Fêter Tafsut à Montréal est un événement à double sens quand on sait qu’il n’y a pas plus d’un mois nous avions essuyé une tempête de neige des plus violentes et le printemps ne peut être que le bienvenu. Tafsut c’est aussi la commémoration d’avril 1980 où la Kabylie avait essuyé une tempête de gaz lacrymogènes et de balles qui ont ensanglanté la région. La raison? Un livre venait d’être publié sur la poésie et on voulait l’interdire. Poèmes kabyles anciens. Des poèmes anciens pour des Kabyles Anciens dans un pays qui ne les reconnaissait pas. On voulait interdire la liberté d’expression et opprimer le libre cours d’une culture orale qui vénérait le Verbe, qui berçait des générations et qui faisait de la langue l’orgasme même de la parole.

À l’auditorium du collège Brébeuf à Montréal, l’ambiance, la commémoration, la joie et le souvenir étaient au rendez-vous grâce à nos deux artistes qui se sont déplacés de Kabylie et de France pour venir partager avec nous cet événement qui nous unit et qui fait partie de notre conscience collective.

Le choix opéré par Azul de Kabylie et Agawa-Production est on ne peut plus réfléchi pour les circonstances.

D’abord, qui mieux que Madjid Ben Belkacem pouvait lire cette préface en kabyle de Mouloud Mammeri dans le chef-d’œuvre "Poèmes kabyles anciens", avec une telle aisance et une telle fluidité? Le ton, la ponctuation étaient là pour donner à cette préface l’âme et le plaisir dans lesquels elle a été écrite. Bravo Madjid et je pense que le public te savait gré vu le silence et l’attention qu’ il avait manifestés.

Ensuite, Le Maestro Oulahlou, ce diseur de vérités, ce poète dans l’âme, ce génie de la scène qui a fait vibrer la salle avec grâce et grâce à sa générosité vocale et musicale avait su transformer cette occasion en un conte où le public d’une seule voix a su chanter en chœur ces mélodies du terroir, ces hommages à nos aînes Taous Amrouche, Mouloud Mammeri, Abane Ramdane et tous ceux qui font que nous existons en tant que culture savante. Il passe de l’amour, à la politique et à l’amour de la politique avec humour, des mots de tous les jours, des mots de tout un chacun d’entre nous avec respect et dignité. Oulahlou, merci d’exister et grâce à toi nous pouvons réinventer les Choristes et en kabyle.

Le choix de Massa Bouchafa n’est pas non plus des moindres. D’abord pour le symbole. Les femmes et les étudiantes des années 80 avaient participé activement aux événements mais malheureusement l’histoire collective ne retient que les noms d’hommes. Le pouvoir des femmes en ces années-là était incroyable quand on sait que les militantes se déguisaient en infirmières et en médecins pour apporter du soutien ou distribuer des tracts dans les hôpitaux. Elles sauront toutes se reconnaître. Massa Bouchafa sur scène c’est avant tout un hommage à vous toutes. Ensuite, il y a son répertoire qu'elle a su interpréter du mieux qu’elle pouvait. Le public le lui a bien rendu. La joie d’un artiste c’est de savoir que le public connaît ses chansons et les chante avec lui. Merci Massa et continue de nous faire rêver. Nous avons besoin de toutes les voix car une culture n’est vivante que si elle est portée par des Voix.

La troupe de danse mixte de Tafsut nous a fait voyager avec ses tenues et bijoux bien de chez nous. Garçons et filles ont harmonieusement dansé sur des airs que chacun fredonnait et la salle résonnait des coups de mains qui fusaient de partout. Bravo pour la danse "la France des couleurs", Idir ne peut être que fier de ce que vous en avez fait. Un jour, gardons espoir, on chantera avec vous "Montréal des couleurs".

Ce 12 avril était des plus mémorables pour les gens de la communauté qui s’étaient déplacés en masse pour se retrouver et fêter ensemble cette date qui nous est à tous commune. Merci Azul de Kabylie, le déplacement valait la peine.