Suite et fin de l’entretien avec Richard Bergeron, chef de Projet Montréal

 


Arezki Sadat – Parmi les candidats de Projet Montréal, nous retrouvons beaucoup de candidats qui sont soit nés hors du Canada ou qui ont tout bonnement passé une partie de leur vie à l’étranger, à l’instar d’Émilie Thuillier ou de Jean-François Desgroiseilliers. Votre formation ressemble énormément à Montréal. Pourquoi ce choix?
Richard Bergeron – Tout d’abord, je dirais que c’est une décision naturelle. Ça découle d’un état d’esprit présent dans Projet Montréal et qui est en moi, le fondateur du parti. J’ai moi-même vécu à l’étranger. Je suis marié à une Maghrébine. Je suis ouvert sur le monde. Projet Montréal correspond également à ma philosophie. Je suis curieux de l’autre. Il est donc naturel que les candidats de Projet Montréal correspondent à cet esprit. En outre, les nouveaux membres de notre formation vont rapidement s’apercevoir que c’est leur monde à eux. 5 ans après la création de Projet Montréal, je peux vous dire que nous n’avons jamais cherché à aller dans cette direction, mais c’est venu naturellement.

A.S. – Quel message voulez-vous ainsi envoyer aux Montréalais?
R.B. –
Les candidatures aux élections ont été lancées sur la base d’un certain profil. Les candidats se sentent à l’aise. Je ne regarde pas la couleur de la peau de Ronald Boisrond, notre candidat d’origine haïtienne. C’est avant tout un candidat de Projet Montréal. Idem pour Mudi Wa Mbuji Kabeya qui vient d’Afrique subsaharienne ou pour Mohammed Benzaria qui est du Maghreb. Je ne regarde jamais le nom que porte un membre de Projet Montréal. De même, dans mon quotidien, je ne vois pas mon épouse comme une Marocaine ! (rires) Quand on baigne dans un tel environnement, on ne perçoit plus les différences. Amine Maalouf explique bien cela dans son livre Les Identités meurtrières : Quand l’homme atteint un certain niveau, sa perception ne peut être entachée d’ambigüités. Il faut tout simplement accepter l’autre. C’est l’esprit de Projet Montréal. Nous n’avons jamais cherché à recruter des Africains ou des Maghrébins, mais tout simplement des candidats quelles que soient leurs origines.

A.S. – À Montréal, la précarité de l’emploi est un fait indéniable. Le travail au noir est assez répandu. Est-ce que la lutte contre la précarisation de l’emploi fait partie de vos priorités?
R.B. – Je tiens à préciser que ce n’est pas du ressort d’une municipalité. La ville n’a pas beaucoup de pouvoir sur le marché du travail. Néanmoins, par la relance de l’économie de Montréal et sa dynamisation, on peut atténuer des situations inégales pour améliorer le sort des Montréalais. Comme maire, je peux faire deux choses : Je ne peux pas annoncer que je recrute des néo-Québécois, alors qu’en réalité ils sont de plus en plus congédiés. C’est ce qui s’est passé ces dernières années. Dans les textes, nous avons une politique d’inclusion graduelle et de discrimination positive à l’égard des nouvelles communautés, mais dans les faits, quand on abolit mille postes, c’est « dernier arrivé, premier parti »! Ce qui fait qu’aujourd’hui, il y a moins de néo-Québécois ou de néo-Montréalais qui travaillent pour la Ville qu’il y en avait il y a 2 ans. Moi, d’emblée, je vais engager à la Ville de Montréal, car pour mettre en œuvre notre programme, nous aurons besoin de 2 000 fonctionnaires de plus. D’autre part, il faut savoir que les baby-boomers occupent beaucoup d’emplois à la Ville. D’ici 10 ans, ils vont quitter. Ils bénéficient de très bonnes conditions de travail, donc ils pourront prendre leurs retraites assez rapidement. Dans les 10 prochaines années, il y aura énormément d’opportunités d’emplois à la Ville. Avec moi, la discrimination positive à l’endroit des communautés culturelles sera effective, pas seulement dans les textes!

A.S. – Comment le faire quand on connaît la difficile conjoncture économique?
R.B. –
La Ville peut créer des emplois d’une façon indirecte. On donne beaucoup de contrats, entre 800 millions et un milliard de dollars par année. Ces dernières années, les processus d’attribution de contrats ont conduit à une série de contrats, les plus gros possibles et les plus compliqués. On change souvent les règles pour les donner à ceux qu’on favorise. La ville de Québec fait autrement les choses : elle vient de donner un contrat pour des compteurs d’eau scindé en une vingtaine de petits contrats. De tels morceaux sont plus accessibles aux petites et moyennes entreprises. En plus, nous instituerons un système de deux enveloppes comparable à celui de la ville de Lévi. La première enveloppe constitue l’état de la qualification qui tient compte des critères relatifs à la discrimination positive à l’égard des nouvelles communautés. Il y aura aussi des critères de résidence locale. Nous favoriserons les entrepreneurs et les employés qui résident à Montréal. D’autres objectifs seront pris en compte comme ceux relatifs à la bonne gouvernance et au profil socio-économique et communautaire, sans oublier les critères environnementaux. La combinaison de différents moyens, directs et indirects, avec la relance économique règleront bien des problèmes. Nous devons faire notre part, même si le secteur de l’emploi est du ressort d’autres paliers gouvernementaux.

A.S. – Vous avez été le premier à annoncer le programme de votre formation. Est-ce que l’entrée en jeu dans la course de Louise Harel ne vous a pas obligé de modifier vos priorités?
R.B. – Madame Harel ne comprend absolument rien aux questions municipales. Elle n’a rien dit qui puisse m’inciter à changer ne serait-ce la moitié d’une ligne du programme de Projet Montréal. Récemment, elle a annoncé qu’elle compte investir 850 millions de dollars par année pour la réfection des chaussées. Faites le compte combien font 850 fois 4? 3.4 milliards uniquement pour les chaussées??? À cela, il faut ajouter la « tuyauterie », les aqueducs. C’est complètement fou! Même pour les questions municipales les  plus élémentaires, Madame Harel est dépassée. 

A.S. – Pourquoi alors avez-vous publié aussi tôt votre programme?
R.B. – Nous voyons bien que les autres formations ont puisé dans le programme de Projet Montréal. Nous l’avons publié en connaissance de cause dès le début du mois de juin, en invitant les formations rivales à s’en inspirer. La raison est que, quand nous parlons tous de la même chose, c’est plus facile à la population de comprendre les enjeux. Quand nous disons que c’est le transport public qui doit être la priorité, et non pas le transport routier, il ne reste plus à la population que de décider qui est le plus amène à le faire. On fait des économies d’énergie. En clarifiant les enjeux, on aide les gens. On gagne du temps. Ça vaut aussi bien pour la rétention des familles à Montréal que pour les questions environnementales ou les enjeux économiques.

A.S. – M. Bergeron, un dernier mot pour la communauté maghrébine?
R.B. – Aux Maghrébins, je dirais : « Montréal est votre ville! ». C’est à vous de la faire. Soyez confiants que dans le prochain Conseil municipal, il y aura des Maghrébins. Je constate qu’il n’y a aucun Maghrébin dans le Conseil sortant. Il n’y a ni Haïtiens ni Africains. J’ai la conviction que le Conseil municipal doit être le reflet de la population montréalaise d’aujourd’hui. Il y a beaucoup de candidats maghrébins dans la présente campagne. J’ai confiance que le prochain Conseil sera plus représentatif de ce qu’est Montréal d’aujourd’hui. Ce sera un grand pas. Mais il faut aller voter, car tout peut s’effondrer comme un château de cartes, au cas où il y aurait désaffection à l’égard de la politique, ce qui est malheureusement déjà avéré chez les Maghrébins. Un Maghrébin inscrit sur les listes électorales sur dix ira voter, hormis le fait qu’un Maghrébin sur 2 au Québec n’a pas encore le droit de vote. Donc, au total, c’est un Maghrébin sur 20 qui va voter! Comment atteindre nos objectifs communs si l’on ne nous donne pas un précieux coup de roue. Alors, allez voter!