Après dix années de prison et une très forte mobilisation citoyenne, le moudjahid et également ancien chef de GLD dans la lutte antiterroriste, Mohamed Gharbi, a été libéré le 5 juillet. Il revient, dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder en marge de ses retrouvailles avec les siens, sur le meurtre qu’il a commis sur Ali Merad, un terroriste repenti qui le menaçait de mort dans sa ville natale de Souk Ahras, en février 2001. Aujourd’hui âgé de 75 ans, Mohamed Gharbi se livre avec autant de lucidité que d’émotion pour expliquer son acte, révéler ce qu’il pense de la réconciliation nationale et témoigner de son optimisme inconditionnel pour l’avenir de l’Algérie.



- Quelle a été votre première impression à la rencontre des jeunes qui ont milité des mois durant pour votre libération ?


Je crois plus que jamais en la force de la jeunesse algérienne. Elle me réconforte dans l’idéal que j’ai pour l’Algérie. Une image pleine de force, de pureté et d’amour. J’avoue que je me sens quelque peu déconcerté par la joie et le soulagement qui se mêlent à une très grande fatigue. Mais ce dont je suis sûr, c’est que dès que j’ai appris l’existence du collectif LMG et que j’ai vu les tee-shirts qu’ils ont fabriqués pour défendre ma cause, j’ai ressenti un immense espoir pour l’Algérie. Je me suis rendu compte que cette passion patriotique qui nous a animés durant la guerre de Libération nationale est encore vive. Il m’est arrivé très souvent d’oublier que j’étais en prison. Il se passait tellement de choses dans ma tête. Je ne me sentais pas seul. Les mots me manquent pour exprimer toute la gratitude que je ressens pour ces jeunes qui symbolisent pour moi toute la beauté de l’Algérie, pour laquelle je n’ai jamais hésité à prendre les armes.


- Le 11 février 2001, à la cité des 1500 Logements de Souk Ahras, vous avez tiré et Ali Merad est tombé. Depuis, votre vie a basculé. Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est exactement passé dans votre esprit ce jour-là ?


En réalité, tout a commencé le 2 février. J’étais allé à l’enterrement d’un ami moudjahid, Noubli Zine. C’était un moment de recueillement à Souk Ahras où on a eu l’occasion de se retrouver. A cette époque, nous parlions beaucoup du terrorisme, de la concorde civile et de la responsabilité des terroristes dans les tueries qui ont marqué la région.
J’ai donc tardé à rentrer chez moi. Sur le chemin du retour,  j’ai remarqué une voiture garée de manière suspecte. J’ai ralenti, Ali Merad est apparu, il a brandi son arme et m’a insulté : «T’es arrivé, espèce de taghout !» Je me suis enfui car je n’étais pas armé ce jour-là. Je suis rentré chez moi complètement perturbé, j’ai veillé toute la nuit, ma kalachnikov à la main, sur la terrasse, persuadé qu’il allait venir me tuer. Le lendemain matin, je suis allé me plaindre par écrit au chef de la sécurité et à la police. Ils n’ont pas voulu prendre ses menaces au sérieux. Je me suis même adressé à son père, qui est d’ailleurs un ancien moudjahid que je connais bien et qui était peu fier des activités terroristes et provocatrices de son fils. Il m’a conseillé de l’ignorer : «Matekhessarch alih yedik (ne te salis pas les mains pour lui)», m’avait-il dit. J’ai attendu sept jours puis, très tôt dans la matinée du 11 février 2001, je suis allé près de chez lui. J’ai attendu trois heures, il pleuvait, mais il s’agissait pour moi d’agir selon une stratégie militaire.


Il est sorti accompagné d’un jeune garçon, c’était son neveu. Je ne voulais pas tirer devant l’enfant. Ils se sont éloignés, je les ai suivis. Le jeune garçon est parti et Ali Merad a rebroussé chemin ; je me suis alors approché de lui, je l’ai interpellé, menacé de mon arme et enlevé ma cagoule pour qu’il me reconnaisse. Je lui ai alors dit tout le mépris que j’avais de lui : «Tu es un tueur, tu t’en pris au peuple algérien et tu oses te pavaner et nous narguer ?» Je lui ai ordonné de s’expliquer. Il était terrorisé et n’a prononcé aucun mot. J’ai hurlé «tahya El Djazaïr» et j’ai tiré au nom du peuple algérien et du sang des martyrs. Trois balles traçantes dans la poitrine. Il est tombé, j’ai vidé mon chargeur sur son corps. Personne ne savait qui j’étais. Les femmes de la cité se sont mises à lancer des youyous de leurs balcons à la gloire du «martyr» en criant «tahya el djabha el islamya» (vive le front islamique), j’ai alors hurlé «tahya djabhate etahrir el watani» (vive le Front de libération nationale) en tirant en l’air. J’ai enlevé la plaque d’une bouche d’évacuation d’eau de pluie et j’ai mis son corps à l’intérieur pour que son sang de terroriste ne coule pas sur notre terre.
En le tirant, j’ai remarqué un pistolet automatique à sa ceinture. J’ai demandé aux gens du quartier de m’expliquer pourquoi ce repenti était armé alors qu’il n’en avait pas le droit. Un officier de la gendarmerie m’a ensuite expliqué, lors de mon arrestation, que c’était le commandant du secteur qui avait donné cette arme au repenti. Ali Merad voulait me tuer avec une arme fournie par l’Etat, une véritable trahison. J’ai ajouté «vive le peuple algérien que je viens de débarrasser d’un criminel terroriste». Je suis Chaoui et fier d’être algérien. J’ai attendu que la police vienne pour me rendre.


- S’ensuit un procès en trois étapes : d’abord 20 ans de réclusion en 2004, puis suite à vos appels une condamnation à perpétuité en 2007, puis une condamnation à mort en 2009 avant de bénéficier d’une grâce présidentielle, puis d’une libération conditionnelle. Comment avez-vous vécu ces jugements ?


Ces jugements n’ont pas diminué mon amour du pays ni ma conviction d’avoir bien fait.
D’ailleurs, quand on m’a annoncé que j’étais condamné à mort, j’ai répondu par deux phrases : «Tahya El Djazaïr wa tahya chouhada (vive l’Algérie et vive nos martyrs).» Vous savez, je suis très pieux, je crois en la justice divine. J’ai tué cet homme pour me défendre. J’ai jeûné deux mois d’affilée et je continue à le faire tous les jeudis et vendredis pour me purifier aux yeux de Dieu. C’est tout ce qui compte pour moi. J’ai la conscience tranquille.


- Vous avez combattu le terrorisme en tant que chef du Groupe de légitime défense (GLD), vous avez ensuite soutenu la concorde civile pour finir par vous déjuger en tuant Ali Merad. Comment l’expliquez-vous ?


Je rêvais d’un retour au calme dans la région, je rêvais de paix, alors oui j’ai cru et adhéré à l’idée de la concorde civile. J’ai cru en une réconciliation avec ces anciens terroristes, mais ces hommes continuaient à être armés et se permettaient de nous narguer, nous terroriser dans nos propres quartiers. Je me suis alors rendu compte que cette réconciliation était une violente trahison.


- Certains pensent aujourd’hui que vous n’aviez pas à vous rendre justice par vous-même en tuant un homme. Que répondez-vous à cela ?


Je n’ai pas tué cet homme par vengeance et ce n’était pas un acte politique. Je l’ai tué parce qu’il me menaçait de mort. Si les services de sécurité et la justice avaient fait leur travail, je n’en serais pas arrivé là.


- Il s’est passé beaucoup de choses en Algérie depuis 2001 et, en même temps, rien de bien marquant. Est-ce que vous aviez, en prison, l’occasion de vous tenir au courant ?


Je ne sais ni lire ni écrire, cela dit des amis en prison, auxquels je tiens d’ailleurs à rendre hommage, arrivaient à se débrouiller quelques titres de la presse qu’ils me lisaient patiemment.


- Que pensez-vous alors de la contestation sociale qui secoue le pays depuis le début de l’année ?


Je ne m’inquiète vraiment pas pour l’Algérie. Elle a des hommes et des femmes de valeur qui se battent pour des principes. C’est d’ailleurs grâce à eux que je suis aujourd’hui libre.


- Quels sont vos projets, maintenant ?


Je ne compte pas retourner à Souk Ahras pour diverses raisons. Je veux juste vivre sereinement auprès de ma petite famille avec laquelle je vais m’installer dans une autre ville...

Source: El Watan