Pratiquement analphabète et ne parlant que l'arabe, une Algérienne nouvellement arrivée à Montréal était battue par son mari au point d'en perdre parfois connaissance. L'homme refusait qu'elle suive des cours de français. «Je t'ai épousée pour que tu prennes soin des enfants, pas pour que tu ailles travailler et qu'ils soient à la garderie», disait-il.

Ce n'est là qu'un pan du noir portrait qu'une femme a tracé de son ex-mari devant le tribunal. D'origine algérienne lui aussi, l'homme de 46 ans est accusé de voies de fait et d'agression sexuelle contre son ex-femme. Il est aussi accusé d'avoir battu souvent l'aîné de leurs trois enfants, qui a maintenant 9 ans. Les accusations visent la période comprise entre 2006, moment où le couple s'est installé à Montréal, et le 10 mars 2008, moment où la jeune femme a porté plainte à la police et où le couple s'est séparé.

Le procès devant jury, présidé par le juge Claude Champagne, se tient depuis deux semaines au palais de justice de Montréal.

Toute cette affaire a commencé en 2000. L'homme, qui demeurait au Canada depuis plusieurs années, s'est rendu en Algérie pour épouser madame. Ce sont leurs parents respectifs, résidants du même quartier à Alger, qui avaient arrangé ce mariage. Monsieur, qui avait 36 ans, et madame, qui en avait 19, ne s'étaient jamais vus de leur vie. À leur première rencontre, ils ont discuté pendant environ une heure, et la jeune femme a accepté de l'épouser. Deux semaines plus tard, le 9 novembre 2000, ils se sont mariés selon le rite musulman.

Monsieur était déjà marié, ce qui n'était pas inhabituel puisqu'un homme peut avoir quatre femmes en Algérie, a expliqué la jeune femme dans son témoignage. Mais pour faire venir sa nouvelle épouse au Canada, moins prodigue en ce domaine, il devait divorcer de la première. Les choses ont traîné, mais le problème s'est finalement réglé. Madame est arrivée au Canada en décembre 2002, avec l'enfant qu'elle avait eu entre-temps.

La petite famille a vécu à Banff, où monsieur travaillait comme pâtissier dans un hôtel. En 2006, ils sont venus s'établir à Montréal. Ils avaient alors trois enfants, et le père était en congé parental. À Montréal, ils se sont installés à Saint-Léonard, dans un logement où il y avait des «rats, des souris et des champignons dans les murs», selon la jeune femme. Ils vivaient de l'aide sociale et se querellaient souvent. Par la suite, l'homme a travaillé au noir tout en continuant à recevoir de l'aide sociale, a-t-elle raconté.

Quatrième année

Monsieur était violent verbalement et physiquement, a raconté madame d'une voix faible, en pleurant souvent. Il la frappait avec ses poings et avec de la vaisselle. Il lui cognait la tête sur les murs. Parfois, elle perdait connaissance. Elle avait souvent des bleus et des marques. Ayant interrompu ses études en quatrième année du primaire, elle ne savait pratiquement pas lire, écrire ou compter, surtout pas en français, et elle se sentait bien isolée.

En 2007, alors que la petite famille se préparait pour aller en vacances en Algérie, monsieur lui a demandé de montrer sa signature à sa soeur à lui, pour que celle-ci puisse remplir leurs fiches d'aide sociale pendant leur absence. La jeune femme a été bien offusquée, car son «identité» était tout ce qu'il lui restait, a-t-elle expliqué au tribunal. Mais elle s'est tout de même exécutée. Elle avait l'idée de quitter son mari, mais elle ne l'a pas fait. Au retour d'Algérie, il est revenu à de meilleurs sentiments, car elle avait parlé de son comportement à «toute la famille». Mais cela n'a pas duré.

Il la gardait isolée et la faisait se sentir comme une bonne à rien. «Tu n'arrives pas à la hauteur de la merde de ma soeur», lui a-t-il dit un jour.

Puis il a ouvert un restaurant, où il travaillait du matin jusqu'à tard le soir. À la maison, il est devenu encore plus impatient.

Le 8 mars 2008 ainsi que le lendemain, ils se sont vivement querellés. Le 10 mars, elle a porté plainte à la police. Elle et ses trois enfants se sont réfugiés dans une maison pour femmes en difficulté.

Un cousin de madame, qui dit avoir reçu ses confidences et l'avoir vue avec des blessures, est venu témoigner. La procureure de la Couronne n'a pas appelé d'autres témoins pour soutenir sa preuve.

Jamais consulté

De son côté, l'accusé n'a pas présenté de défense. Mais son avocat, Denis Poitras, en contre-interrogatoire, s'est étonné de ce que madame ne soit jamais allée consulter un médecin pour les sévices qu'elle prétend avoir subis. Par ailleurs, aucun voisin ne s'est plaint du bruit. Il a aussi insisté sur le fait que madame avait revu monsieur à plusieurs reprises à l'été 2008, à l'insu des intervenantes du centre pour femmes et de la DPJ. Ils se voyaient dans un parc avec les enfants et allaient parfois à l'hôtel. Madame a admis que, à l'époque, il avait été question qu'ils reprennent la vie commune.

«Vous l'avez décrit comme votre bourreau, et vous étiez prête à vous remettre entre ses mains», a rétorqué l'avocat d'un ton sceptique.

Madame n'a pas repris avec monsieur, car elle dit avoir découvert que lui et sa famille la «trompaient».

Le procès reprendra la semaine prochaine avec les plaidoiries.

La jeune femme, qui ne porte pas le voile, parle maintenant un assez bon français.

Source: CYBERPRESSE.CA