Azul a Da Chrif,

Il se pourrait que la langue soit incapable de dire ce que tu représentes pour notre culture et notre mémoire collective, mais notre âme a baigné dans ton univers ensoleillé de mélodies, de poésie et de génie. Ton œuvre est une école. Ton talent et tes valeurs humaines ont non seulement  réussi à rassembler tous les Kabyles, mais à forcer l’admiration d’une autre partie de ton peuple qui ne t’a découvert que le jour de ton décès, car ta vie est étroitement liée au sort cruel de notre identité et au statut précaire de notre langue dans notre propre pays, l’Algérie. Cette Algérie authentique que tu as nourrie par ton amour et tes productions artistiques de haute facture, elle, elle te connaît. Tu es  sorti de ses entrailles et tu es partie te poser en son sein.

Mas Chérif Kheddam, tu fais partie de ces artistes talentueux qui ont le privilège de laisser des traces pour leur peuple et pour le monde.

Ta personne a traversé le parcours humiliant et douloureux de ton peuple colonisé. Elle a été actrice et témoin du sursaut révolutionnaire de ton pays. Elle a partagé les joies de l’indépendance durement arrachée des colons français. Elle a connu les aléas et les tracas de l’exil qui t’ont forgé. Elle a vu surtout les hauts et les bas de ton pays fraichement indépendant, mais très loin d’être libre.

Ton talent a transcendé les clivages culturels et ethniques et même les frontières pour mieux servir ta langue amazighe, rehausser les sonorités de ta Kabylie et immortaliser le cri douloureux ‘’Anne&’’  de ta mère que tu entendais souvent quand tu étais enfant. Cette mère est à la fois ta mère biologique et ta mère patrie. Une patrie que tu as chérie par ta superbe poésie, tes magnifiques mélodies et ta douce voix. Une douceur intelligente et réfléchie qui interpelle les consciences endormies ‘’ Ammi’’ de tes semblables. Ces derniers, tu les invites à se réveiller, à bouger et à produire pour que la vie ait un sens, pour que ta civilisation soit entretenue. Tous tes messages tirent la sonnette d’alarme et conseillent les tiens à ne jamais négliger la mission première de la maison berbère, de la famille. Celle-ci se doit de transmettre les valeurs millénaires de nos ancêtres à ses enfants, nos enfants, tes enfants. Ces valeurs avec lesquelles tes textes ont habillé nos femmes de mille couleurs, honoré nos hommes de cohérence et de détermination et surtout ils ont sublimé notre terre, notre Kabylie, notre Algérie et toute l’Afrique du Nord, la terre de Jugurtha. 

La Kabylie que tu as tant aimée et vénérée a tout aimé en toi, ta personnalité, ton œuvre et ton professionnalisme que tu as magistralement imposé dans un monde horriblement folklorisé. Ta Kabylie t’a honoré en ton vivant. Elle a démontré à l’Algérie et au monde ta valeur et la place que tu occupes dans son être malmené par les envahisseurs et dans son âme meurtrie par les trahisons et les politiques machiavéliques. Cette Kabylie t’a exprimé sa reconnaissance et tout le respect  qu’elle te voue pour  tout ce que tu as fait et pour l’amour inconditionnel que tu lui as témoigné tout au long de ta vie.

Le vide que tu nous as laissé, faut-il encore le rappeler, ne se comblera jamais. L’héritage que tu nous as légué ne s’effacera jamais. Il est éternellement collé au sommet du Djurdjura. Ton œuvre et ton talent seront désormais le miroir  de ton génie et de  ton humilité.
Tu as été, tu es et tu seras l’enfant et la fierté de la Kabylie, de l’amazighité et de l’Algérie profonde. Tu as aimé ton pays et tu as souffert en voyant ses dérives. Nous espérons que les nouvelles générations de ton peuple panseront ses blessures et le couvriront des habits de fraternité, de paix et de tolérance sous le soleil de la Méditerranée et les fresques rupestres du Tassili.

Nous avons bien saisi ton message!

Que ton corps repose en paix a Da Chrif. Ton âme et tes mélodies nous habitent jusqu’à la fin des temps.

Déclaration lue par Madjid Benbelkacem et Djamila Addar

Festival culturel nord-africain.

Montréal, 26 mai 2012