Partie II de l’entretien avec Richard Bergeron, chef de Projet Montréal


Arezki Sadat – Ce n’est un secret pour personne, la ville de Montréal possède de très mauvais résultats en matière de rétention de sa population immigrante. Une main-d’œuvre, jeune et volontariste, au bout de quelques années quitte la ville vers d’autres régions. De surcroit, souvent, ce sont de jeunes couples. Quelles solutions comptez-vous apporter à ce problème qui ne date pas d’hier?
Richard Bergeron – Depuis au moins une trentaine d’années, ce problème est récurrent. Les opportunités économiques et d’intégration sociale paraissent plus aisées au sud et à l’ouest du pays, par exemple à Toronto ou Calgary, où la croissance démographique et économique est un fait. On perd beaucoup de gens dans les migrations interprovinciales, entre 15 à 20 mille personnes par an. C’est pour cette raison que le Québec choisit des immigrants francophones, car ils sont moins mobiles à cause de la barrière de la langue. Il y a plus de chances qu’ils restent à Montréal.

A.S. – Néanmoins, ces dernières années, de nombreux Montréalais préfèrent s’installer dans les villes limitrophes, comme Laval ou Terrebonne…
R.B. – Oui, on sait que dès qu’un néo-Québécois réussit sa première phase d’intégration socio-économique et il accède à la classe moyenne, souvent il est amené à quitter Montréal. C’est terrible. Il y a ceux qui partent vers d’autres provinces, mais il y a également ceux qui s’installent par exemple à Mascouche, Laval ou Longueuil.

A.S. – Comment y remédier? Quelles mesures envisagez-vous pour les retenir dans la métropole montréalaise?
R.B. –Tout d’abord, nous devons offrir à ces gens ce qu’ils espèrent trouver soit à Toronto ou à Mascouche. J’entrevoie deux échelles de mesures. Il faut réfléchir à la relance de l’économie de Montréal afin de retenir ceux qui pensent quitter notre ville vers une autre province ou vers les États-Unis à la recherche d’opportunités économiques plus intéressantes. D’un autre côté, nous devons faire de Montréal un espace résidentiel de qualité, notamment pour les familles. Montréal doit devenir un endroit agréable pour y habiter, sécuritaire pour les enfants et où les prix d’acquisition d’une première propriété seraient à la portée des jeunes familles. C’est comme cela que nous pourrons retenir nos habitants tentés par d’autres villes du Québec. C’est là l’essence des propositions de Projet Montréal, en plus d’autres volets. J’ai annoncé notre opération de 21 000 logements que nous voudrions réaliser au cours de notre premier mandat : 5 000 logements sociaux, 5 000 logements abordables, 10 000 logements familiaux et 1 000 transformations de logements du marché en cours. Grosso modo, c’est 550 millions de dollars sur quatre ans. Ces logements ne seront pas bâtis sur des terrains disponibles, en laissant l’état actuel des choses perdurer. Ils vont être construits dans des quartiers calmes et ouverts. Quand ils s’installent en banlieue, les gens cherchent la quiétude et des endroits ouverts d’esprit, moins de bruit, moins de circulation automobile, moins de danger pour les écoliers. Ce sont principalement les raisons invoquées par les personnes qui quittent Montréal pour les banlieues.

A.S. – Que faire pour retrouver ces qualités à Montréal?
R.B. – Il faut réduire drastiquement la circulation automobile à Montréal. Il faut que la superficie des chaussées soit réduite pour la remplacer par des banquettes et des bancs. Nous comptons créer de tels quartiers qui ne seront pas des zones d’habitation unifamiliale, car c’est impossible, mais ils auront des attributs de cadre de vie que les ménages jugeront certainement équivalents.

A.S. – Le but, je présume, est de dynamiser les quartiers existants?
R.B. – Absolument. Soit on retravaille les quartiers existants pour qu’ils correspondent à l’esprit que j’ai évoqué ou on profite des opportunités qui se présentent, comme autour de la station de métro Frontenac où on peut remarquer un énorme potentiel. Un autre exemple : du côté de la station L’Assomption, il ya de la place pour construire 15 000 logements. Pour que ces projets se réalisent, il faut que qu’ils véhiculent les caractéristiques d’un cadre de vie que les Montréalais recherchent en banlieue. Il faut que ça soit kif kif! C’est ainsi que Montréal sera compétitif et on pourra empêcher le plus grand nombre de personnes de partir. Nous espérons que, grâce au réseau de tramways et à l’Entrée maritime, le grand projet que nous proposons, nous comptons relancer plus globalement l’économie de Montréal afin, entre autres, de retenir ceux qui ont l’intention de s’établir à l’extérieur du Québec. Ces deux axes mettront un frein à l’exode de la population montréalaise pendant une décennie. Les dix prochaines années seront vraiment intéressantes à Montréal!

A.S. – Un quartier a ces jours-ci tenu l’affiche dans les médias, notamment communautaires, en l’occurrence le Petit Maghreb qui vient de voir le jour pas loin de la station de métro Saint-Michel où de nombreux Québécois originaires d’Afrique du Nord tiennent des commerces…
R.B. – Oui, je suis au courant de l’évènement.

A.S. – Est-ce que, d’après vous, c’est la bonne approche dans l’intégration des Maghrébins, quand on sait que cette population est plus encline à éviter de se regrouper dans un seul quartier? Pour preuve, les Maghrébins ne résident pas majoritairement dans le Petit Maghreb. Beaucoup de compatriotes ne se reconnaissent même pas dans un quartier ethnique…
R. B. – Je crois que toute communauté qui compose la réalité générale de Montréal a le droit de s’exprimer dans l’espace public. Nous avons eu le quartier chinois, puis la Petite Italie. Maintenant, nous avons le Petit Maghreb. C’est légitime. On a le droit de marquer physiquement sa présence dans la ville, voire de s’approprier une partie de l’espace et de la « mettre » à son image.

A.S. – Certains voient là un risque de ghettoïsation des communautés culturelles?
R.B. – Je tiens à remarquer que dans la Petite Italie, il n’y a presque pas d’Italiens qui y vivent. Dans le Village gai, il n’y a presque pas d’homosexuels qui y résident. Le quartier n’est que leur lieu de rencontre. Même chose pour le quartier chinois où il y a, tout au plus, quelques immeubles d’habitation. Mais c’est le lieu de rencontre de la communauté chinoise, quand elle veut retrouver ses produits, ses odeurs, ses saveurs, se sentir entre soi. En plus, c’est très agréable pour nous les Québécois de nous y retrouver, car nous avons l’impression de changer de pays. Ceci dit, cette opinion est valable, quand les quartiers en question sont bien faits. Par exemple, le quartier chinois a besoin d’être amélioré. Il a énormément périclité ces dernières années.

A.S. – Pensez-vous que le Petit Maghreb a été bien conçu?
R.B. – Nous ne sommes qu’au tout début. Il faut penser à ce que sera le Petit Maghreb dans 7-8 ans, quand on aura investi les sommes qu’il faut investir. Pour donner une image forte au quartier, il faut intervenir dans l’espace public, sur la rue Jean-Talon, ses trottoirs, ses lampadaires. Il faut aménager l’espace. Nous devons y consacrer des subventions, essentiellement du secteur privé, pour que tout Québécois puisse connaître la culture nord-africaine et les produits nord-africains. Même un Québécois d’origine chinoise.