«Le conducteur se gare mal dans cet Alger vidé de ses défilés et de ses illusions. Ce ne sont plus les fumigènes qui éclairent les rues mais une pâle lune presque pleine dont la fadeur se solidarise avec le baromètre du moral de la ville blanche qui, ce soir, flanche. De la voiture jaillissent trois superbes brunes : tee-shirts aux couleurs des Verts, chapeaux rouge et vert, drapeaux à la main, l'âme taillée en pièce. Elles claquent les portières et le conducteur, jeune gaillard joufflu, en fait de même à faire trembler la petite carrosserie coréenne. Tout a pourtant été bien planifié par les quatre Algérois pour préparer la fête, même le parcours du défilé. Ils ont vu le match dans un fast-food branché sur les hauteurs clinquantes d'Alger avec un groupe d'amis et regagnent maintenant leur domicile en perdant la foi...» Coupeeeeeeez !

C'est à ce lyrisme larmoyant que vous venez d'échapper : le soir même du match Algérie-USA (0-1) qui a mis fin à l'aventure sud-africaine des Verts, l'esprit de la chronique était mélancolique ! Mais dès le lendemain, après la gueule de bois, je recouvre la vue ! Ouf ! Pas de larmes, plus de regrets, retour à la normale nord-africaine avec juste une pensée forte pour le Ghana et l'Argentine, nouveaux chouchous de la rue algéroise. Retour à la normale, donc. Le Mondial ? Pas grave, la vraie victoire était celle du 18 novembre face à l'Egypte ! Le départ de l'entraîneur ? La réforme du championnat ? La professionnalisation des clubs ? Bof ! Repassez un autre jour.

Place au réel, à la sueur, au saint triptyque été-attentats-émeutes ! On remballe les maillots rouge et vert, les faux vuvuzelas fabriqués localement et on sort les shorts et les chapeaux de paille. La chaleur écrase Alger, les embouteillages diminuent, tout le monde doit partir vite en vacances vu que le Ramadhan tombe en plein cagnard d'août. Une catastrophe pour l'économie du tourisme qui existe à peine en Algérie. On tente de revendre la télé écran plasma. On reprogramme les dates de mariages. Alors, le football, là, sous le soleil et à l'ombre du retour des attentats, on n'en parle plus trop. «Ouf! lance un journaliste, on va enfin parler d'autre chose dans le journal.» «Ouf! soufflent les syndicalistes, on va enfin parler d'autre chose après des mois de chimériques débats autour du Mondial!»

Les seuls à ne pas pousser ce «Ouf !» ce sont, bien évidement, nos très chères autorités ! Parce que là, y'a plus de quoi amuser le p'tit peuple ! Les gladiateurs du ballon rond s'en sont allés vers leur club européen, redeviennent étrangers. Le cirque s'est vidé. La scène déserte, le régime ne trouve aucun exutoire ! En à peine quelques jours après la disqualification des Fennecs, la Une de l'actualité se transfigure : émeutes à l'Est et au Centre, mitraillage terroriste d'un mariage, premières noyades, ultimes grèves, avec en bonus le feuilleton de l'été : la rocambolesque enquête sur l'assassinat en février du patron de la police algérienne ! Du coup, le régime d'Alger pense fort à 2014 : pour la Coupe du monde au Brésil et pour une hasardeuse élection  présidentielle.



Source: MEDIAPART.FR