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La semaine culturelle amazighe d’Ottawa-Gatineau qui s’est déroulée du 23 au 31 mai a été riche et diversifiée dans les enceintes des deux universités : Ottawa et Outaouais. Organisée par la Fondation Tiregwa et l’Acaoh, cette manifestation a offert au public de cette région ainsi qu’à celui de Montréal des conférences assurées par des Kabyles et des Amazighs tunisiens et marocains, des expositions et un spectacle amazigh magistralement animé par Nasser Uquamum.

Younes Adli : Massinissa a déjà officialisé Tamazight

Le combat amazigh a mené beaucoup de batailles depuis l’indépendance de l’Algérie. Sa plus grande revendication est l’officialisation de Tamazight et son enseignement dans l’école algérienne. La lutte est certes légitime, mais la manière de la mener ne fait pas l’unanimité. Dans ce processus, beaucoup de démarches ont été vaines. Les responsabilités étaient partagées. D’un côté, les militants s’entredéchiraient pour des raisons diverses, idéologiques notamment. D’un autre côté, le pouvoir réprimait, tuait et manipulait en faisant des promesses fictives et en activant  ses relais de service pour saboter le peu d’acquis que  la lutte amazighe a arrachés. Résultat : le peuple ne croit plus en ses leaders et encore moins en les promesses d’un pouvoir panarabiste et anti-amazigh. Alors, quoi faire? Qui croire?

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 Le passé glorieux amazigh méconnu par les siens

 Il est difficile de répondre à cette question, mais en creusant intelligemment, d’autres moyens plus efficaces existent au sein même de ce peuple qui a enfanté des enfants qui le servent dans l’ombre, sans se vanter. Parmi ces derniers M. Younes Adli, écrivain, chercheur et journaliste. Cet homme calme, réfléchi et articulé a donné deux conférences à Gatineau et à Montréal sur la pensée kabyle, le passé glorieux des Amazighs et les menaces qui les guettent encore. Son intervention a porté sur deux axes déterminants dans le mode de vie amazigh : l’économie et la politique. En effet, les contacts des Amazighs anciens avec les Égyptiens, les grecques et les Romains témoignent de la bonne santé de l’économie des amazighs et de leur niveau politique, philosophique et culturel notamment à l’époque de Massinissa et de Juba II. Sans oublier les contributions d’Apulée et de Sait-Augustin dans la réflexion scientifique, théologique et philosophique. Sur le plan institutionnel, l’intervenant s’est attardé sur le cas de Carthage et les influences du fonctionnement démocratique amazigh qui l’ont inspiré. Sur le plan religieux, les Amazighs, selon lui, ont toujours cru en un seul Dieu et réfutent du même coup la tyrannie des guides, car la liberté de pensée a toujours été au cœur de leur mode de vie.  Les Européens ont repris les idées des Amazighs sans les citer pendant longtemps. L’exemple de l’œuvre d’Apulée est un parfait exemple de cette spoliation. La conquête arabo-musulmane n’a pas épargné tous les exploits des amazighs et leurs culture.

 La pensée kabyle : ruh a y arab er tafsut

 M. Adli avertit l’assistance qu’il a, surtout, travaillé sur la pensée kabyle et son mode de vie. Les colons et les intellectuels européens notamment étaient impressionnés par le modèle kabyle. Sa façon de gérer son économie, sa communauté et ses valeurs. L’exemple donné par le conférencier est plus que frappant pour expliquer une expression qui demeure dans le quotidien des Kabyle :Ruh a y arab er tafsut (On s’occupe de toi l’Arabe jusqu’au printemps). La famine a frappé s’est abattue sur le pays en 1866. Des milliers de personnes étaient mortes. Toutes les régions en avaient souffert sauf la Kabylie. Elle a été épargnée de cette catastrophe. Mieux encore, elle avait accueillies des personnes d’autres régions. Elle les a logées, soignées et nourries en attendant que les jours meilleurs reviennent pour qu’ils repartent chez eux. Cette générosité kabyle est due à son économie agraire et à ses réserves. D’ailleurs, l’un des politiciens français, en effectuant un recensement en Kabylie, il n’avait trouvé que 17 pauvre selon des critères occidentaux. Karl Marx a fait deux voyages en Algérie. L’un pour sa santé. L’autre pour observer le fonctionnement de la société kabyle. De son côté, le père de la sociologie française Durkheim a étudié le fonctionnement de Tajmaâ n Tadert (l’assemblée du village kabyle). Les exemples sont nombreux, des preuves historiques à l’appui. La Kabylie a su garder les gestes qui ont forgé la démocratie dans son fonctionnement parallèlement à la religion, dans le règlement des conflits en son sein ou en dehors de ses frontières. Quant aux monuments qu’on pourrait trouver un peu partout en Kabylie, leur présence est surtout pour fixer la mémoire. Une façon de reconnaitre l’apport des hommes et des femmes ont servi avec abnégation et intégrité cette terre qui est le socle de leur existence.  M. Adli dira qu’il y a deux éléments qui n’ont pas de frontières chez les Amazighs : La science et la culture. Bref, il faut lire les écrits de cet homme humble et sage pour découvrir cet océan d’informations magistralement relatées et brillamment liées au présent et surtout projetées sur l’avenir.

 Tamazight à la Tunisienne 

 Trois Amazighs sont venus de Tunisie pour parler de leur situation après la chute du régime de Ben Ali. Karima Azouz, assistante à l’Institut des Arts et Métiers à Gabès, 400km de Tunis, Nouri Nemri, fonctionnaire au gouvernement tunisien et Lazhar Ben Ouirane chanteur. Dr Azouz a donné sur "les aspects poétiques et esthétiques de la coloration dans l’architecture traditionnelle et contemporaine dans les villes amazighes du sud tunisien". L’éveil ne cesse de prendre de l’ampleur selon les intervenants et selon l’actualité médiatique en Tunisie. Les associations amazighes sont presque une dizaine. Certaines d’entre elles enseignent tamazight. D’autres organisent des ateliers, des colloques sur la langue et le patrimoine amazigh. Elles ont également organisé Yennayer en 2963 et 2964. Sur le plan médiatique, les Amazighs tunisiens insistent sur l’importance de la communication dans toutes les langues pour faire passer le message et sensibiliser leurs compatriotes. Les monuments et le mode de vie tunisiens sont loin d’être orientaux. Le retour aux sources se fait sentir de plus en plus selon M. Nouri. Avant la conférence qui a eu lieu au centre Afrika de Montréal, l’assistance a visionné un documentaire ‘’ Azul’’ sur la Tunisie amazighe. On y découvre des militants dynamiques qui s’attèlent à monter des Musées, des artistes qui chantent l’identité amazighe en Tamazight, des villages amazighs qui respirent le passé lointains des Amazighs. Nouri Nemri insiste sur l’aspect pédagogique de leur combat : «  Pour commencer, en Tunisie, on n’a pas des composantes amazighes. Nous sommes tous amazighs. D’ailleurs, le mot berbère n’existe pas chez nous.  Après le renversement du régime, tout le monde s’exprime. Les Amazighs aussi. Nous sommes peut-être en retard par rapport à nos frères amazighs des autres pays, mais nous essayons de ne pas commettre leurs erreurs et d’en tirer des leçons. C’est ça l’avantage d’être en retard! » ( Rires)

 L’officialisation de Tamazight au Maroc : de la poudre aux yeux

 Le témoignage d M. Lahsen Ouhaldj, journaliste-chroniqueur est poignant. Cet Amazigh du Maroc qui a à son actif un immense dictionnaire anaglais-amazigh et un lexique pour les journlaistes amazighs n’a pas par quatre chemins pour dire que l’officialisation de tamazight dans son pays est une coquille vide. Tamazight est certes enchâssée dans la constitution, mais des lois organique pourraient l’éventrer sur des années. « On est dans l’absurde », affirma-t-il. Loin d’être pessimiste,  il avance que la production amazighe se porte très bien au Maroc grâce au mécénat des amazighs. Les riches amazighs aident beaucoup les créateurs et les chercheurs. Il ajoute aussi que Tamazight a besoin d’être promue : «  Il faut que ma culture ait son propre média. ». Il a conclu son intervention en disant : «  L’arabité et l’islamité ne survivent que grâce à la négation du fait amazigh. Tamazight est allergique aux deux. ».

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 Expositions, galas et retrouvailles

 Le 31 mai, après la conférence de M. Younès Adli sur le passé des Amazighs et le documentaire de Zenia sur la mère au cœur du village kabyle, le public a eu droit à une soirée magique à l’auditorium de l’université du Québec en Outaouais. En effet, la chorale Telleli et la troupe de danse Tafsut ont inauguré le spectacle. Par la suite, une fourchette d’artistes kabyles (Ali Abdjaoui, Hakim Kaci, Djaffar At Maamar, Réda) tunisiens Lazhar Ben Ouirane) et le groupe marocain Aza a donné d’excellentes prestations. Le même jour, Madghis, l’Amazigh libyen et Smail Metamati, l’Amazigh algérien ont exposé leurs œuvres au public. Le premier est porté sur l’utilisation de tifinagh dans le monde des communications et de la technologie. Le second, en plus des toiles, il consacre une grande partie de son temps à embellir la calligraphie amazighe. Le rêve de Madghis est de propulser Tamazight dans l’universel. Smail quant à lui, espère que tous les Nord-africains apprennent à écrire l’alphabet tifinagh à l’instar des Touaregs.

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C’est la première fois que les Amazighs se rencontrent dans une manifestation culturelle en exil, en Amérique du Nord. Les associations amazighes d’Ottawa-Gatineau se sont déployées pour assurer la réussite de cet évènement malgré le peu de moyens dont elles disposent. M. Rachid Beguenane a mis sa vie entre parenthèse pour se consacrer entièrement à ces activités qu’il a programmées même à Montréal. M. Kamel Serbouh, président du Centre Amazigh de Montréal s’est impliqué dans l’organisation de l’hommage à M. Younès Adli notamment. Aussi, M. Khendek a hébergé les invités de la semaine culturelle gratuitement à Montréal. Houria Louali, Samir Yalaoui et Mohand Medkour ont contribué à leur manière dans la réussite de cette manifestation. Il faut souligner que toutes ces activités sont financées par des bénévoles. Certains riches kabyles  n’ont pas encore compris que Tamazight a besoin d’eux et que la richesse de leur pays est investie ailleurs pour d’autres fins. Le modèle kabyle qui a impressionné Karl Marx et beaucoup d’autres devrait être entretenu par les Kabyles.