Qu’est-ce qui caractérise la communauté algérienne au Québec, et pourquoi vous la définissez par rapport à sa religion ?



Elle n’est pas définie par rapport à sa religion. L’équipe de recherche s’intéresse à la religion, point. Je peux comprendre que cela peut déranger les Algériens de voir leur identité réduite à la religion. Ce n’est pas l’intention du livre. Celui-ci étudie la religion des immigrants et forcément celle des Algériens. D’ailleurs, je le dis dans la conclusion de mon article dans le livre que le rapport des Algériens à la religion est à géométrie variable : il y en a qui sont très religieux, d’autres moyennement ou pas du tout religieux et il y en a qui sont anti-religieux. On peut trouver des laïcs, des féministes voilées ou pas, des laïcs, etc.  Pour un Québécois, c’est incompréhensible. A l’inverse d’autres communautés (cambodgienne, tamoule…) qui ont un rapport à la religion plus simple, les Algériens ont une relation plus variée, nuancée et je dirais même compliquée avec leur religion. Cela pour la première caractéristique.
En second lieu, on trouve que 40% des hommes ont des diplômes universitaires, soit deux fois la moyennes québécoise. Ce qui va surprendre plus les lecteurs, c’est la proportion de femmes universitaires ; elles sont les plus instruites chez les immigrantes.

Est-ce que l’Islam est un frein à l’intégration professionnelle ?

Il est vrai que j’ai dit cela dans ma partie du livre. Je faisais référence à l’image de l’Islam qui n’aide pas les Algériens. Compte tenu du contexte dans lequel nous sommes et où on s’inquiète de l’immigration arabo-musulmane. Il y a un discours qui est en train d’émerger qui affirme que les Arabes ont des difficultés d’adaptation. Je ne fais pas l’affirmation. Au contraire, si vous consultez la partie du livre de M. Milot, pour la majorité des Algériens et des Maghrébins l’Islam ne dérange pas. Ils peuvent même être de bons citoyens si les principes islamiques qui les animent c’est d’être de bonnes personnes, des personnes honnêtes, avoir une bonne éthique… ça pourrait même aider à l’intégration. Par contre, il y a une frange, même si elle est minime, composée d’intégristes pour laquelle l’Islam nuit.Le drame algérien, maghrébin au Québec est que tout le monde croit que la marge est majoritaire. Elle est minime mais tapageuse. Ce sont ceux-là qui demandent des accommodements raisonnables du genre «notre fille ne doit pas écouter de la musique» tel que rapporté par la presse – ce ne sont pas des inventions, ce sont des cas réels. Le drame des Québécois et qu’ils croient que beaucoup de musulmans sont ainsi.

On peut reprocher à la société d’accueil des défauts, mais les musulmans ont aussi leurs travers. Qu’est-ce qu’on peut leur reprocher ?

Faire l’effort d’être tout simplement de bons voisins. Quand on fait des choses qui sont dans l’ordre des habitudes des Arabes et des Maghrébins, il faut prendre conscience que si elles nuisent au vivre-ensemble, il faut se demander s’il est possible d’agir autrement. Comme pour la prière qu’il est possible de reporter… Certains exigent de leurs patrons, par exemple, une pause pour la prière à une heure particulière… après, ils exigent qu’il n’y ait pas d’alcool, de manger halal… le problème est que c’est un petit groupe mais on le retrouve un peu partout… C’est le cumul de tout cela qui donne l’impression qu’ils sont la majorité.
Et comme la majorité des Algériens sont muets, c’est normal que les Québécois trouvent insupportables ce modèle d’immigrants. On dit que les absents ont toujours tort et moi je dis que les muets (les musulmans, ndlr) ont toujours tort.

Est-ce que l’interculturalisme québécois avec un Etat de droit ne suffisent-ils pas à un vivre ensemble harmonieux ?

Su papier oui. Le problème est toujours cette minorité qui fait partie de l’immigration qui semble ne pas pouvoir s’intégrer. Soit pace qu’elle est conservatrice et ne se mêle pas de la vie publique, soit parce qu’elle demande constamment des accommodements raisonnables. Il y a l’émergence de petits cas qui agacent la société.

Dans votre conclusion, vous affirmez que Djemila Benhabib qui combat quand même l’islamisme politique et ses dérives violentes, et Ahmed Ressam, condamné pour terrorisme, ont façonné l’image des Algériens au Québec... N’y allez-vous pas un peu fort en les mettant tous les deux dans le même sac ?

Ce que je veux dire, c’est que nous sommes dans une phase de l’histoire du Québec où l’image du Maghrébin, parce que pour le Québécois lambda il n’y a pas de différence entre Algériens et Maghrébins, a commencé à se dégrader avec Ressam et continue et achève avec Djemila Benhabib. Elle parle constamment dans les médias des cas qui agacent, les cas de non-adaptation avérée (la petite fille dont les parents exigent qu’elle porte un casque pour ne pas écouter la musique…). Le fait de les commenter et d’accuser l’Islam et non l’islamisme et le fondamentalisme d’être la source de ce problème. Le fait d’en parler constamment fait qu’on parle des Maghrébins.

Ressam et Djemila Benhabib n’ont pas de liens. Ils représentent les deux extrêmes. Le premier a lancé le bal des stéréotypes de l’Arabe ou du Maghrébin mental qu’on s’est construit. Et Djemila Benhabib vient clore cet échafaudage. On ne peut pas lui reprocher le fond. La plupart des gens relativement instruits sont d’accord que les faits qu’elle dénonce sont vraiment dénonçables.
Le problème est qu’elle donne l’impression au grand public qui ne connaît pas la communauté maghrébine ou arabe que l’intégrisme est la norme dans celle-ci. Pour elle, il y a deux façons d’être musulman : être pratiquant et donc non intégrable, ou bien être non pratiquant de culture musulmane intégrable, sans reconnaître qu’il y a un modèle entre les deux où on peut pratiquer sa religion et être intégré et citoyen actif. Ce côté binaire est un peu dangereux et nuisible pour l’image de la communauté.

Source: El Watan - 8 mai 2012