Marion Camarasa est l’auteure d’un livre sur l’histoire de l’émigration algérienne au Canada qui sortira en septembre chez l’éditeur français Publibook Université(1). Basé sur son travail de recherche effectué à l’université de Toulouse le Mirail en France, il dresse le premier portrait jamais réalisé des Algériens du Canada – au Québec par la force du nombre dans cette province – de 1962 à 2002 et au-delà.
Comment expliquez-vous la déqualification professionnelle des Algériens vivant au Québec qui, parfois, passent de statut d’ingénieur à celui de vendeur ou de chauffeur de taxi ?
Les Algériens possèdent à leur arrivée en terre canadienne un niveau de qualification universitaire plus élevé tant de la moyenne québécoise que de la moyenne de l’immigration dans la province. La province du Québec utilise des enjeux de politique intérieure avec la préoccupation première du poids du Québec dans la confédération canadienne pour faire venir des immigrants francophones, jeunes et diplômés. Elle sacrifie ainsi la première génération d’immigrants en pariant sur l’avenir et l’intégration de la deuxième génération.
Est-ce que les candidats à l’immigration ont une idée claire de ce qui les attend au Québec ?
Je pense que les candidats à l’immigration idéalisent le Québec. Ce n’est pas, au fond, spécialement de leur faute car, quand on veut partir, on espère toujours qu’ailleurs c’est meilleur. Les services d’immigration québécois ne mentent pas, mais omettent de leur proposer un portrait plus nuancé de la vie au Québec. Le Québec apparaît alors pour certains comme un eldorado à la sauce francophone, mais si l’eldorado existait, cela ferait bien longtemps que ça se saurait.
L’Algérie dégage l’image d’un pays qui se stabilise mais le flux migratoire qui en sort se maintient à un rythme soutenu, comment peut-on expliquer cela ?
L’émigration est fille de l’histoire algérienne et depuis plus de cent ans maintenant est une constante de ce pays. La dégradation des conditions de vie, couplée, notamment pour les jeunes, à un espoir de vie meilleure ailleurs tant sur le plan des libertés que sur celui d’un avenir professionnel enrichissant, les poussent à quitter le pays. L’Algérie des années 2000 évolue, mais certainement pas assez vite pour cette jeunesse qui espère tant un avenir meilleur. L’émigration est alors une réponse concrète à cette quête collective
Est-ce qu’on peut parler d’une diaspora algérienne au Québec et au Canada ?
Je ne pense pas qu’on puisse parler de diaspora. Je parlerais plutôt d’un système protodiasporique en construction. D’une part, du fait du nombre relatif de cette émigration au Canada (environ 50 000 personnes), d’autre part du fait que la communauté algérienne est très divisée et reproduit en cela les schémas existant en Algérie (les berbérophones militants, les islamistes, les réseaux amicaux ou régionaux, etc.) Il s’agit plus alors de petites communautés juxtaposées et il est plus approprié de parler d’émigration algérienne au Canada que de communauté algérienne au Canada. C’est une autre particularité de cette émigration. De plus, les liens et les réinvestissements vers l’Algérie ne sont pas encore bien développés, ni d’ailleurs vers d’autres foyers de l’implantation de l’émigration algérienne. La division de l’émigration algérienne au Canada est symbolisée par la pluralité du monde associatif qui, lors de prises de position sur de grands sujets, n’a jamais pu offrir une voix concordante.
Comment qualifiez-vous la situation des Algériens du Québec ?
Franchement, je pense que c’est un vrai gâchis. Ces hommes et ces femmes sont venus avec beaucoup d’espérance. Ils auraient pu amener tellement de choses au Québec ; ils ont de réelles compétences professionnelles, une vision du monde différente de celle de la société nord-américaine et sont également dépositaires de plusieurs cultures. Mais l’intégration professionnelle pose problème et de là découlent de nombreuses difficultés. Certains immigrants se sentent perdus et même rejetés et développant alors une rancœur contre le Québec. D’un autre côté, c’est un vrai gâchis aussi pour l’Algérie qui a besoin de ses élites pour évoluer. Cela serait intéressant de pouvoir mettre en place pour le pays un système de réinvestissement de toutes ces compétences algériennes de l’étranger dans de très nombreux secteurs où brillent les Algériens. Toutefois, nombre de ces émigrés, pas encore immigrés, se percevant souvent comme des exilés, aspirent seulement à faire partie de l’histoire du Canada et du Québec.
Notes
(1) Les Algériens au pays de l’érable ou la Méditerranée sur les rives du saint-Laurent, Marion Camarasa, Publibook Université. Lire aussi El Watan du 2 décembre 2007, un excellent article de Mouloud Belabdi présentant le travail de Marion Camarasa. Elle peut être contactée sur ce courriel :
Source El Watan du 1er juin 2008: http://www.elwatan.com/spip.php?page=article&id_article=95572