Le fidèle admirateur de chaâbi algérois et de rap marseillais que je suis s’est soudainement trouvé un autre amour. Même deux: les groupes de rock montréalais Bloodshot Bill et Lake of Stew. Mon coup de foudre est la conséquence directe de cet appel d’un autre temps d’une vague association souverainiste. Celle-ci a préconisé l’exclusion de mes nouvelles idoles des festivités marquant la fête du Québec.

La raison invoquée est elle-même une connerie en puissance : les membres des deux groupes, par lesquels est arrivé le scandale, chantent dans la langue de Shakespeare. Ni plus ni moins! Et dire que la musique est censée adoucir les mœurs…

Depuis le jour où j’ai entendu l’incroyable appel pour l’exclusion de concitoyens de la fête de la St-Jean, j’achète tout ce que daignent mettre sur le marché Bloodshot Bill et Lake of Stew. Il y a encore quelques semaines, j’aurais eu des difficultés certaines à prononcer ne serait-ce leurs noms. Aujourd’hui, je remercie leurs critiques de « l’aile dure » du camp souverainiste.

Les deux groupes, qui ont divisé malgré eux ces derniers temps la classe politique québécoise, ont finalement pu faire partie de la programmation du spectacle alternatif « L’Autre St-Jean », organisé la veille de la fête nationale. La ministre de la Culture, l’ancienne journaliste de Radio-Canada, Christine St-Pierre, n’a pas fléchi : « Les anglophones sont parmi nous depuis 250 ans. Ce sont des Québécois. Bien sûr, c’est le français qui est à l’honneur à la Fête nationale, mais les Québécois veulent vivre dans une société inclusive, ce qui comprend les anglo-québécois », a-t-elle laissé entendre. L’Association des descendants des Patriotes, par le biais de son porte-parole Gilles Rhéaume, est allée jusqu’à brandir des menaces voilées, arguant qu’« il pourrait y avoir du grabuge au parc Pélican dans l’arrondissement Rosemont ». Accepter le chantage (je ne vois pas d’autres termes pour qualifier ces gesticulations) venant d’un groupe minoritaire dans la société aurait été une erreur lourde de conséquences.

Pour une fois, le président français Nicolas Sarkozy avait raison, comme l’a noté un lecteur québécois de la presse quotidienne qui a tenu à rappeler les paroles qui, il y a quelques mois, avaient tant ému les cercles souverainistes, à commencer par la leader péquiste Pauline Marois. L’exclusion de Québécois des festivités entourant la St-Jean n’est-elle pas une preuve de repli, de fermeture sur soi et de dérive sectaire? Déjà que les communautés culturelles font figure de laissés-pour-compte dans notre paysage. Au train où vont les choses, bientôt il faudra montrer patte blanche, si l’on a envie de se fondre dans la masse.
Si ce genre de polémiques refont de temps à autre surface, c’est dû avant tout au fait que la diversité, dont notre société s’enorgueillit, se trouve bafouée. Les Noirs ou les Maghrébins sont plus visibles sur les pubs. Dans le gouvernement québécois, les ministres issus des communautés culturelles se comptent sur les doigts d’une seule main. Idem pour les ministres dont la première langue est l’anglais. Une telle composition des sphères de décision ne favorise pas la sérénité et le dialogue dans la gestion de la diversité.

Malin celui qui pourra me dire qui de Leonard Cohen, un artiste montréalais mondialement connu et partout célébré, ou de Robert Charlebois, qui a fait l’essentiel de sa carrière en France, est plus québécois que l’autre? Opter pour l’un d’eux, c’est faire preuve du même aveuglement que ceux qui ont déclaré Bloodshot Bill et Lake of Stew personae non gratae. Les deux chanteurs sont des dignes fils du Québec. Tout comme les membres de mes groupes préférés.
En guise de conclusion, permettez-moi de paraphraser un célèbre chroniqueur, tout en escamotant sa non moins célèbre tirade : je bois mon café et je reste éveillé, en écoutant du rock…En anglais.

Arezki Sadat