Les pressions exercées par le régime algérien contre des membres de la diaspora ayant soutenu depuis Montréal le mouvement prodémocratie du Hirak créent un climat de peur réduisant nombre de militants au silence. 

L’inquiétude est si vive que des Québécois d’origine algérienne harcelés par les forces de sécurité lors d’une visite dans le pays maghrébin se gardent d’évoquer leur mésaventure au retour, a déclaré à La Presse un journaliste algérien entretenant de nombreux liens avec la communauté locale.

« J’en connais au moins une dizaine à Montréal qui n’ont jamais voulu ébruiter leurs ennuis par crainte de nouvelles représailles », a déclaré mardi Zoheir Aberkane, qui gère un média en ligne indépendant en Algérie.

M. Aberkane, qui a lui-même eu maille à partir avec les autorités algériennes en raison de sa couverture du Hirak, note que le régime veut « faire payer » directement des partisans du mouvement à Montréal pour leur engagement, tout en décourageant les autres de continuer d'appuyer le mouvement de protestation. 

« Le message est qu’ils risquent de ne plus jamais pouvoir se rendre en Algérie pour voir leurs proches s’ils s’entêtent à continuer », a-t-il noté en relevant que le même stratagème est utilisé avec la diaspora algérienne en France.

Une Québécoise d’origine algérienne qui a participé à de nombreuses manifestations à Montréal a indiqué mercredi sous couvert d’anonymat que le stratagème des autorités algériennes décourageait de nombreuses personnes de descendre dans la rue. 


On était initialement des milliers à protester à Montréal, ensuite des centaines, et là, nous ne sommes plus que quelques dizaines à sortir chaque semaine. Les gens sont terrorisés.

Une Québécoise d’origine algérienne ayant requis l’anonymat

La militante est convaincue de figurer sur une liste de personnes à cibler produite à partir du consulat d’Algérie à Montréal, qui n’a pas donné suite mercredi à la demande d’entrevue de La Presse.

De crainte d’être harcelée, elle dit avoir renoncé à se rendre en Algérie et a dû manquer l’année dernière les funérailles de sa mère, dont elle était très proche.

« Moi qui étais là chaque fois qu’elle avait besoin de moi, je ne peux même pas aller me recueillir sur sa tombe. Tout ça parce que j’ai plaidé pour que le gouvernement arrête d’arrêter les gens », a-t-elle souligné avec émotion.

Les dirigeants du pays sont « prêts à tout faire pour garder le pouvoir », mais s’efforcent de garder une image « pseudodémocratique » en faisant les choses en sous-main, a ajouté la militante. 

« Comme une criminelle »

Hassina Bourzah, une Québécoise d’origine algérienne qui exploite une garderie à Longueuil, ne s’attendait pas à ce que sa participation à des manifestations pro-Hirak à Montréal lui cause des ennuis lors d’une visite en Algérie à la fin de 2021.

La police est cependant venue l’appréhender à la maison familiale, à Sétif, et l’a emmenée pour être interrogée pendant des heures. « Ils m’ont traitée comme une criminelle », relate Mme Bourzah, qui dit avoir répondu alors à de nombreuses questions portant sur sa participation à des manifestations au Québec. 

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Hassina Bourzah, une Canadienne d'origine algérienne, est rentrée au Québec en mai dernier après avoir été bloquée en Algérie pendant des mois en raison de ses activités prodémocratie. On la voit ici avec son mari Karim Benahdj.

 

D’autres séances d’interrogatoire ont suivi avec diverses forces de sécurité sur le même thème avant que Mme Bourzah n’apprenne, en février, en se rendant à l’aéroport, qu’elle n’était pas autorisée à quitter le pays.

Ce n’est finalement qu’en mai, après avoir obtenu un document officiel confirmant qu’elle n’était la cible d’aucune procédure judiciaire et après que sa cause eut été médiatisée, que la ressortissante algérienne a été autorisée à partir.

L’épisode, dit-elle, l’a « terrifiée » sur le coup, mais n’a pas entamé sa détermination à manifester pour une Algérie plus démocratique.

« Quand on a vu l’injustice, on ne peut pas se taire », relève Mme Bourzah, qui constate dans son entourage l’effet négatif des pressions exercées par Alger. 


Des gens changent leur statut sur Facebook, d’autres viennent manifester avec des masques et des casquettes. Certains ne veulent pas être associés avec moi par crainte du régime.

Hassina Bourzah

« Je n’y retournerai pas »

Lazhar Zouaïmia, un Québécois d’origine algérienne ayant soutenu en ligne le mouvement prodémocratie, a aussi vu plusieurs personnes prendre leurs distances après un voyage familial en Algérie qui a mal tourné.

C’est en se rendant à l’aéroport en février 2022 pour rentrer au Québec, après un séjour de trois semaines sans anicroche, qu’il a été appréhendé par des agents des forces de sécurité et placé en garde à vue avant d’être détenu pendant quarante jours dans une prison de la ville de Constantine.

La médiatisation de son cas dans Le Devoir ainsi que les pressions exercées par son syndicat et le gouvernement canadien ont forcé la main, dit-il, des autorités algériennes, qui ont accepté de le laisser partir en mai.

M. Zouaïmia a cependant été condamné ensuite par contumace à cinq ans de prison pour avoir « porté atteinte à l’unité nationale » et ne peut aujourd’hui retourner sur place sans être appréhendé.

« Je n’y retournerai pas », note ce technicien de profession, qui entend continuer à militer en soutien aux militants prodémocratie actifs en Algérie.

« Le pouvoir algérien a été traumatisé par le grand mouvement prodémocratie du Hirak et veut tout faire pour éviter que ça se répète », dénonce-t-il. 

https://www.lapresse.ca/actualites/2022-12-22/climat-de-peur-dans-la-diaspora-algerienne-a-montreal.php