Le Québec est en pleine campagne électorale pour les élections législatives du 7 avril.  Le Parti québécois (nationaliste) qui forme un gouvernement minoritaire est à la recherche d’une majorité  qui lui permettra d’appliquer son programme sans concession.

Il joue à fond la carte identitaire en polarisant le débat autour de la charte des valeurs québécoises qui interdirait, entre autres, le port du voile dans la fonction publique.  Dans la série d’entretiens avec les Algériens de la Belle Province, discussion avec la journaliste et militante de  la cause Tamazight, Djamila Addar. Elle vit au Québec depuis 1997.

Tout en déplorant que la charte des valeurs québécoises puisse priver des femmes de leur travail, elle estime que ” la religion doit relever du privé si on veut éviter de créer plusieurs mondes au Québec”.

La charte des valeurs québécoises est-elle nécessaire au Québec ? N’y a-t-il pas déjà séparation entre l’État et la religion ?
Je tiens à souligner que  les valeurs sont universelles. Il n’y a pas de valeurs spécifiques à une société quand il est question des droits ou des libertés. Ceci étant dit, le Québec a déjà commencé sa révolution envers la religion en libérant l’école publique notamment. Donc, ce n’est pas nouveau. Pour répondre à la question, je pense qu’elle est nécessaire s’il est question de laïcité qui toucherait toutes les religions sans discrimination aucune. De ce point de vue, le Québec a un long chemin à faire pour qu’il y ait une séparation effective entre l’État et la religion. Tout le monde ou presque se questionne sur la pertinence du crucifix au parlement québécois, par exemple. L’État doit donner l’exemple.
 
Y a-t-il un danger islamiste ou intégriste au Québec?
L’intégrisme fait partie des fléaux qui bouleversent notre époque. C’est un fait. C’est le mal du siècle. C’est un danger qui pourrait secouer n’importe quel coin du monde. Prétendre le contraire, c’est banaliser l’assassinat de 250 000 Algériens et Algériennes ou ignorer ce qu’est devenu l’Afghanistan. Il y aurait des cellules intégristes qui activent au Québec. Ses membres ne seraient pas nombreux, mais ils portent préjudice à l’Islam et aux musulmans. D’où l’amalgame auprès de ceux qui ne connaissent pas les musulmans. Certains médias ne se sont pas gênés à entretenir cette confusion ou l’amplifier à dessein. Les intégristes, de leur côté, jouent sur la fibre religieuse et communautaire pour avoir les musulmans de leur côté. Cette mascarade ne fait que creuser des fossés entre la société d’accueil et les musulmans.

La charte ne va-t-elle pas créer plus d’exclusion en congédiant et en fermant la porte du travail à certaines femmes musulmanes?

Il est délicat de priver un homme ou une femme de son travail. Ce serait même un crime. Cependant, la religion doit relever du privé si on veut éviter de créer plusieurs mondes au Québec. Je ne dirais pas qu’on doit standardiser les citoyens, mais l’espace public doit demeurer sans religion. Il y a des mosquées, des synagogues ou des églises pour pratiquer sa religion en groupe. La liberté de culte doit être respectée. Aussi, la femme musulmane n’est pas forcément voilée. Il est important de le préciser. Celles qui ont choisi de porter le voile au Québec doivent assumer certaines choses à cause de cette idéologie intégriste qui sévit dans le monde et aussi à cause du passé québécois qui a subi énormément les affres des religieux.  Il y a un militant qui s’est questionné une fois: ” Puisqu’elles veulent porter le voile, pourquoi ne seraient-elles pas parties vivre en Iran ou en Arabie Saoudite?”. Donc, les gens qui ont choisi le Québec l’ont fait pour une certaine qualité de vie.  Les Québécois ont peur de perdre les acquis de leur longue lutte.
 
Le débat sur la charte semble avoir donné carte blanche au discours islamophobe et d’exclusion. Qu’en pensez-vous ?

Il y a des dérapages de part et d’autres. On ne peut pas occulter ce constat. D’un côté, certains Québécois de souche diabolisent l’Islam et les musulmans. D’un autre côté, certains musulmans déversent leur haine à un point qu’on pourrait se demander ce qu’ils font ici. Que partagent-ils avec la société d’ici? Le Québec a le droit de se chercher une voie, d’être vigilent. Quant aux extrémistes, ils existent avec ou sans la charte. Cette dernière a le mérite de les démasquer.

Les enjeux pour la communauté ne sont-ils pas ailleurs (travail, éducation des enfants…) ? et les nouveaux arrivants ne doivent-ils pas se tenir à l’écart du débat sur l’indépendance puisqu’ils n’ont pas émigré pour ça ou contre ça ?

Si vous parlez de notre communauté, je pense que ce serait une erreur de croire qu’elle ne fait pas partie de la société québécoise. Elle ne doit pas se tenir à l’écart. Elle doit vivre sa citoyenneté au grand jour et dans sa diversité d’opinion. Il n’y a pas que le travail et l’éducation des enfants. Elle doit se sentir concernée par tous les enjeux et tous les défis de notre ère. Certains de nos compatriotes sont au PQ, d’autres au PLQ ou QS. Il y a même ceux qui optent pour le parti nul. C’est ça l’exercice de la citoyenneté. Et ces divergences ne doivent pas semer la haine entre nous, car nous avons d’autres facteurs qui nous lient comme notre origine, nos traditions, notre humour et nos repères. Aussi, cette équation: être immigrant=être contre l’indépendance du Québec, est erronée. Il.Il y a des Québécois qui ont un rêve bien avant qu’on arrive. Ils ont lutté depuis longtemps et ils continuent à lutter pour le réaliser. Parmi les patriotes pendus par les Anglais, il y avait un Irlandais. On doit respecter ce noble combat. Penser que le Québec indépendant serait raciste est mal connaître les militants, les  vrais militants du Québec. René Lévesque, fondateur du PQ, a soutenu la révolution algérienne. Certains militants indépendantistes s’étaient réfugiés en Algérie. Alors? Donc, les nouveaux arrivants ont fui la dictature, le déni des droits fondamentaux de l’individu pour vivre, ici, dans la dignité, leur citoyenneté. Alors, qu’ils plongent dans le bain de la démocratie! Qu’ils s’impliquent au lieu de regarder les nageurs!

Le PQ vient de présenter quatre candidats d’origine algérienne. Poteaux ?
Pourquoi poteaux? Nos compatriotes ont le mérite de plonger justement dans la vie politique. Pour certains, ce serait difficile de gagner à ces élections, mais ils vont apprendre à travailler mieux la prochaine fois. Nous devons les soutenir et les encourager. J’ai remarqué qu’il y a plus de femmes que d’hommes. Il faut que ces derniers foncent. On a des hommes extraordinaires aussi. Ils ont du potentiel et du charisme. Il suffit qu’ils se fassent confiance et qu’on leur fasse confiance. Ces candidats ont brisé la glace. Ils ont ouvert la voie aux autres membres de notre communauté. Et nos enfants vont s’identifier à eux un jour ou l’autre. Et c’est grâce à leur présence dans les sphères du pouvoir que les choses évolueront dans le bon sens.
 
Quel commentaire faites-vous sur le peu de candidats d’origine maghrébine au Parti libéral du Québec ?

Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de membres de notre communauté qui s’impliquent politiquement. Ceci étant dit, on a remarqué que ceux qui activent sont surtout au parti québécois et dans leur majorité, ils sont kabyles. Peut-être que le PLQ n’a pas courtisé notre communauté comme l’a fait le PQ.  La vraie raison est difficile à cerner avec exactitude.

 

Qui est Djamila Addar ?

Je suis une journaliste algérienne d’expression amazighe qui vit au Québec depuis 1997. Je suis née au pied du Djurdjura chez ma grand-mère à Imzdourar. J’ai grandi et étudié à M’Cheddalh (Maillot) au lycée Amrouche Mouloud où j’ai pris conscience du combat du MCB grâce à un camarade. J’ai fait l’école de journalisme à Alger, option audiovisuelle. J’ai travaillé à la chaîne II ( kabyle) pendant 6 ans avant de partir à Paris où j’ai travaillé pendant 8 mois sur le dossier de l’Union Européenne. Cette expérience m’a permis de connaître les défis de l’Union, mais aussi d’effectuer des reportages dans certains pays du continent comme la Pologne, le Portugal, les deux Irlande, la Grande bretagne et l’Allemagne. Une occasion de voir le défunt mur de Berlin et aussi de voir de plus près le combat des Irlandais que j’ai toujours admirés. C’est ainsi que je me suis familiarisée avec la presse écrite. Une fois arrivée au Québec, Madjd Benbelkacem et moi avons lancé une émission sur les ondes de Radio centre-ville ”Amazigh Montréal”.Parallèlement à cela, avec d’autres amis, nous avons crée l’association culture amazighe” Tirrugza” pour promouvoir la culture amazighe et créer des ponts entre le pays d’accueil et notre communauté. J’ai également collaboré avec certains sites virtuels comme algeroweb.com et berberes.com avant de lancer mon propre blog taghamsa.wordpress.com. Pour finir, je gagne ma vie en tant qu’enseignante de français au secondaire à Laval. Sur le plan privé, j’ai une fille de 20 ans, Missila Izza, qui étudie les sciences politiques à l’université de Montréal. Missila a mené le combat étudiant au Québec comme tous les autres étudiants et étudiantes du printemps érable. Je suis fière d’elle.

 
Le Blogue de Djamila Addar : Taghamsa…

Source: Le Montreal Dz - 21 mars 2014

PS : Nous avons sollicité des entrevues avec les candidats du Parti québécois. Nous attendons toujours la réponse des services de communication du PQ.