Omar Aktouf, professeur titulaire en Management à HEC Montréal, explore le modèle américain d’exploitation du gaz de schiste, explique pourquoi il n’est pas soutenable, aux Etats-Unis même. Alors de là à l’amener en Algérie… (entretien RadioM).

RadioM. Le modèle nord-américain est le modèle gagnant, que l’on oppose à chaque fois que les réserves sur l’exploitation du gaz de schiste sont émises. Vous vivez en Amérique du Nord, est-ce vraiment un modèle gagnant ?

Omar Aktouf : Le modèle nord-américain est un effet d’annonce, il ne marche pas aussi bien qu’on le dit. Le gaz de schiste est rentable à très court terme. Pendant les quelques premiers mois, un puits de gaz de schiste peut payer les investissements et générer quelques profits, mais au bout d’un an, le taux de récupération d’un puits de gaz schiste perd jusqu’à 90 %. Il faudrait alors creuser un autre puits. Or creuser un puits de gaz de schiste tous les ans, c’est énorme. Les grandes firmes multinationales Exxon, Haliburton, ou GSP Energy creusent  environ 1.000 puits par an, ce qui coûte entre 12 et 15 milliards de dollars. Si on multiplie ce chiffre par l’ensemble des exploitations en USA, on va obtenir l’équivalent de ce que l’on a dépensé pour sauver la planète de la crise de 2008.

Pourtant, l’arrivée des hydrocarbures non conventionnels a permis aux Etats-Unis de devenir autonomes en matière de gaz, ce qui a eu des impacts sur le marché mondial. De plus, leur niveau de production de pétrole a atteint au mois d’octobre 2014 celui de la Russie. Spectaculaire tout de même ?

C’est effectivement spectaculaire mais de court terme. C’était d’ailleurs inscrit dans leur stratégie qui consistait à aller très vite dans la production, et j’ignore s’ils savaient ce qu’ils faisaient à propos. En effet, lorsque nous lisons les revues spécialisées en pétrole, à l’instar de Petroleum Review ou Nature, on déduit que cette industrie accélérée n’est, en réalité, qu’une bulle financière et spéculative, un effet d’annonce pour dire au monde entier qu’on a le gaz de schiste, et cela nous permettra de récupérer 3, 4, et même 5% d’huile, chose, qui permettra d’équilibrer les pertes de gaz de schiste qui viennent du mode d’exploitation, de production, et de l’acheminement de ce gaz non conventionnel. Des processus de production qui sont infiniment plus chers que le conventionnel.

Vous voulez dire que ce modèle économique du non-conventionnel est une supercherie, qu’il s’est soutenu par des subventions, des crédits ?

Le modèle économique du non-conventionnel tient par des crédits d’impôts. Les entreprises qui se sont lancées dedans (Haliburton, usa Exxon, Royal Dutch Shell, GB Energy, etc.) disent qu’elles sont dans le rouge et qu’elles sont obligées de fonctionner sur crédits d’impôts ; des subventions et sur un effet d’annonce, à court terme. Ils ont pu mettre sur le marché des quantités de gaz supplémentaires qui ont suffi pour faire baisser le prix du charbon et, par conséquent, aussi le prix de l’électricité qu’on produit encore avec beaucoup de charbon aux Etats-Unis. Cela a restauré une compétitivité de court terme et permis de gagner la paix sociale dans un contexte de crise.

Vous diriez donc que le premier obstacle devant l’exploitation du gaz de schiste est de type économique ?

Tout à fait. C’est totalement différent de creuser un puits conventionnel et un autre dans le schiste. Dans le conventionnel, on creuse un puits de manière verticale, dans le non- conventionnel, on creuse un puits verticalement, puis horizontalement, sur un ou deux km minimum, de façon beaucoup plus profonde. Pour le conventionnel, on creuse à 2.000 à 3.000 mètres de profondeur, tandis que pour le non-conventionnel, il faudrait aller de 3.000 à 10.000 mètres pour, soi-disant, ne pas contaminer la nappe phréatique, qui finira par être contaminée. Quand on creuse à l’horizontal après avoir creusé à la verticale, on produit beaucoup plus de coûts que dans les puits conventionnels. En plus, il faudrait injecter de l’eau à très haute pression, entre 500 et 900 produits chimiques différents dont on ignore les entités (toxiques, meurtriers, cancérigènes). En Pennsylvanie par exemple, on a assisté à la perte de la couverture végétale et de bétail. L’eau courante est devenue toxique. En Arkansas, la nappe phréatique a été contaminée. Il faudrait rajouter à cela les effets de sismicité induite, provoqués par la fracturation des roches : une petite explosion dans le tuyau horizontal chaque 10, 20, 15 cm, rend la roche plus perméable et provoque des effets sismiques sur toutes les roches environnements. Cela s’étend à des centaines de mètres, des kilomètres, ce qui fait que les roches qui étaient imperméables deviennent perméables. C’est ainsi qu’on a pu observer en Arkansas, par exemple, des tremblements de terre 4 à 5 sur l’échelle Richter. De ces effets sismiques s’échappe le gaz méthane des roches poreuses. Ce gaz méthane, comme on le sait, est 10 fois plus producteur d’effet de serre que le carbone.

 L’intégralité de l’entretien en vidéo : http://bit.ly/1ucvDGJ

En dépit de toutes ces nuisances, le gaz de schiste est perçu comme un succès aux USA. L’écosystème économique américain a profité de ce gaz non conventionnel, c’est ce qui a permis de soutenir un tel modèle?

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