La semaine culturelle amazighe aura lieu à Ottawa et à Gatineau du 24 ou 31 mai 2014. Un programme riche est concocté pour faire rayonner Tamazgha, l’Afrique du Nord : conférences, projections, défilé de mode et spectacle. Pour mieux saisir la portée de cet évènement, M. Racid At Ali Uqaci, l’un des organisateurs, a répondu généreusement à nos questions.

M. Racid At Ali Uqasi, pourriez-vous nous parler du concept de cette semaine culturelle?

 Avant de répondre à votre question, permettez-moi d’abord de vous remercier pour le formidable travail de communication que vous faites à travers votre blog Taghamsa, que je visite périodiquement pour me tenir au courant de tout ce qui se fait au Québec et au Canada comme activités culturelles Amazighes.

Pour revenir à votre question, l’idée d’organiser une semaine culturelle Amazighe au Canada m’a traversé l’esprit il y’a bien longtemps. Je me suis dit qu’il est temps de faire quelque chose dans ce sens, à partir du moment que la communauté Amazighe ne cesse d’augmenter au Canada, notamment ces dernières années. Plusieurs associations et organisations culturelles et éducatives ont vu le jour ces deux dernières décennies, notamment à Montréal et dans la région de la capitale nationale (Ottawa-Gatineau).  Énormément d’évènements ont été organisés par celles-ci dans divers domaines; chants, danses, expositions d’œuvres d’art, projections de films, conférences, enseignement de Tamazight (Montréal/Ottawa), etc.

 Ces initiatives ont été le plus souvent réalisées soit autour d’une seule thématique (chants, danses, conférences, projection de film, …), soit par une seule organisation ou l’esprit de collaboration inter-associations est quasiment absent, ou encore faites par une seule composante Amazighe kabyle pour ne pas nommer, alors que nous n’avons jamais cherché à aller vers d’autres composantes ou les Chawis, Chleuhs, Nefousis, Mozabites, Terguis et amazighs tunisiens. Toutes ces composantes  existent partout au Canada et en Amérique du nord en général.

C’est ce qui nous a motivés au sein de l’Association ACAOH et de la fondation Tiregwa à ouvrir une brèche pour une initiative collaboratrice, pluridisciplinaire et surtout inter-amazighe. Le défi est certes grand, puisque un tel évènement demande énormément de moyens à la fois financiers, logistiques, et en ressources humaines. Il reste que je suis convaincu que cette semaine culturelle Amazighe sera le prélude à d’autres horizons prometteurs. A titre d’exemple l’idée d’organiser un festival de culture Amazighe au Canada ne sera pas impossible dans les années à venir. L’expérience éventuellement qui sera acquise lors de la semaine culturelle Amazighe sera bénéfique pour un tel festival.

 Ce serait quoi l’objectif de cet événement?

 L’événement de la semaine culturelle amazighe à Ottawa-Gatineau répond à un double objectif; à court et à long termes. Dans l’immédiat, il s’agit de:

- Partager avec les Canadiens et les Canadiennes de la région de la capitale nationale, les différentes facettes de notre Culture Amazighe multimillénaire qui caractérise un vaste territoire appelé Tamazgha ayant presque la superficie du Canada ou des USA.

- Sensibiliser nos enfants nés ici sur l’importance de sauvegarder notre héritage amazigh et de le faire connaitre dans leur pays de naissance pour renforcer ainsi leur sentiment d’appartenance identitaire.

- Créer une communion au sein de notre communauté à travers cet évènement où pendant toute une semaine, ses membres auront des échanges fructueux avec nos invités d’outre-Atlantique ou ceux venant des USA.

- Enfin récompenser nos artistes créateurs et militants venant de Tamazgha en faisant valoir leurs talents et en leur rendant hommage pour l’ensemble de leurs productions dans le domaine amazigh. Parfois, je me demande comment ils y arrivent quand on voit la misère morale et identitaire dans laquelle baigne notre Tamazgha et toutes sortes d’obstructions que rencontrent ces artistes et militants pour les raisons que vous connaissez tous.

Quant à l’objectif à long terme, il est lié avec ce que j’avais dit précédemment en réponse à votre première question. Nous espérons à ce que l’expérience qui sera acquise de cette semaine culturelle amazighe servira à plus ou moins long terme à organiser un jour un Festival de culture amazighe au Canada.  Nous le voulons à la fois :

-         collaborative où toutes les organisations culturelles amazighs y prendront part,

-         pluridisciplinaire où les différentes facettes de notre curriculum patrimonial et ancestrale y seront mis en évidence, et enfin

-         inter-amazighe où toutes les composantes amazighes seront présentes de Sous a Siwa, de Kabylie aux Touaregs.

Il va sans dire que la ville idéale la plus indiquée pour abriter un tel grandiose projet à l’avenir serait incontestablement Montréal pour d’évidentes raisons.

 Est-ce qu’on pourrait avoir les grands axes du programme?

 Le programme est très riche et plusieurs intervenants viendront de toutes les parties qui constituent la Tamazgha ou l’Afrique du Nord. Je vous invite à voir le programme au complet à l’adresse suivante: www.tiregwa.org/events.

Le programme est diversifié, pourriez-vous nous donner une idée des plus importants thèmes?

Il convient surtout de retenir que Dr. Djaffar Ould Abdesslam, maitre de conférence à Mulhouse en France, inaugurera la semaine culturelle Amazighe à l’auditorium de l’université du Québec en Outaouais avec une conférence sur les Amazighs dans l’histoire. Les moments forts qu’ils ont vécu ainsi que les principaux personnages historiques qui ont façonné la Tamazgha seront exposés et expliqués pédagogiquement avec un support  multimédia animé. Cette conférence sera suivie de deux courts-métrages libyens intitulés Tamagit (Identité) et Tumast n Téniry. Une autre conférence sera donnée par le journaliste-chroniqueur Amazigh de Sous, en l’occurrence, Lahcen Oulhadj. Un couscous berbère sera servi avant de convier les invités à assister à un défilé de mode dans lequel les différentes régions amazighes seront représentées par leurs tenues traditionnelles. Enfin, pour finir la journée, un nouveau documentaire Kabyle sera projeté.

La deuxième journée se déroulera à l’université d’Ottawa et sera consacrée exclusivement aux Amazighs de Tunisie ou trois invités expliqueront le réveil identitaire Amazigh dans ce pays. Plusieurs volets de l’héritage Amazigh tunisien seront présentés par Dr. Karima Azouz. Celle-ci donnera en effet une conférence sur les aspects poétiques et esthétiques de la coloration dans l’architecture traditionnelle et contemporaine dans les villes amazighes du sud tunisien.

Toutefois, les jours de la semaine seront consacrés à la projection de plusieurs courts et long métrages et à la toute nouvelle pièce théâtrale du dramaturge Djamal Benaouf suivie par un débat sur le théâtre Amazigh au Canada avec Arab Sekhi et Mourad Mohand Said, membres du TRA (Théâtre du renouveau Amazigh). Plusieurs expositions de peinture et de calligraphie seront données par des artistes du nom de Smail Metmati Madghis Umadi, Hassan Amraoui, Zahir Abid et Kamel Benidjer. Des cours sur la calligraphie et l’infographie seront également donnés en marge de ces expositions.

La cérémonie de clôture, qui aura lieu samedi 31 mai à l’auditorium de l’université du Québec en Outaouais, s’annonce chargée par son contenu pertinent vu la qualité des intervenants à l’image de l’Amusnaw Younes Adli. Ce dernier présentera une conférence intitulée "Imazighen : entre grandeur du passé et menaces du présent". Elle sera suivie par la projection d’un documentaire du réalisateur Hacène Zennia qui nous vient de Washington DC.

Après une pause souper, viendra le temps d’honorer et de remercier nos invités par des prix et la soirée sera achevée par un gala animé par plusieurs artistes venant de divers parties du monde : AZA, Ali Abdjaoui, Lazhar Ben Ouirane, Djaffar Ali Mamar, Troupe Tafsut, Troupe Tilleli, Hakim Kaci et Reda.

 Vous avez choisi certains endroits pour organiser cet événement. Lesquels et pourquoi ce choix?

 Le choix des endroits, que sont l’université d’Ottawa (au passage commanditaire de l’évènement avec la ville de Gatineau) et l’université de Québec en Outaouais, est bien ciblé. Il répond à notre objectif, à savoir viser une clientèle académique et universitaire pour convoiter l’élite canadienne de demain qui saura situer la Tamazgha dans son propre environnement géographique et historique.

 Dans votre programme, la Tunisie est à l’honneur, pourriez-vous développer?

 Je vous remercie énormément d’avoir soulevé particulièrement la unisie qui reste l’invitée de marque de cette semaine culturelle amazighe. Nous avons tendance depuis longtemps à cantonner le monde amazigh uniquement au Maroc, Algérie, Mali, Niger et la Libye, alors qu’en Tunisie il existe un réveil identitaire qu’il faut saluer, encourager et accompagner à des fins d’épanouissement. C’est dans ce but que nous avons déployé beaucoup d’énergies afin que des artistes, intellectuels et militants amazighs tunisiens soient omniprésents parmi nous pour partager leur héritage amazigh qui ne fait que rehausser notre fierté et notre fraternité amazighe.

 Qui seront vos invités de ces composantes amazighes?

Comme déjà souligné plus haut, la journée du dimanche 25 mai sera consacrée exclusivement aux Amazighs de Tunisie. Elle se déroulera à l’université d’Ottawa où trois invités de marque, en l’occurrence l’infatigable Nouri Nemri, la belle voix de la chanson Amazighe de Tunisie, Lazhar Ben Ouirane et Dr. Karima Azouz expliqueront, chacun à sa façon, l’amazighité profonde de la Tunisie. En guise de clôture de cette journée spéciale Tunisie, des Amazighs tunisiens de la région en l’occurrence Messieurs S. Sarray et A. Belbachir, animeront, en compagnie de nos invités, un débat sur l’état des lieux et l’avenir de Tamazight en Tunisie.

Votre semaine culturelle coïncide avec les magouilles sur la constitution algérienne qui tasse encore une fois l’officialisation de tamazight. Votre commentaire?

 L’officialisation de Tamazight dérange. Cette question empêche les malfaiteurs au pouvoir de dormir dans notre Tamazgha. Et en même temps leur politique renforce notre détermination à continuer notre lutte. Justement, des évènements comme la semaine culturelle amazighe à Ottawa-Gatineau restent un moyen de rencontres idéales afin de discuter de notre culture, de notre langue et de notre avenir en tant que peuples amazighs. Lequel avenir sera toujours noirci aussi longtemps que la pollution identitaire est toujours de mise.

 Pour continuer à imposer le changement pacifiquement, il ne faut surtout pas cesser de secouer des consciences amazighes encore obnubilées par d’autres référents identitaires exogènes et imposés par les états postcoloniaux qui ont pris en otage notre Tamazgha. Au niveau de la diaspora, nous avons la responsabilité historique de faire connaitre notre identité partout où nous nous trouvons en France, Canada, USA, Espagne, Hollande pour ne citer que ces pays où vivent, dans l’ensemble, des millions d’Amazighs.

 Le manque d’organisation et l’unité d’action qui nous font défaut dans la diaspora malgré notre importance en nombre, je suis plus que convaincu qu’une fois palliés, nous serons en mesure de forcer les gouvernements de ces pays démocrates à revoir leur complicité, pour ne pas dire leur appui aux usurpateurs de Tamazgha, ce vaste territoire qu’ils continuent d’appeler délibérément le  Maghreb Arabe. Prenant exemple de la diaspora arménienne en France, environ 25% par rapport aux Imazighens, qui ont obligé Sarkozy à presque couper ses relations diplomatiques avec la Turquie.

 Un message pour les Amazighs d’ici et d’ailleurs?

Algera été désignée comme la capitale de la culture arabe pour l’année 2007. Auparavant, Rabat a été désignée comme la capitale de la culture arabe pour l’année 2003. Tlemcen à son tour est décrétée la capitale de la culture islamique pour l’année 2011. Tripoli la capitale de la culture arabe pour l’année 2014. Constantine la capitale de la culture arabe pour l’année 2015, ….

 Je vous laisse le soin de deviner combien ces événements chiffrent en milliards de dollars. Des dépenses qui ne peuvent être qualifiées que de gaspillages en terre Amazighe.

 Mon message de la fin aux Imazighens d’Afrique du Nord est de les solliciter à travailler  dans le sens à faire de Khenchla, Tamanrasset, Vgayet, Ghardaïa, Agadir, Batna, Tizi Ouzou, Sphax, … comme des capitales de la culture amazighe pour les années à venir. En conséquence, des milliards de dollars seront investis pour créer de l’emploi et surtout de multiplier les productions artistiques, cinématographiques, littéraires et scientifiques.

 Quant aux Imazighens de la diaspora qui œuvrent dans le même sens que nous, mon message à leur égard, est de veiller à ce que la semaine culturelle amazighe devienne une tradition perpétuelle et qui espérons-le se propagera au-delà du Canada.  Pourquoi pas après Ottawa capitale de la culture Amazighe en 2014, suivront Amsterdam, Paris, Bruxelles, Montréal, Washington DC pour les années à venir.

 Merci à Taghamsa pour cette opportunité qui m’est offerte pour donner un aperçu sur la semaine culturelle amazighe à Ottawa-Gatineau. Je profite de l’occasion pour convier tous les Imazighens du Canada à venir vivre des moments de communion avec nos invités qui nous viennent de loin. Ça sera aussi une occasion inouïe de rendre hommage à nos artistes et à leurs œuvres et surtout de les sortir de l’oubli.

Source: Taghamsa