Dans les universités québécoises, la semaine passée s’est écoulée sous le signe de la tolérance. Des conférences organisées à cette occasion un constat ressort : beaucoup de travail reste à faire en matière de lutte contre la discrimination dans les médias francophones du Québec.

À l’instar de plusieurs personnes que les débats sociétaux fascinent, j’ai pris le temps de m’abreuver à l’une des discussions consacrées à la place des minorités visibles dans la société québécoise, organisées dans le cadre de la semaine de la lutte contre la discrimination.

Un terme boomerang
Le sujet lui-même s’annonçait passionnant : l’impact de certains médias comme véhicules de préjugés et de stéréotypes chez les jeunes. Le plateau également était royal. La Fondation de la tolérance, organisatrice du débat, avait pris le soin d’inviter Florian Sauvageau, un professeur de l’Université Laval fin connaisseur des médias montréalais, ainsi que Léo Kalinda, un journaliste de Radio-Canada d’origine rwandaise, qu’on a rarement l’occasion de voir même si sa voix est aisément reconnaissable. Du beau monde.
La déception est venue du co-président de la Fondation, John Parisella, qui n’a pas daigné rester jusqu’à la fin du débat pour répondre aux questions des participants. Difficile aussi d’admettre l’absence dans l’enceinte de journalistes maghrébins, surtout qu’une Oranaise était chargée de diriger les échanges. 

Avant de prendre le chemin du Centre des Sciences de l’UQAM, je me suis d’abord enquis de vérifier la définition du mot « tolérance » dans mon Larousse datant de 1970. On le sait : les dictionnaires sont comme le vin; plus il sont vieux, plus ils sont meilleurs… « Disposition à admettre chez les autres des manières de penser, d’agir, des sentiments différents des nôtres », ainsi résonne l’un des concepts les plus malmenés au Québec, y compris par ceux-là mêmes qui le boudent outrageusement quand il s’agit de recruter de nouveaux employés. Chaque année, ce terme est décliné sous toutes les formes. Pourquoi pardieu évite-t-on de parler d’acceptation, le véritable talon d’Achille de la société québécoise? À coup sûr, cette question déjà soulevée lors des consultations devant la Commission Bouchard-Taylor ne manque pas de pertinence. 

Des chiffres et des modèles
Comme à chaque rencontre de ce genre, les conférenciers se sont évertués à dresser un constat maintes fois entendu. Unanimement, ils ont estimé que l’absence des représentants des communautés culturelles du paysage médiatique constitue un scandale. Les « immigrants » qui ont trouvé grâce aux yeux des médias montréalais se comptent sur les doigts d’une seule main. Cet état de fait se trouve du reste à la base de la stigmatisation qui est le lot de certaines communautés au Québec.
D’ailleurs, les conférenciers n’y sont pas allés de main morte. Les chiffres présentés ce jour-là, aussi bien par la Fondation de la tolérance que par le prof. Sauvageau, étaient sans équivoque. Les immigrants sont même rejetés par ceux qui ont fait de la diversité leur cheval de bataille.

Comparé aux USA, à la France ou l’Ontario, dans les médias, le Québec francophone a l’allure d’un village ethniquement homogène. Traversez seulement le fleuve Saint-Laurent et vous allez vous rendre compte du gouffre qui sépare les médias francophones de la chaîne CBC ou du quotidien The Gazette. L’image d’Épinal d’une société célébrant la diversité ne cesse de vaciller.
La frilosité des intellectuels issus de l’immigration reste une énigme. Quand en Hexagone le Chaoui Yazid Sabeg frappe un coup de maître, en initiant une pétition intitulée Manifeste pour l’égalité réelle, chez nous on se limite à de stériles débats dans des chaumières…

À voir l’ouverture d’esprit des représentants des minorités visibles, on ne peut que regretter l’ostracisme dont ils sont victimes. Cette adolescente haïtienne, rencontrée dans le métro les yeux rivés sur la monumentale œuvre de Milan Kundera « L’insoutenable légèreté de l’être », aura-t-elle la chance qu’elle mérite dans une société soumise à un « réseautage » à sens unique sans le soutien d’un journaliste bien introduit dans les médias? Aura-t-elle la moindre chance de rivaliser avec les enfants des dynasties médiatiques actuelles?

Poser les vraies questions
Plus que jamais, les sièges des médias montréalais se sont transformés en véritables tours d’ivoire. Malgré toute ma bonne volonté, je ne comprendrais jamais les raisons que pourrait invoquer un rédacteur en chef en charge d’une rédaction exclusivement de souche européenne, si celui-ci devait m’expliquer les raisons de l’invisibilité des minorités visibles. Est-ce nos accents qui l’irritent? Notre façon de penser qui est problématique? Doit-il privilégier la solidarité ethnique à tel point qu’il ne voit pas de place pour quelqu’un né dans l’hémisphère sud? Qui sait? La faute revient peut-être à la convergence? Que nenni! C’est un argument tellement obsolète!
Remarquez, il existe toujours une brèche dans le béton montréalais. Il suffit qu’une illuminée publie le pamphlet le plus violent contre une religion plus que millénaire pour que les invitations lui tombent du ciel, essentiellement de la part de ces sommités de l’islamophobie. Tant pis si la méthodologie est douteuse et les thèses grotesques.

La crise économique est une chance pour les communautés visibles de faire valoir leurs revendications. Ce ne serait certainement pas un acte d’arrogance, comme il fut stipulé dans ce rapport officieux qui a fait date.
Récemment, j’ai reçu un appel téléphonique d’un représentant en ventes du quotidien le plus québécois de la métropole, sollicitant un abonnement. Étant très porté sur la lecture matinale et les œuvres caritatives, j’étais enclin à soutenir ce média sous perfusion durant la crise économique. Je ne tiens toujours pas à ce qu’il connaisse le sort du vénérable Rocky Mountain News de Denver qui vient de mettre la clé sous le paillasson. Mon aide était cependant assujettie à un petit caprice : je lui ai demandé de me citer le nom d’un seul journaliste issu de l’immigration travaillant pour le journal qu’il représente. Exercice difficile, pour ne pas dire impossible. Inutile de vous décrire l’embarras de mon interlocuteur.    

Le changement n’est certainement pas pour demain. Nos conférenciers d’une soirée ont reconnu en chœur que l’effet Obama n’a aucune chance de nous toucher de sitôt. Beaucoup d’eau aura coulé sous nos ponts avant de voir des journalistes, des cols bleus ou des facteurs fiers de leur teint basané. Un séisme est plus probable.
Faut-il revendiquer pour autant la création d’un Conseil du statut de l’immigrant, à l’image de celui qui veille à toute entorse au statut de la femme, y compris sur les chantiers du Québec? Parions que, lors de la prochaine manifestation de la lutte contre la discrimination, cette question n’aura rien perdu de son acuité. Rendez-vous dans un an.

 

Arezki Sadat (Chroniqueur/Collaborateur)