Le buzz actuel sur Internet contre la décision de Smaïn Ameziane, commissaire du Sila, d’exclure les éditeurs égyptiens du prochain Salon international du livre, qui débutera le 26 octobre prochain, n’est pas venu ex nihilo. Derrière toute cette campagne, on trouve Ahmed Bensaâda, un Algérien vivant au Canada depuis une vingtaine d’années.

Avec un CV impressionnant et une multitude de prix dont celui du Premier ministre du Canada pour l’excellence dans l’enseignement (2006), ce docteur en physique et auteur de manuels scolaires contribuant régulièrement dans les journaux algériens explique à El Watan Week-end son action. Sur le net : www.ahmedbensaada.com.

Quelle a été votre principale motivation pour dénoncer la décision de ne pas inviter les éditeurs égyptiens ?

Lorsque j’ai lu un article relatant les déclarations du commissaire du Sila, j’ai été outré. Comment pouvait-on, à un si haut niveau, prendre une décision aussi irréfléchie ? D’autant plus que les arguments avancés par le responsable du Salon ne tenaient pas la route. Invoquer le respect aux gens maltraités en Egypte pour interdire le livre égyptien en sol algérien est purement kafkaïen. D’autant que la même semaine, des joueurs égyptiens ont été très bien accueillis et ont joué un
match de football avec une équipe algérienne (JSK contre Al Ahly à Tizi Ouzou, ndlr). Personne n’a élevé sa voix pour interdire les rencontres footballistiques qui ont été la cause de toute cette mascarade. J’aurais pensé que le commissaire du Sila était le premier défenseur du livre, des belles lettres et de la culture. J’aurais aimé qu’il utilise cet événement pour une éventuelle réconciliation entre les deux peuples. Je ne me serais jamais douté qu’il ne comprenne pas qu’en interdisant le livre égyptien, il punissait le lectorat algérien et faisait l’inverse de ce que sa mission exige de lui.

Pensez-vous que votre pétition contre la décision d’exclure l’Egypte du Sila a atteint ses objectifs ?

Plusieurs objectifs de notre action ont été atteints. Le premier est celui de sensibiliser nos concitoyens à ne pas endosser des décisions irréfléchies contre la culture. Le second est de montrer que les intellectuels algériens, en Algérie et partout dans le monde, peuvent travailler ensemble, main dans la main, et se mobiliser pour une noble action. Finalement, par cette action, il a été possible de faire du livre et de la culture un débat de société. Je me fais un plaisir de lire tout ce qui s’écrit sur le sujet actuellement. Cependant, l’objectif ultime n’a pas encore été atteint et nous espérons qu’il le sera : celui de voir les livres égyptiens dans le Sila de cette année et des années futures.

On se rappelle qu’en pleine campagne médiatique égyptienne contre l’Algérie après les matches du Caire qui a suivi le caillassage du bus de l’équipe nationale et de Omdurman, vous aviez lancé un appel au calme qui n’a pas eu le même succès que l’actuel. Qu’est-ce qui a fait que l’opinion publique change d’attitude entre-temps ?

L’action que j’avais lancée sous forme de pétition sur Internet a eu un grand succès populaire. Plusieurs centaines de personnes l’avaient signée et cela a probablement apporté un peu de sérénité dans le temps où il y avait de l’électricité dans l’air. Néanmoins, l’appel actuel, lancé par un groupe d’intellectuels algériens en Algérie et à travers le monde, a eu un succès médiatique incontestable grâce au travail de plusieurs personnes qui se sont impliquées de manière spontanée et responsable qui fait honneur à notre pays. L’appel a créé un réel «buzz» sur Internet. D’autre part, contrairement à la pétition qui se voulait un appel au calme, l’appel qu’on a lancé cette semaine a un objectif précis : celui de mettre fin à une décision irraisonnable.

Pourquoi, à votre avis, les intellectuels égyptiens n’ont pas dénoncé la campagne menée par des animateurs de télévisions satellites contre l’Algérie, son peuple et son histoire ?

Je ne peux pas me prononcer sur les motivations des intellectuels égyptiens, mais je dois vous annoncer que notre prochaine action sera de prendre contact avec eux. Nous leur demanderons de condamner les agissements odieux de certains de leurs concitoyens et nous leur proposerons une action commune pour essayer de calmer les tensions entre les deux pays.
 
Le commissaire du Sila change d’argumentaire et affirme maintenant que la non-invitation des Egyptiens est due à l’impossibilité de leur assurer une sécurité adéquate. Que pensez-vous de ce revirement ?

Le changement d’argumentaire du commissaire du Sila ne tient pas debout. Comment peut-on prétendre qu’un pays n’est pas capable d’assurer la sécurité des gens de lettres, alors qu’il assure celle de footballeurs égyptiens, qui résident plusieurs jours dans notre pays et qui jouent
devant des milliers de supporters adverses ? Et pourquoi avait-t-il avancé d’autres arguments, il y a à peine deux semaines ? A-t-il eu vent du tollé que sa décision a provoqué ? La meilleure sortie pour Monsieur le commissaire serait qu’il révise sa position et invite la délégation égyptienne à participer au Sila en lui offrant toute la sécurité que l’Algérie, notre pays, est capable d’offrir à ses visiteurs.
 
Source: El Watan - Edition du 2 septembre 2010