La commémoration du double anniversaire du Printemps berbère 1980 et du Printemps noir 2001 a donné lieu à des célébrations aussi bien en Algérie qu’au sein de la diaspora amazighe à travers le Monde. Curieusement, le souvenir toujours vivace au sein des Kabyles de deux dates charnières dans l’histoire de l’Algérie contraste terriblement avec la frilosité avec laquelle les autres communautés originaires d’Algérie abordent cette occasion.

 

De mensonge en mensonge
Il est vrai que, cette année, le Printemps berbère et le Printemps noir ont été célébrés dans un climat délétère, conséquence du contexte post-électoral actuel. La récente reconduction à la tête de l’État algérien de celui qui préside à ses destinées depuis une décennie n’augure rien de bon. En effet, le pouvoir central table toujours sur un pourrissement de la situation au sein du mouvement citoyen. C’est indéniable.

Le Mouvement des Aarchs peine à se relever après des années de confrontation avec un régime qui a étalé son arrogance vis-à-vis d’aspirations aussi légitimes que fondées. L’application de la Plateforme d’El Kseur, élaborée au lendemain des dramatiques événements du printemps 2001, a été renvoyée ad calendas graecas. Toute revendication allant dans le sens de l’affirmation citoyenne et de la fin du déni d’une partie de l’identité nationale est taxée de velléité irrédentiste, et ses initiateurs sont l’objet de campagnes de diabolisation de la part de cercles du pouvoir qui se sont appropriés toutes les constantes de cette même identité nationale, ainsi que les couleurs qui vont avec.

Durant sa campagne électorale, aussi nerveuse que pernicieuse, le candidat du système est allé loin dans les confessions. « Je me suis trompé sur l’origine des évènements de Kabylie », a martelé Abdelaziz Bouteflika fin mars à Tizi Ouzou, devant un parterre d’élus triés et une foule acquise au discours officiel. Même des dirigeants sportifs ont été conviés aux noces.
Faut-il croire aux paroles du premier magistrat du pays? Tout porte à croire que c’est un leurre de plus. Les personnes responsables des souffrances qu’a endurées la population amazighe sont toujours aux commandes de la République. Pis, les vexations et les provocations n’ont jamais cessé. Zineddine Berrekla, le jeune tué l’an dernier par balle par un militaire dans un point de contrôle à Oued Aissi, n’a jamais été sous l’effet de l’alcool, comme le soutiennent certains commis de l’État. Tout comme Massinissa Guermah, l’adolescent assassiné dans les locaux de la gendarmerie de Beni Douala, n’était pas un voyou, mais un lycéen au parcours exemplaire. C’est son lynchage dans une enceinte de l’État qui déclencha la révolte kabyle de 2001-2002.

En matière de supercheries, les Kabyles en ont vu d’autres, à commencer par l’épisode honteux de Cap Sigli qui est resté dans les mémoires. Comment oublier que le largage organisé d’armes dans une région amazighophone, en décembre 1978, a failli jeter le discrédit sur une population qui a tant sacrifié dans la lutte pour l’indépendance? Des témoins privilégiés de ces évènements, qui se sont déroulés – rappelons-le - dans une ambiance de fin de règne, ont reconnu que l’avion était parti de Bejaia, et non pas d’un quelconque pays voisin. Une provocation préméditée.
Deux années plus tard, et c’est la population kabyle qui se soulève. Certes, pour d’autres raisons, mais la logique basée sur les provocations incessantes n’avait jamais changé d’un iota. L’être le plus patient se serait rebellé.

Quo vadis Algérie?
Aujourd’hui encore, c’est la petite localité de Berriane, en pays mozabite, qui est devenue une micro-Kabylie, voire un autre polygone militaire. Le prétexte est clair: les Mozabites n’ont pas fait allégeance au candidat officiel lors de la dernière mascarade électorale. La population locale est donc systématiquement soumise à des brimades. Les élus locaux sont démis de leurs fonctions sans coup férir. Tout cela dans l’impunité totale.

Il y a lieu de se poser des questions sur le peu d’émotions que suscite la double commémoration de cette semaine au sein de la communauté algérienne de ce côté de l’Atlantique, mis à part chez les Kabyles. Nos leaders communautaires, qui sont les premiers à nous solliciter quand il s’agit d’une levée de fonds, restent figés à la seule célébration de Novembre 1954, comme si les idéaux du Congrès de la Soummam n’ont pas été souillés et confisqués. Même la modification unilatérale de la Constitution est passée sous silence. Idem pour les Printemps, berbère et noir. Pourtant, Mouloud Mammeri, celui par qui (malgré lui) est arrivé le scandale, demeure à ce jour l’une des figures marquantes de la littérature algérienne. Algérien, il l’a été jusqu’au bout!         

Que le veuillent les tenants du baasisme ou non, le Printemps noir est un fait majeur dans le calendrier de l’Algérie libre. Au-delà de cette vérité indiscutable, d’autres questions m’interpellent : Que serait en ce début de millénaire l’Algérie si, en 1980, ses habitants n’avaient pas cru aux manigances du régime? Aurait-on vécu tous les massacres de la Décennie noire, si le pouvoir avait lâché du lest sous la pression des citoyens de Kabylie? Serions-nous témoins de toute cette déliquescence qui de nos jours caractérise les structures de l’État algérien? Un président aurait-il pu se tromper sur des faits aussi importants que l’assassinat de 126 jeunes, sans que la nécessité d’excuses ou de destitution ne s’impose? L’impunité aurait-elle été érigée en culture, comme elle l’est dans l’Algérie de Bouteflika? Un regard en arrière et sur les expériences vécues par les peuples de l’ex-bloc communiste, notamment les Hongrois, et on se rendra à l’évidence que l’Algérie a raté le coche lors du Printemps berbère. En somme, un rendez-vous raté. La suite est une descente en enfer.    

 

Arezki Sadat (Chroniqueur/Collaborateur)

Plus Lus