NATATION. L'Algérien, qui s'entraîne depuis 1993 en France, rivalise avec les grands.

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NATATION. L'Algérien, qui s'entraîne depuis 1993 en France, rivalise avec les grands.
ILES, UN NAGEUR SORTI D'ORAN

Par Muriel GREMILLET
Le vendredi 18 janvier 2002


«Il me fallait un environnement qui pousse à la performance. Etre un nageur moyen, ça ne m'intéressait pas.» Salim Iles

  n nageur algérien. C'est comme un tennisman taïwanais ou un skieur sénégalais. Personne n'y croit. Pourtant, depuis quelques années, Salim Iles prouve que l'Algérie a une place à défendre au sein de l'élite mondiale de la natation. Et que son exemple peut permettre à des jeunes de reprendre espoir.

 

En juillet 1993, à 18 ans, Salim débarque à Paris avec le nom d'un entraîneur dans la poche. Stéphane Bardoux, qui travaille au Racing Club depuis plus de dix ans et a conduit la carrière de Stéphane Caron, l'accueille. Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que le jeune Algérien timide qui vient faire quelques longueurs dans la piscine du club, dans le VIIe arrondissement de Paris, est un futur champion. Il est grand, présente de bonnes qualités physiques. Surtout, alors qu'il nage à l'instinct, en reproduisant ce qu'il a vu à la télé et en faisant des virages sans technique, il a déjà battu le record d'Algérie du 100 mètres nage libre. En septembre 1993, leur collaboration débute vraiment. Tout change pour le jeune Algérien. Il s'installe à Paris chez son frère aîné, ingénieur en informatique, et apprend à devenir un sportif professionnel. Sa charge de travail est doublée, il découvre les stages, avec une vraie préparation physique et la présence de kinés au bord des bassins.

«Pas chauffées». Autant de luxes inimaginables dans sa ville d'origine, Oran. «Là-bas, encore aujourd'hui, on s'entraîne un jour sur deux, quand ce n'est pas une semaine par mois, et on se retrouve à vingt dans une ligne d'eau, raconte-t-il. Les piscines ne sont pas chauffées, ce n'est pas la priorité.» Certains de ces amis ramènent T-shirts et stylos des compétitions internationales qu'ils distribuent aux concierges des piscines pour pouvoir nager en dehors des heures d'ouverture au public. Mais Salim avait subodoré que son avenir d'athlète passait par l'étranger. «Le climat, les amis à la plage, ça n'incite pas à bosser dur, lâche-t-il. Il fallait que je trouve un environnement qui pousse à la performance. Etre un nageur moyen, ça ne m'intéressait pas, j'aurais laissé tomber pour devenir ingénieur si j'étais resté là-bas.»

Il est le premier de sa génération de nageurs à s'expatrier. Et les ennuis commencent. Il choisit la France mais se heurte aux problèmes de visa, de logement, de carte de séjour. «Chaque fois qu'il voulait partir en stage avec les autres Français à l'étranger, il devait demander un visa, raconte Stéphane Bardoux. C'était du temps et de l'énergie perdus, des ennuis à n'en plus finir.» Tant qu'il est étudiant, Salim Iles ne connaît pas trop de problèmes pour rester sur le territoire français. A la fin de ses études, en 1996, il décide de demander la nationalité française, en plus de sa citoyenneté algérienne. Une décision mal comprise par ses amis algériens et sa fédération. On l'accuse de lâcher son pays. Salim est prêt à sauter le pas. L'anarchie qui règne dans les instances sportives de son pays le pousse à se rallier au drapeau bleu-blanc-rouge. Il n'arrive pas à avoir d'aide financière, se sent méprisé par les responsables politiques qui ne prennent pas en compte ses demandes. Aux Jeux d'Atlanta, il nage pour l'Algérie, il s'imagine que c'est la dernière fois. Mais il prend conscience qu'il ne peut devenir français : «J'ai la double culture, mais il ne faut pas être hypocrite, je suis algérien, point.» Surtout, en vertu des nouvelles règles internationales, s'il change de nationalité en 1996, il ne pourra nager pour son nouveau pays que trois ans plus tard. «Je ne pouvais pas attendre comme ça.» Au Racing Club, comme à la Fédération française, on grince des dents. Sous-entendu, Salim n'aurait pas été très reconnaissant envers la France, qui a fait de lui un champion. Aujourd'hui, les malentendus sont dissipés.

Bourse gouvernementale. La crainte de perdre un tel athlète, spécialiste du 100 mètres nage libre, 4e aux Mondiaux d'Athènes en 2000 et 1er au 50 mètres nage libre aux Jeux méditerranéens en septembre, a réveillé sa fédération nationale. Il a tapé à toutes les portes au gouvernement, a harcelé les ministres successifs de la Jeunesse et des Sports. A son initiative, un système de bourse gouvernementale a été mis en place pour aider les expatriés. Pour montrer que les choses ont changé, Salim a accepté l'an passé de nager aux championnats d'Algérie, après cinq ans de boycott. Autre signe de détente, il a été élu sportif algérien de l'année 2001, devant les footballeurs chéris du public, les boxeurs ou les demi-fondeurs médaillés à Edmonton.

Derrière lui émerge une élite algérienne de la natation. Des jeunes qui rêvent de podium et s'expatrient dans son sillage. Atterrissant parfois au Racing Club. A 27 ans, Salim est aujourd'hui conscient de l'espoir qu'il a fait naître chez beaucoup de jeunes Algériens. Après sa carrière, il se voit bien de retour à Oran, à la tête d'un complexe d'entraînement. «Une grande piscine, ouverte de 7 à 23 heures, avec du public, des scolaires et des athlètes. Une salle de gym, des kinés. J'ai les moyens de faire ça sans le soutien des autorités publiques, dans mon coin. Mon pays change, et je dois y apporter ma contribution, affirme-t-il. Je n'ai pas de comptes à rendre aux politiciens véreux, à la fédération pourrie.» Stéphane Bardoux sera de l'aventure. C'est sûr, les champions australiens et américains n'auront qu'à bien se tenir.


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