Besbouss est le titre d’une pièce de théâtre sur l’immolation de Bouazizi qui a été présentée du 22 avril au 17 mai au théâtre Quat’Sous de Montréal.

Écrite par Stephane Brulotte mise en scène par Dominic Champagne et interprétée par Abdelghafour Elaaziz, cette œuvre  traite de la révolution tunisienne déclenchée par le drame qui a emporté Bouazizi, ce jeune tunisien humilié par une gifle policière et par le mépris des relais du pouvoir totalitaire. C’est une sorte d’autopsie de la révolution tunisienne. Besbouss est aussi le prénom que la maman a donné à son fils enregistré Mohammed à l’état civil. Besbouss veut dire tendrement un enfant couvé de baisers : « Nous sommes tous responsables de ta mort. Je ne crois pas à l’existence des tyrans s’il n’y a pas en face des gens lâches qui se cachent dans leurs nids", dira le personnage médecin légiste, ancien militant déçu et rongé par les remords, les échecs et son impuissance de faire changer les choses.

  Vers 18h30, les épris du théâtre commençaient à arriver en petit groupe malgré la pluie qui s’abattait sur Montréal. L’accueil du personnel du théâtre Quat’Sous était à la hauteur. Vers 19h, on annonce le début de la pièce en priant le public d’éteindre tous les appareils électroniques. Le public entendait d’abord la voix du personnage parler au téléphone dans une sorte d’antichambre sombre avant d’apparaître sur la scène tout essoufflé, perturbé et hautement agité. C’était le médecin légiste chargé l’autopsie sur le corps de Bouazizi. Un corps calciné, couvert par un drap gris ou marron et étalé par terre. On y voyait juste ses deux pieds qui en disaient long sur l’état du reste du corps. Donc, toute la pièce se déroulait dans une morgue lugubre où ce médecin devait rendre un verdict miraculeux pour disculper un régime sans vergogne du président Benali : «  Ils ont besoin de ma science lumineuse. », dira le personnage. Une mission qui aurait pu être banale et routinière pour un légiste expérimenté. 

 Mais voilà, cette autopsie n’était ordinaire. La donne était tellement différente que les choses allaient prendre une autre tournure. Une tournure qui renvoyait  ce fonctionnaire tunisien dans ses souvenirs, ses rêves, ses colères et ses combats les plus lointains. Sa conscience se réveilla comme par miracle et la communication unilatérale s’enclencha avec un cadavre d’une façon tellement percutante qu’on se demandait un moment donné qui était vraiment mort. Lui ou Bouazizi ? Celui qui était sous un tissu ou celui qui devait servir les criminels et les corrompus ? C’était fort voire terrible à voir et à entendre. Ce dialogue de sourds tournait autour du geste commis par Bouzizi: Pourquoi as-tu fait ça ? Pour quelle cause ? Au fait, c’était quoi ta cause ? Un geste qui a provoqué une colère populaire impressionnante et incontrôlable. Cet échange, unique en son genre, était entrecoupé par des appels téléphoniques et des bruits de l’antichambre qui rappelaient au médecin sa mission fatidique, mais aussi des sons des sirènes et des coups de feu à l’extérieur de l’édifice qui mettaient en évidence l’ampleur de la colère populaire et de la répression qui s’abattait sur le peuple.  Tout cela n’avait pas empêché le légiste, plutôt le citoyen tunisien, à continuer son monologue : « À cause de ton geste fatal, le pays est déchaîné. Des milliers de personnes dans les rues pour dénoncer ce que ce pouvoir t’a fait. », «  Il fallait vivre pour lutter » !

 Le silence religieux du public suivait le récit d’un cadre tunisien sur son passé, sur sa jeunesse rebelle et surtout sur les tracas puissants de sa conscience. Avec ses camarades, il avait lutté, lui aussi, contre ce régime en vain. Les échecs avaient poussé tout le monde à se caser et à faire semblant de ne rien voir. Aussi, le hasard a fait en sorte à ce que ce médecin soit de la même région que Bouazizi. Il connaissait, donc, ce garçon, fils d’un maçon, que sa maman appelait tendrement Besbouss : «  Nous sommes responsables de ta mort et de ce chaos. »

 Le texte de Stéphane Brullote était brûlant, la mise en scène de Dominic Champagne était parfaite et la prestation du comédien, Abdelghafour Elaaziz, laissait le public sans voix.  Ce denier a su rendre la douleur citoyenne au point de voir le public essuyer ses larmes à chaque moment fort. Et  des moments forts, il y en avait. La question demeure d’actualité. Y’aurait-il un tyran si le peuple ne baissait pas les bras ? La Tunisie d’aujourd’hui ne s’est pas encore affranchie de l’oppression. Elle voit la tyrannie changer de visage. Et le combat continue.

http://www.quatsous.com/1314/saison/besbouss.php