a donné le sang de ses meilleurs enfants pour que le pays soit enfin affranchi de toute forme d’aliénation. Et pourtant, la pire aliénation se préparait dans les coulisses des machiavels des appareils politiques.  Que faire pour mater cette Algérie rebelle ? Que faire pour éradiquer ces Berbères rebelles et déterminés ? Le virage de 1989 avec sa fameuse constitution bizarroïde a donné la superbe recette aux penseurs diaboliques du pouvoir central. Et si on donnait à ce peuple l’illusion d’une démocratie ? Et si on ajoutait l’ingrédient islamiste à ce pluralisme politique ? Le plan est donc lancé.

Bienvenue à l’Algérie de toutes les incertitudes et de tous les scénarios!

L’anarchie a fait le bonheur des détenteurs du pouvoir. Ainsi, ils deviennent par miracle les sauveurs de l’Algérie qu’ils ont eux-mêmes enfoncé dans des crimes les plus macabres de son histoire. Les années 1990 ont fait plus de 250 000 morts sans oublier les milliers de disparus et d’exilés. Le drame a fait saigner le pays dans tous les domaines. Les années 2000 ont, elles aussi, leurs lots de mensonges, d’intimidations, de corruption, d’écart entre les classes sociales. Des riches arrivistes qui ne savent plus quoi faire de leur richesse face à la majorité du peuple qui a du mal à joindre les deux bouts. Quelle Algérie ! Quel honte de voir une révolution chèrement payée se transformer en un monstre qui bouffe les descendants de tous les révolutionnaires sincères. Finalement, le dicton kabyle que nos parents nous racontaient quand nous étions enfants se concrétisait de plus en plus dans cette Algérie de supercherie. Ucen (le renard), du temps où les animaux parlaient disant : «  Je ne souhaite pas connaître le 14ème siècle musulman. ». Du coup, la fiction se mêle à la réalité au point où l’Algérien ne sait plus quoi faire face à deux monstres : Les assoiffés du pouvoir et les islamistes. Quel cocktail ! Aucun des deux camps n’aime ce pays et encore moins le peuple de ce pays.

Et dans ce tourbillon, la cause amazighe devient un enjeu majeur. Tous les moyens sont bons pour corrompre les militants berbères ou les réduire au silence. Quant aux citoyens berbérophones, le pouvoir central s’en est très bien occupé. Les missionnaires islamistes via les mosquées et leurs réseaux ont, en espace d’une décennie, endoctriné presque toute la Kabylie. Le havre de la démocratie et des revendications est devenu  le terrain de toutes les expériences aussi malsaines les unes que les autres. Les relais du pouvoir central se pavanent sans scrupules dans les rues de Kabylie avec de l’argent plein les poches pour acheter les âmes démunies ou tentées. Les islamistes, de leur côté, s’activent à faire le sale boulot en dénigrant les berbéristes ou les militants démocrates. Et le tour est joué. Du coup, le combat amazigh devient banal, le travail de Mammeri et des autres un détail, l’assassinat de Matoub, un accident d’histoire, l’opposition politique un leurre. Les revendications socioéconomiques quant à elles sont confinées dans le calendre grecque et la liste est longue. Bref, tout ce qui fait la dignité de la citoyenneté algérienne est devenu insignifiant. 

Pourquoi tout ce massacre de ce qui fait un pays ? Pourquoi les valeurs qui ont fait la fierté de ce peuple et sa personnalité sont banalisées voire vidées de leurs sens le plus noble ? À qui profite ce machiavélisme ?

Autant de questions qui demeurent sans réponse pour le moment, mais l’avenir sera dur et sévère envers les responsables de ce génocide qui ne dit pas son nom. Ce qui est certain est que l’instrumentalisation politique de l’Islam a sa grande part de responsabilité dans ce chaos généralisé au nom d’Allah. Dire que l’islam n’y est pour rien n’est plus suffisant en ce troisième millénaire. Les Berbères ne sont pas dupes. Il est temps pour les intellectuels ou penseurs de cette religion de se démarquer des conspirations des politiques assoiffés du pouvoir et d’admettre pour une fois que la religion qui s’acharne sur l’identité qui est l’âme d’un peuple est loin d’être l’émissaire de celui qui a crée le monde dans sa diversité et ses folies.