La légende raconte que trois choses sont impossibles à acquérir : le don de la poésie, la générosité et un rossignol dans la gorge.

Pour réussir une anthologie aussi captivante, il n’aura fallu, dans le cas présent, que d’une ingénieuse collaboration entre un ciseleur du verbe, un maître incontesté de la musique algérienne et une voix féminine envoûtante.

Zahia – retenez-bien ce nom – parce qu’il marquera sans aucun doute le paysage musical kabyle pour les décennies à venir. Son premier album sobrement intitulé : Rriha idurar ou Parfum des montagnes, un florilège de poèmes idylliques agrémenté d’une composition musicale magistrale, sera présenté lors du spectacle exceptionnel qu’elle animera le 29 février prochain à la salle Jean-Eudes à Montréal.

Composé de dix chansons pour le moins sublimes, l’album de Zahia est une véritable merveille artistique grâce, bien entendu, au concours de deux géants de la musique et de la poésie : Kamel Hamadi, dont l’intarissable inspiration a traversé bien des générations, et Ben Mohamed, un maître de la poésie kabyle dont le talent poétique n’est plus à démontrer.

Il est évident qu’avec de telles sommités, il n’y a pas de place pour l’improvisation. Cela est d’autant plus vrai que la conjugaison de ces trois talents, dont le maître-mot est la rigueur, a donné naissance à une œuvre lyrique dont l’architecture poétique et la structure musicale frôlent l’excellence.

Il faut dire que Kamel Hamadi est plus qu’un auteur-compositeur ayant un répertoire dépassant les 2000 chansons. Il a un inépuisable don à dénicher les talents. En plus d’avoir lancé la carrière de plusieurs chanteurs, il a écrit et composé des chansons à plusieurs dizaines d’artistes dont des ténors de la chanson algérienne.

D’ailleurs, souligne Kamel Hamadi, «c’est lors de la grande chorale de Cherif Kheddam à Paris que j’ai décelé l’immense talent de Zahia. C’est une fille à la voix fascinante et, par conséquent, nous avions décidé de concocter quelque chose de nouveau, d’original», note-t-il avec sa légendaire retenue.

La conviction de Kamel Hamadi est toutefois renforcée suite au duo qu’il a eu lui-même avec Zahia lors d’un spectacle organisé à Montréal. Ben Mohamed, de son côté, a toujours insisté sur l’importance du côté phonétique : «Je refuse de composer des poèmes aux gens qui broient les mots», avait-il l’habitude de dire avec son célèbre franc-parler.

L’album de Zahia est une savante conjugaison de rythmes traditionnels qui explorent profondément les secrets intimes de l’âme kabyle. «C’est un retour aux sources, une sorte de réconciliation avec les airs authentiques de notre Kabylie», explique-elle.

D’ailleurs, le titre quelque peu psychédélique de cet album, à savoir «Parfums des montagnes» renvoie directement à un texte rafraîchissant écrit par Kamel Hamadi et admirablement rendu par Zahia. Les artistes y évoquent non sans nostalgie tout ce qui symbolise la Kabylie avec ses valeurs, sa sagesse ancestrale et ses richesses comme son olivier, sa robe, ses collines et la beauté de ses femmes.

«J’aime l’olivier

Et son huile qui guérit

J’aime la robe kabyle

Qu’embellissent les femmes

J’aime ces oiseaux sur la colline

Et les chants qu’ils entonnent».

Autre titre magnifiquement travaillé par Kamel Hamadi  Yemma d mmi ou «Ma mère et mon fils», évoque le fossé linguistique séparant les différentes générations. Cette sorte de confusion langagière a laissé s’installer un dialogue de sourds entre les parents et leurs progénitures.

Il faut reconnaître à Kamel Hamadi un autre don : celui de diagnostiquer les maux de la société. «Chaque arbre a ses propres racines, la bonne conduite vient de la transmission», note-t-il dans son texte superbement interprété par Zahia. En voici quelques vers :

«Ma mère parle une langue

 

Mon fils en comprend une autre

Ce n’est pas ce qu’elle souhaitait

Mais à qui en faire le reproche ?

Elle se retrouve seule avec ses brûlures

Doit-elle se plaindre ou se taire ?»

La vie familiale avec son lot de vicissitudes n’est pas en reste dans l’album de Zahia. Ecrite par Ben Mohamed, la chanson Zigh awal ou «Au fait, la parole», elle chante l’insoutenable légèreté de l’Amour et les déceptions qu’il charrie.

«Tu m’avais dit qu’en Amour

L’Un doit relever l’Autre

Quand un côté commence à vaciller

L’autre côté rétablirait l’équilibre

Aujourd’hui que je subis un séisme

Mon flanc arrive à terre

J’ai cherché ou est l’Amour

J’ai découvert sa place refroidie».

La condition de la femme et le désir ardent de son émancipation des tutelles pesantes et archaïques, n’a pas échappé au regard critique de Kamel Hamadi qui a écrit une prose subtilement raisonnée et merveilleusement chantée par Zahia. Dans Gulagh, ou «J’ai fait serment», il note : «J’ai fait le serment que ce qui ne me convient, jamais je ne l’accepterai, ni ne m’en laisserai importuner».

En conclusion, ce chef-d’œuvre – l’album de l’interprète Zahia – est tout simplement une beauté captivante au milieu des laideurs tenaces qui meublent le paysage artistique actuel. Merci à Zahia qui a ranimé une époque qu’on croyait disparue à tout jamais. Merci à Kamel Hamadi qui nous apprend que la musique est une éternelle jeunesse.

Merci à Ben Mohamed qui nous enseigne que le Verbe se conjugue à tous les temps.

https://www.elwatan.com/edition/culture/zahia-lance-son-premier-album-15-02-2020