Là-haut, je suis bien là-haut.  Là où l'abstrait est l'unité de mesure de l'inconnu. Je suis là-haut, sans prêter ma voix comme l’ont fait Rachid Badouri et Charles Aznavour.  Je suis là-haut sans me procurer un nez de clown ou investir des millions de dollars de la liberté.

Là-haut, je suis parti propre sans aucun virus malsain.  J’ai tenu à être dardé, immaculé.  Là-haut, avant de partir, j’ai pris la peine de faire la longue file et recevoir ma dose sans contourner la porte d’entrée ou utiliser l’allée chantante utilisant une langue Dubois.

Avec une lâcheté, on m’a pris mon âme et le plaisir du grand-père.  J'ai sacrifié mon âme et je ne peux même pas assister au spectacle d'un cirque, malgré le fait que je ne suis pas loin, quand-même, du soleil, là-haut.

Je n’ai pas fui le pays d’Algérie pour des raisons de terrorisme.  Le terrorisme, je l’ai vécu, la veille du mois de décembre 2009, ici au pays de Samuel de Champlain. Je suis devenu, le feu Mohamed Nehar Belaïd.

Je n’ai pas fugué, ou du moins qu’on puisse le dire, quitté ma ville natale, el Bahia Oran, pour quêter un emploi ou développer ma carrière.  C’est au pays du sieur de Maisonneuve qu’on n’a pas reconnu mes compétences et mon expérience.  J’avais déjà un emploi et ce n’est pas n’importe lequel!  Je travaillais dans la prestigieuse compagnie pétrolière Sonatrach,  le rêve des canadiens de souche, l’espoir de l’aspiration fortunée de SNC Lavalin, l’expectative attente de Dessau-Soprin….  Je me nomme maintenant, le regretté Mohamed Nehar

Je n’ai pas voulu troqué, de mon bon-gré, mon quartier populaire Lamur, connu communément par El-Hemri.  Je me suis forcé, pour le bien de mes chers, de m’installer dans l’arrondissement Saint-Laurent, plus près et proche, de la mosquée ICQ et son minaret érigé et qui n’a pas fait encore, de tapage médiatique. Dorénavant, on m’appelle El Marhoum Mohamed.

Je n’ai pas réussi à séduire le Québec par mon âge mûr, par mes diplômes et mes expériences.  Le Québec a été séduit par contre, par ma progéniture.  Le Québec n’a rien investi, aucun sous noir.  Moi, le pauvre trépassé, j’ai offert au Québec, cinq enfants et huit petits-enfants.  Un fleuron part d’une population maîtrisant les deux langues officielles.  Je suis, le défunt Mohamed.

Pour le commun des mortels, avant de venir au pays de l’érable, du froid et de la poutine, j’ai passé un séjour, assez considérable, 17 ans, aux pays des Émirats et des sultans.  Je ne suis pas venu ramasser des dollars, je suis arrivé pour quêter l’espoir et compléter aux enfants le savoir. Je suis désormais, le décédé.

Je n’ai pas choisi d’être enterré sur les terres du premier évêque catholique du Québec, François de Montmorency-Laval, propriétaire de l’île jésus.  Je ne pensais guère mourir loin de ma mère patrie, de mon paternel, de mes ascendants et de mes ancêtres.  Pour moi, le disparu assassiné, être enterré au fin fond, loin de mon cimetière oranais Aïn El-Beida est inimaginable.

J’ai confronté la réalité amère et acerbe de l’immigrant.  Le sourire d’accueil procédural à mon immigration a été, en peu de temps, transformé en lugubre macabre brume par les pourvoyeurs d’emploi.  Hélas, mais comme j’étais, par nature, au-dessus de toute considération, j’ai retroussé les manches pour entreprendre la carrière du risque.

En route, en position 10h10, les deux mains sur le volant, pour une destination mortelle. Je suis un défunt.

J’ai roulé pendant plus de quinze ans.  J’ai connu, le quart du travail du jour, du soir et celui qui m’a appelé au seigneur, le quart de nuit.  Tous les coins de rue de la métropole se souviennent de moi.  Non, je n’ai pas roulé ma bosse, j’avais l’âme du pêcheur à la ligne, du flatteur galvaudeur du vieux métier de la planète.  J’ai gagné ma vie en espérant quotidiennement qu’un bon client mordra à l’hameçon mais hélas,   j’ai été mangé par mon filet de pêche dans les ténèbres.

Je n’avais pas peur de la mort.  Je ne pensais même pas à ce destin inévitable.  Je n’ai jamais eu vent d’idée qu’un jour on parle de moi dans les nouvelles ou sur les feuilles du journal.

Je suis mort dans un pays de droit sans avoir le moindre droit.  La justice m’a trahi.  Vive le vivant qui a tué le mort.  J’étais considéré avec les autres, catégorisé de second ordre et le crime qui m’a coûté la vie, le juge en toute simplicité volontaire l’a réputé non prémédité et au second degré.

Je vous salue la terre.  Je vous salue les collègues.  Vous êtes des braves guides-conducteurs.  Je commence déjà à m'ennuyer de vous autres.  Je m'ennuie de ma Ford Taurus, de mes stations d'arrêt et de Montréal Labess.

Votre geste du fanion noir pour exprimer la tristesse de mon départ est touchant.  Ne vous inquiétez pas, j'ai compris votre message.  J'ai une petite descente sur terre, le 12 janvier et je souhaiterai vous voir tous et chacun. Comme vous le savez, j'en ai ni permis ni auto pour vous rendre visite et pour ce faire, je vous donnerai rendez-vous au palais de justice de Montréal.

Je vais me contenter de me reposer en paix et de ne me soucier de rien.  Ma cause est entre de bonnes mains, entre celles de Kathleen Weil, ministre de la justice et dans la main forte de Jacques P. Dupuis, ministre de la sérénité publique.

 

L’immigré, je suis en quête de l’espoir;
L’immigré, je suis venu chez vous pour le savoir.

L’immigré, j’ai fui le joug et la noirceur;
L’immigré, j’ai cru trouver la douce lueur

N’ayez pas peur, je ne suis pas un assoiffé de pouvoir;
Et surtout pas, je ne suis pas, venu ici, afin de boire;
Je suis ici, pour observer fidèlement et remplir loyalement obligations et devoirs


Houari weldmaraval
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