«Le silence est d'or, c'est peut-être pour ça que je suis pauvre.» «Chaque vote, chaque année, même crochet, c'est pour les mêmes salauds.» «Regardez-vous, vous êtes la preuve que le refus est global.» Ce sont là quelques-unes des phrases-chocs du slammeur québécois d'origine algérienne Mohammed, tirées de son premier album L'ombre d'un doute. Vous avez dit le poids des mots?
Ça peut avoir l'air vachement glamour, le parcours de Mohammed, si on ne se fie qu'aux mots: naissance en Algérie, départ avec sa mère pour l'Italie, puis pour les États-Unis, avant d'arriver ici à l'âge de 15 ans, il y a un peu plus de 15 ans.
Dans la vraie vie, l'Italie et New York étaient des passages obligatoires, «pas Walt Disney du tout», pour obtenir à la dure des visas qui leur permettraient enfin d'arriver ici. Comme quoi il faut faire attention aux mots. Ils sont parfois creux, parfois pleins. Ceux qu'utilisent Mohammed sur son album de slam L'ombre d'un doute sont, eux, remplis à craquer.
«Quand j'écris, je ne m'en cache pas, c'est quand je passe par le désenchantement, la déprime», reconnaît Mohammed, en soulignant qu'il est par ailleurs choyé par la vie. «C'est inspiré de tout ce que je subis et que j'extériorise avec l'écriture, reprend-il. Comment expliquer? C'est comme quand on subit une insulte, on a à peine une fraction de seconde pour y répondre. Mais si tu n'as pas trouvé la réponse, tu vis avec l'insulte. Et si tu subis, tu subis, tu finis par écrire toutes tes réponses...»
Et par écrire avec force, comme en témoigne cet extrait de son texte Frontière: «Je suis montréalais, algérois, français ou hindou. Peu importe/La vérité, c'est que le Québec, on le sous-loue/On est tous des immigrants de différentes époques/Maintenant, que j'aie tort ou raison, il reste que j'ai six milliards de colocs.»
Pour appuyer ses textes, Mohammed a travaillé avec le rappeur-réalisateur Boogat (Daniel Russo-Garrido): «Je venais d'ouvrir mon petit studio, explique Boogat, et il y avait plein de gens qui me disaient «Ah, Dan, ça serait chouette si je pouvais enregistrer chez toi; bon, j'ai pas de budget, est-ce qu'on peut s'arranger, etc.» Mohammed, ça n'a pas du tout été ça: il m'a demandé combien coûtaient dix heures de studio, il a payé, est arrivé avec ses textes, m'a tourné le dos et s'est mis à dire ses textes dans le micro.
«En l'entendant, reprend Boogat, je lui ai dit: «Mon ami, t'as besoin de musique, c'est trop malade, tes textes, je veux travailler avec toi.»» Et voilà comment Mohammed et Boogat, qui se côtoyaient amicalement depuis trois ans, sont devenus de proches collaborateurs au studio La Résistance, le rappeur composant des musiques expressément pour le slammeur: «Moi, précise Mohammed, tout ce que je voulais, c'était m'enregistrer pour m'écouter: je me promenais avec une espèce de sac énorme rempli de textes, j'avais envie de mettre mes textes sur deux CD, c'est tout même plus pratique pour voyager et puis comme ça, je ne perdrais plus de textes. Mais aussi, reprend-il en hésitant un brin, j'ai un garçon de 4 ans et une fille de 2 ans (Maleek et Lee-Anna); un jour, ils vont me traiter de vieux con qui ne comprend rien et je pourrai leur répondre que c'est vrai, que je ne comprends sans doute rien, mais que j'ai déjà compris à une autre époque et je pourrai leur faire écouter ce disque.» Car c'est devenu un disque, réalisé par Boogat et lancé sur étiquette Maisonnette (qui s'occupe notamment d'Alexandre Désilets).
Il est comme ça, Mohammed, vulnérable et honnête. Du genre à vous dire que, non, il ne lit pas beaucoup, que c'est surtout la télé et l'internet, de même que son amour du rap francophone (notamment l'extraordinaire rappeur Akhenaton), qui sont ses sources d'apprentissage. S'il utilise le mot «anamnèse» dans sa chanson Ma mémoire, c'est en hommage à MC Solaar qui en avait fait le sujet et le titre d'un morceau. Mais alors, comment fait-il pour écrire des textes aussi nourris et incisifs? «Euh, je ne pourrais pas te dire: je suis un peu comme ce gars qui s'endort au volant de sa voiture et qui évite d'écraser un piéton, de justesse. Tout le monde le félicite pour ses réflexes, alors que c'est pas du tout héroïque, son truc, c'est de la chance!»
C'est par «chance» ou par «accident» qu'il écrit: «Ça va faire bientôt quinze ans que je suis un nouvel arrivant/Comme Camus, je suis Étranger/Comme Guèvremont, je suis Survenant/Mais sans y être vraiment parvenu» ? «Je n'écris pas tout le temps, répond Mohammed avec un grand sourire, seulement pour régler des comptes avec moi-même et ce qui me blesse. Sur disque, c'est sûr que c'est grave... C'est pour cela qu'en spectacle, je fais rigoler entre les chansons. Mais faut que j'écrive, tu comprends: moi, j'ai besoin de réagir, pas de danser.»
Source: La Presse - 2010-04-24